samedi 2 mars 2019

L'hérésie du mois : j'avais jamais entendu parler d'Emma Goldman !


Première publication de l'année 2019 ! 
Il était temps ! 



Il a fallu que je tombe sur un livre de la collection "Ceux qui ont dit non" d'Acte Sud Junior pour découvrir l'existence de l'anarchiste russe Emma Goldman ; en lisant le quatrième de couverture, j'ai appris qu'elle avait été une grande figure de la lutte contre les inégalités aux Etats Unis, en Russie et en Europe au début du XX°siècle. Elle s'est notamment battue pour la reconnaissance des droits des ouvriers, les incitant au passage à se révolter ; mais, de façon générale, il lui tenait à cœur de défendre tous les opprimés _et de les amener à se défendre par eux-mêmes. En tant que femme, Juive, Russe, émigrée... elle savait bien de quoi elle parlait. Elle nous a laissé pour héritage six livres et plusieurs articles pas toujours traduits en français, ou alors assez tardivement. Pourtant, malgré ce palmarès honorable qui lui a valu le surnom d'"Emma-la-Rouge", le personnage m'était inconnu.. Nous a-t-on parlé d'elle à l'école ? Comme elle n'a pas séjourné assez durablement en France pour y mettre le bazar, c'est peu probable. Ou alors j'ai zappé. 


Emma Goldman : "Non à la soumission" - Jeanine Baude (2011) 



Comment caractériser ce livre tout plat (96 p.) au contenu dense ? Ce n'est ni un roman _bien qu'il soit qualifié de "roman historique" en couverture, ni un reportage, ni un documentaire... La forme m'évoque les "docufictions" qui fleurissaient à la télé il y a quelques années, ou le principe de l'émission de France Inter Autant en emporte l'Histoire (j'avoue, j'écoute France Inter ; chacun ses tares !) : à savoir, la présentation de faits réels sous forme de fiction dans un but didactique.  

La narratrice, qu'on pourrait assimiler à l'auteure Jeanine Baude sans savoir si on peut le faire ? est une Française de passage à New York, quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001. Elle découvre une ville sous le choc. Consciente que la population partagée entre horreur et colère a autre chose à faire qu'accueillir les touristes avec le sourire, elle choisit de faire preuve d'empathie. C'est ainsi qu'elle gagne la confiance de Maria, une mère endeuillée qui, en bonne descendante d'Emma Goldman, refuse de se laisser submerger par la peur et par la haine, malgré l'attaque terroriste dont son fils a été victime.         

Conquise par la force de conviction de son interlocutrice, la voyageuse se fascine pour Emma la Rouge et décide de se lancer sur ses traces. Le livre devient alors une sorte de pèlerinage, où chaque chapitre représente à la fois une étape du voyage de la narratrice, mise en regard avec un moment important de l'existence de l'anarchiste : 

  • son arrivée à New-York à l'âge de seize ans, le cœur plein de révolte, bien qu'elle ne connaisse pas encore grand chose du monde,
  • la naissance de son engagement et la découverte de ses qualités d'oratrice,
  • la rencontre avec son futur compagnon de vie, Alexander Berkman, 
  • son discours sur l'Union Square incitant les ouvriers et les chômeurs à la rébellion, qui lui vaudra d'être emprisonnée, 
  • son séjour en prison, au cours duquel son rôle d'infirmière l'amènera à un nouveau cheval de bataille : la condition des femmes, à travers l'idée de "maternité libre"
  • la fondation de la revue Mother Earth, (dans laquelle elle publiera des articles sur la contraception qui la feront botter direct au cachot, une nouvelle fois). 
  • son retour forcé en Russie, empreint de déception : malgré la révolution de 1917, le peuple n'a guère gagné en liberté...  

"Y a quoi ?"

Calquant ses pas sur ceux de l'anarchiste, passée par les mêmes lieux quelques décennies plus tôt, la voyageuse tombe régulièrement dans la rêverie : Emma La Rouge et ses frères d'armes prennent alors vie sous ses yeux, la faisant basculer au rôle de spectatrice de leurs échanges. Le passage d'une époque à l'autre est marquée par un changement de police de caractère que les jeunes lecteurs apprécieront. 

Jeanine Baude fait l'effort de tenir compte du caractère de chacun dans les dialogues qu'elle reconstitue, et d'accorder à Emma Goldman la véhémence et les talents d'oratrice qu'elle devait effectivement avoir. Mais ce livre ne fait pas partie de la collection "Ceux qui ont dit non" pour rien : il a avant tout une portée informative ; il s'agit de faire passer un message à des collégiens, de leur communiquer des faits, un contexte, des idées. Alors forcément, les conversations perdent de leur naturel, et on peut ne pas adhérer.

Attention, je ne crache pas dans la soupe ! Emma Goldman : "non à la soumission" est l'une des rares publications françaises consacrées à cette figure historique, dont on n'est pas forcé de partager tous les points de vue, loin s'en faut, mais qu'on gagne à connaître. Jeanine Baude a le mérite de s'y être collée : il n'était sans doute pas simple d'évoquer de façon complète, succincte et accessible le parcours d'une femme qui a eu la bougeotte toute sa vie, qui a mené des combats sur tous les fronts, parfois clandestinement, en laissant peu de traces écrites de ses travaux ! Merci à elle d'avoir sorti cet ouvrage, donc !

La biographie romancée d'Emma Goldman est suivie d'un dossier documentaire composée d'une chronologie de sa vie, d'une bibliographie, d'éléments de définition de l'anarchisme et d'un point sur quelques autres grandes figures qui ont marqué le XX°siècle en dénonçant les injustices du système.

Jeanine BAUDE. Emma Goldman : "Non à la soumission". Actes Sud Junior, 2011. Coll. "Ceux qui ont dit non". 96 p. ISBN 978-2-7427-9594-9


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