Petite sortie à la bibliothèque
Histoire de garder un bon rythme, je suis allée à la bibliothèque pour relire "L'héritier sans nom", le deuxième tome des Aigles Décapitées de Patrice Pellerin et Jean-Charles Kraehn. "Mais tu l'as déjà chez toi !" me direz-vous. Certes. Mais pas sous la main. Cette visite a eu l'avantage de me permettre d'avoir une vue d'ensemble de la série. J'ai ainsi pu me rendre compte qu'elle se découpe en plusieurs cycles, au rythme des variations de scénaristes et de dessinateurs. Ainsi, "La nuit des jongleurs", "L'héritier sans nom" et "Les éperons d'or" forment à eux seuls le "Cycle de l'imposteur" raconté de bout en bout par l'association de Pellerin et de Kraehn. Mes parents ont sacrément bien joué lorsqu'ils m'ont offert les trois d'un coup !
C'était la minute "coupage de gâteau". Parlons un peu de l'histoire.
Qui connaît une devise plus originale que "Aigles, frappez du bec !" ? Image prise sur Booknode.com |
Maudits jongleurs !
On nous avait laissés dans un suspens intense en abandonnant le jeune Hughes au fond du très humide puits des fous avec des rats pour seule compagnie, tandis que son mentor Sigwald Tranchecol fuyait à travers la campagne enneigée. Heureusement, le jeune pseudo-troubadour ne tarde pas à trouver LE souterrain secret qui permet de remonter le puits sans encombre et commence à faire sa vie, même s'il se sent un peu déboussolé sans Tranchecol. Il ne tarde pas à être recherché par les hommes d'Enguerran. Ce dernier est tellement absorbé par la venue de ces drôles de trublions qu'il en oublie les préparatifs de sa fille en partance pour Poitiers. La jeune Alix va servir Jeanne, la femme d'Alphonse, en gage de fidélité au frère du roi. Pendant ce temps, au château de Crozenc, tout le monde (ou presque) se réjouit d'offrir aux corbeaux la dépouille d'un barbu défiguré qui ne peut être que le fameux Sigwald.
Ce deuxième album lance l'action et ne doit pas se lire autrement que d'une seule traite, à mon sens. Autant il était possible d'avoir envie de décrocher en lisant "la Nuit des jongleurs", son exposition de l'intrigue et de son décor peint sur fond d'Histoire de France, autant "L'héritier sans nom" tient forcément le lecteur en haleine. Sa force réside dans l'expression de trois champs d'action simultanés et assez rapprochés dans l'espace pour qu'ils puissent tous se rencontrer en fin d'album. En effet, pendant que Sigwald part régler son compte au chapelain qui détient le fameux objet manquant dans la bibliothèque de Crozenc, Hughes parcourt à l'aveuglette les petits villages de la Creuse couverte de neige, avant de se diriger vers un possible point de rencontre avec Tranchecol. Sur son chemin, il fait la connaissance d'Alix, esseulée et affaiblie après l'attaque du convoi qui l'emmène à Poitiers. Leur statut de fuyard est leur seul terrain d'entente, mais cela suffit grandement pour faire équipe.
Pas de chichis entre nous
Pellerin et Kraehn s'amusent avec les codes de la fin'amor comme des chats avec des souris : ils les torturent, les tournent dans tous les sens, mais de les achèvent pas complètement. On sait très bien que le beau clochard blond et courageux va forcément, un jour ou l'autre, taper dans l'oeil de la princesse caractérielle qui ne fait pas trop de manières, mais qui aurait bien besoin d'un chevalier pour la défendre, quand même ! Mais l'un et l'autre se vannent avec une certaine dureté avant qu'Hughes prenne son rôle de protecteur au sérieux, et qu'Alix reconnaisse et encourage sa bravoure. Dommage qu'une meute de loups vienne trop vite remettre tout ce beau monde à sa place "traditionnelle", car on s'amusait trop bien à les voir se moquer l'un de l'autre !
Le Beau Robert, chanson populaire du XVI°s interprétée par Jacques Douai
Je la connais uniquement parce que je l'ai apprise en cours de musique, au collège.
La place de Sigwald
Lorsque Hughes, seul, envisage la possibilité d'avoir définitivement perdu Sigwald, il se rend compte de la force de son attachement pour l'homme qui l'a élevé. Dans une société où "les liens du sang" sont sans cesse revendiqués et valorisés, l'amour pour celui qui "joue" le père sans l'être semble plus difficile à envisager, avant le constat de la perte et la sensation de manque qui la suit de près. Pour le blondinet convaincu d'être le légitime seigneur de Crozenc né pour venger un géniteur qu'il n'a jamais connu, la conscience du statut paternel de Sigwald se sera faite au bout de plusieurs années. Après quelques larmes versées au fond d'un grenier à foin. Pas avant.
Profitons-en pour signaler que Les Aigles décapitées n'est pas la seule histoire à mettre en scène ce cas de figure. Dans Le Seigneur des anneaux de Tolkien, Frodon se rend compte de son amour filial pour son vieil oncle Bilbon, seul membre de sa famille à lui avoir réellement accordé quelque importance, lorsque le papy quitte définitivement la Comté. Fitz, le héros bâtard de l'Assassin Royal, est recueilli par Burrich, l'"écuyer" de Chevalerie. Là encore, ce n'est qu'à l'âge adulte, assez avancé pour permettre la nostalgie de l'enfance, que l'empoisonneur des Loinvoyant réalise qu'il a bel et bien été élevé par une sorte de père de substitution dont il a souvent rejeté l'autorité... uniquement parce qu'elle lui paraissait biologiquement illégitime !
PELLERIN, Patrice ; KRAEHN, Jean-Charles. Les Aigles Décapitées. "L'héritier sans nom". Glénat. 1987. Coll. "Vécu". 46 p. ISBN 2-7234-0779-9
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