mardi 21 octobre 2014

La Neutralité. Une nécessité éthique. Mille difficultés pratiques - Collectif (2014)


Heureusement que l'opération Masse Critique de Babelio a recommencé ! Elle m'oblige à tenir à jour ce blog que j'ai un peu négligé ces dernières semaines, faute de temps. Cette fois-ci, j'ai "gagné" un ouvrage atypique au titre évocateur : La Neutralité. Une nécessité éthique. Mille difficultés pratiques.

Un livre sur la neutralité, c'est un cadeau qui tombe à pic pour une fille qui peine tous les jours à rester impartiale au boulot, avec ses élèves ou avec ses collègues. Ben oui, j'ai mes têtes... Mais je me soigne ! Et je mets quiconque au défi de me prouver que ça se voit !




Qu'est-ce que ce petit livre épais d'une centaine de pages, à la couverture orangée et à la tranche colorée en fonction des chapitres ? Un livret parascolaire pour préparer le bac de philo ? un essai ? une méthode de développement personnel ?

Rien de tout cela. Composé par un collectif de médiateurs professionnels, La Neutralité est la trace écrite d'une journée d'étude réunissant des spécialistes de l'entente à l'amiable, et une poignée d'autres personnes touchées par la question de la neutralité dans l'exercices de leurs fonctions (une psychiatre, un théologien, un ingénieur, un philosophe).

En effet, on ne se rend pas toujours compte, mais être "médiateur" est un métier à part entière : il intervient à tous les étages de la société, et on a recours à lui pour faciliter la résolution des problèmes d'ordre professionnel, public ou encore privé. Souvent relié aux instances judiciaires, parfois sollicité par le magistrat lui-même, il représente la dernière chance d'arrangement à l'amiable entre deux personnes ou deux groupes entretenant des rapports conflictuels. Quand la médiation échoue, les "choses sérieuses" commencent, si l'on peut dire...

C'est pas gagné ! 
 

Un peu à l'image d'un recueil d'actes de colloque, ce numéro annuel des "Cahiers du Montalieu" édité par Médias & Médiations s'organise en quatre parties : 


  • Dans une première partie introduisant le débat et dessinant ses contours, on nous propose le compte rendu de la discussion _plus ou moins orientée des médiateurs venus de tous horizons : qu'est-ce que la neutralité ? faut-il nécessairement être neutre lorsqu'on est médiateur ? Pourquoi ? On retiendra la définition de la neutralité en médiation sur laquelle s'appuieront tous ceux qui prendront la paroles lors de cette journée de travail collaboratif : 


" La neutralité est une attitude du médiateur qui permet de garantir l'impartialité du processus. Elle suppose d'être au clair avec sa situation intérieure (valeurs, vécu et sentiments) et extérieure (dépendance ou conflits d'intérêts) afin de ne pas avoir de projet sur l'issue de la médiation, de pouvoir la mener de manière impartiale."


  • Ensuite, s'enchaînent, plus formalisées, les contributions des cinq invités. Ici, une psychiatre nous apprend à quel point il est difficile d'être à la fois objectif et bienveillant face à son patient ; un frère dominicain élève la neutralité au rang de vertu "kénotique", c'est à dire l'art de faire abstraction de soi pour faire corps avec les autres et les amener à résoudre leurs problèmes. Là, un philosophe nous présente le "désir de neutralité" comme émancipation d'une opposition binaire, allant aux antipodes de la neutralité vue comme une incapacité à prendre parti. Puis, à l'aide des grandes lois de la physique (!), un ingénieur-formateur en médiation, compare la neutralité à une énergie de résolution de problème que le médiateur doit savoir activer, désactiver, canaliser en fonction des parties opposées ! Enfin, une médiatrice familiale officiant en centre pénitentiaire insiste sur la difficulté d'être neutre dans un lieu où le jugement est de mise ; la voie vers la prise de confiance du détenu et sa future réinsertion passe par la parole et l'effacement des idées reçues. On appréciera la variété des domaines du savoir interrogés sur la question.   


