dimanche 11 mai 2025

La chambre 337

L'infirmière m'interpelle de loin en sortant de la chambre où elle vient d'installer Marine : "C'est bon, vous pouvez aller la voir !". Elle disparaît aussitôt, déjà occupée à autre chose. Je quitte le siège laissé au bout du couloir du service, à moitié caché derrière une sorte de paravent, où on m'avait demandé d'attendre.  

Marine est allongée sur son lit d'hôpital ; on lui a passé une blouse blanche à pois noirs. 

"Ah, t'as réussi à me trouver !

_ Oui, aux urgences on m'a dit que tu avais été transférée en pneumologie. T'as pas froid ? 

_ Non, je suis bien. J'ai une infection pulmonaire, c'est fou ! J'aurais jamais cru que c'était ça. Ils vont me mettre sous antibio.

Sur quoi elle se met à tousser, éjectant par la même occasion le masque qui lui envoie de l'oxygène. Je me dis que, mince, je n'aurais pas cru qu'elle serait orientée ici, car quelques heures plus tôt, elle ne semblait pas aussi prise des bronches. Malgré tout, elle semble avoir un peu meilleure mine. 

_ Il faudrait que je fasse recharger mon portable... 

Je pars en quête d'une prise. Il y en a derrière le lit, mais le câble et trop court et le téléphone pendouille dans le vide. Il lui est visiblement difficile de bouger, elle se fatigue vite. Normal quand on n'a pas de souffle. 

La table à roulettes sur laquelle est posée une carafe remplie d'eau est ridiculement loin. Je la rapproche du lit : on s'en servira pour que le portable reste à portée de main. 

_ Il faut que j'appelle mes trois hommes. 

Elle fait allusion à son mec et à ses deux petits.  

_ Prends mon portable. 

S'ensuit une conversation tout à fait lunaire, que j'entends malgré moi. Pas une once d'inquiétude dans la voix du bonhomme, qui semble surtout embarrassé de devoir gérer les gosses le lendemain matin _et donc de prendre sa journée ; ça ne l'arrange pas du tout, mais bon.. Ma sœur se confond en excuses, comme trop souvent ces derniers temps. Il lui répond mollement que non, ce n'est pas sa faute, avant de lui demander de checker ses mails : il en attend un bien précis. 

Marine commence à scroller, avant de se souvenir qu'elle téléphone de mon portable. Son esprit est décidément embrumé... On récupère le sien, partiellement chargé ; elle fait deux ou trois manip pour finalement constater que le mail destiné à son mec n'est pas arrivé. Ce dernier coupe court en lui disant qu'il doit la laisser, "parce qu'il a du taf, là, avec les bains à donner, le repas à faire, tout ça", et lui souhaite bon courage. 

Un silence. Elle sait que j'ai envie de pester mais que je n'en ferai rien, et je sais à quel point elle est déçue de voir que pour son bonhomme, elle n'est plus rien d'autre que la mère de ses enfants. On se voilait tous la face à ce sujet, mais l'arrivée de la maladie a fait tomber les masques. 

On passe à autre chose. 

_ On met la télé ? Ou tu préfères rester au calme ? 

_ Je veux bien, mais je vois pas la télécommande !

_ Ah, moi non plus... 

On cherche la télécommande, elle avec son oeil vif, moi avec mes mains. Au moins ça nous occupe, on balaye la gêne et l'inquiétude. 

_ Dans l'armoire, peut-être ? Ou sous mes affaires... 

La télécommande restera introuvable. Tandis que je me remets du gel sur mes mains (elle est déjà assez attaquée, inutile de lui rajouter plus de saloperies), j'entends ronfler péniblement. Marine s'est assoupie. Elle n'a pas dû beaucoup dormir cette nuit. 

Je m'assois sur sa droite, dos à la fenêtre, face à la porte. Les bruits extérieurs nous parviennent ; le passage des chariots et les voix des soignants essentiellement. 

Elle ouvre les yeux, me regarde, replace son masque.

Je sors de mon sac le livre Terrienne de Jean-Claude Mourlevat, décidée à lui faire un peu de lecture. L'histoire d'une jeune fille qui part à la recherche de sa sœur disparue, pourquoi pas...

Elle se rendort avant que j'aie fini la première page, et je me pose mille questions en écoutant sa respiration poussive : est-ce qu'elle a chopé le Covid ? est-ce que le sevrage de cortisone s'est fait trop rapidement ? a-t-elle des effets secondaires de son traitement ? 