  • Puis nous entrons dans la pratique de ce métier épineux, à travers quelques cas problématiques où la neutralité du médiateur est mise à mal : que faire pour rester impartial quand l'un des deux opposants à réconcilier ne vous revient pas ? Quand vous percevez une fragilité chez l'un et que ce ressenti vous pousse à prendre sa défense ? Comment s'y prendre pour "préparer le terrain" avant une phase de médiation ? Comment l'entamer ? Comment voir son évolution, ou sa stagnation ? Comment la finaliser au mieux, en débit d'un contexte houleux ?       
  • Enfin, le collectif a annexé sous la forme d'un dernier chapitre quelques extraits des grands textes de référence des médiateurs européens : entre autres, la directive du Parlement Européen datant du 28 mai 2008, le code de conduite européen des médiateurs, le code national de déontologie, le rapport Magendie (2008). 

Bah ça va, les médiateurs ! Elles ont l'air cool, les Rencontres du Montalieu !

J'ai refermé ce livre après quelques heures de lecture _ouais, je suis encore bien loin du rythme de Shaya :-)

Certes, je ne sais toujours pas pourquoi j'ai envie d'être désagréable avec tel ou telle élève qui vient d'entrer au CDI et qui ne m'a encore rien fait, ni pourquoi j'ai le poil qui se hérisse d'agacement dès que tel ou telle collègue prend la parole. Pourquoi je me défonce avec plaisir pour certains et pourquoi je me pousse au cul pour être simplement professionnelle avec d'autres. Je ne sais toujours pas comment m'y prendre pour aller au-delà de cette subjectivité salement humaine et atteindre la sainte et propre neutralité. En même temps, si le titre m'avait laissé espérer trouver des réponses à mes questionnements, j'ai vite vu que le but de l'ouvrage n'était pas là : La neutralité. Une nécessité éthique. Mille difficultés pratiques s'adresse en premier lieu aux professionnels de la médiation.

Cela dit, son écriture est accessible à tous et son contenu enrichissant. Bien sûr, la première partie ressemble plus à une prise de notes un peu bordélique qu'à une présentation organisée du sujet. Mais quoi de plus difficile que la restitution d'une conversation qu'on devine "à bâtons rompus" ? Les interventions des invités sont tout à fait intéressantes, et même franchement convaincantes. La troisième partie, faisant état de situations vécues par les médiateurs réunis au Montalieu, permettra sans doute aux conciliateurs de tout poil de partir mieux armés dans la bataille ; on peut y piocher deux ou trois conseils pour survivre à un crêpage de chignon en salle des profs ou en réunion de travail. Nul n'est à l'abri de se retrouver un jour pris entre deux feux et de devoir coiffer la casquette du médiateur pour retarder éviter le carnage. Par contre, se réapproprier ces expériences pour s'aider dans la gestion de conflits élève / élève ou prof / élève me paraît peu judicieux : les attitudes prescrites incluent des prouesses de diplomatie, des ronds de jambes et des tours de passe-passe dont on doit absolument éloigner les enfants, au profit de la clarté.  


Par contre, on en apprend beaucoup sur les médiateurs, sur leur difficile métier situé à mi-chemin entre les échecs, la psychologie, le déminage, et sur leur capacité à faire abstraction de leur humanité pour l'exercer correctement. Oh bordel !! Qu'est-ce que j'aimerais pas faire ça !!


Le livre est décoré d'illustrations humoristiques dessinées par un certain Chapu, médiateur à la retraite.


LE MÉDIATEUR (Collectif). La Neutralité. Une nécessité éthique. Mille difficultés pratiques.  François Baudez - Médias & Médiations, 2014. 111 p. ISBN : 978-10-91871-05-1

Cimer  Merci à Babelio et à Yvelinédition / François Baudez Editions pour l'envoi de ces Cahiers du Montalieu. 

 

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