L'infirmière entre, dynamique, positive, pour faire le point sur l'état de santé et sur les examens prévus dans les jours qui viennent. Rien d'alarmant a priori, il faut surveiller et traiter. Elle remplace même le masque à oxygène par des lunettes.  

Avant de partir, je déblatère à ma sœur plein de phrases creuses dont j'essaie de me convaincre : ça va aller, elle est forte, une infection, ça se soigne. Si elle dort beaucoup, c'est normal, ça veut dire qu'elle récupère. 

"Mais oui, ça va aller ! renchérit l'infirmière, toujours aussi enjouée, avant de passer la porte. 

Marine ne répond pas. Depuis son lit, elle me regarde de son oeil bleu et vif, un bras passé sous la tête ; sur le moment, ça me serre le cœur de repartir "libre" sachant qu'elle est bloquée ici, impuissante et malade... En proie à ces faux impératifs auxquels on accorde trop d'importance, je tourne les talons, de peur de "manquer de temps". 

Le temps, j'en ai, maintenant. J'ai même toute une vie pour essayer de comprendre ce que voulait dire ce regard. Est-ce qu'elle avait compris qu'on se voyait pour la dernière fois ? Je ne pense pas, ses derniers SMS n'allaient pas dans ce sens... Etait-elle déjà "ailleurs" ? Ou juste dépitée de réaliser que son copain ne bougerait sans doute pas son cul pour venir la voir avant plusieurs jours ?  

Nos chemins se séparent donc brutalement dans une chambre d'hôpital. Marine la dure, Marine la forte s'arrête ; Adeline la fragile, va continuer : tous ceux qui nous connaissent un minimum savent à quel point cette configuration est improbable. 

Il est vraiment difficile d'accepter que cette visite à l'hôpital, qui n'aurait dû être qu'une simple étape, doit maintenant être considérée comme un souvenir précieux.

vendredi 25 avril 2025

Le démon de Mehdi - Jean-Hugues Oppel (2016)


Le démon de Mehdi
Jean-Hugues Oppel 
Syros, 2016 



A l'approche de Noël, Sandra et Simon passent un petit dimanche après-midi tranquille : leurs enfants sont sortis. La petite Leïla est avec ses grands-parents et Mehdi, le plus grand, est au cinéma avec ses copains. 

Soudain, Sandra a un flash : sur le sapin, il manque les traditionnelles pommes de pin au chocolat. Elle décide de sortir en acheter. Mais dans le porte-monnaie, il manque un billet de dix. Qui a bien pu le dérober ? Ses soupçons se portent aussitôt sur Mehdi. 

Sandra se rend donc au cinéma pour l'intercepter après le film et régler ses comptes avec lui : elle n'est pas au bout de ses surprises. 

Une belle histoire découverte à la librairie Marbot de Périgueux, où, à l'occasion du mois du polar, une sélection de romans policiers pour la jeunesse a été mise en place (avec bien d'autres livres sur fonds d'enquêtes et d'énigmes). 

Cette collection Mini Syros Polar est très appropriée au cycle 3, mais certains titres comme Le démon de Mehdi aborde des thématiques qui parleront aux plus grands. 36 pages, donc parfait pour des petits lecteurs, rallyes lecture, actions de lecture à voix haute, etc.. 




Je savais que ce moment viendrait, mais pas si tôt, pas comme ça. 

Ma sœur est partie le 4 avril dernier, au petit matin, bien seule dans une chambre d'hôpital où on l'avait installée la veille en raison d'une infection pulmonaire. 

Elle n'avait que 34 ans, et elle était bien décidée à occuper le temps qui lui restait à vivre, en dépit du cancer du sein qu'on venait juste de lui détecter. Elle voulait se battre, elle se battait. Douze heures avant son départ, elle était diminuée mais pressée de se rétablir pour rentrer chez elle au plus vite et retrouver ses enfants. 

Je l'ai quittée à 17h30, inquiète bien sûr, mais sans plus. La fièvre était tombée, son état paraissait stabilisé.  "Mais oui, ça va aller" m'avait dit l'infirmière alors que je m'apprêtais à quitter le service de pneumologie. Ca irait... Le soir, nous avons échangé quelques SMS anodins sur la télé, le bruit de l'oxygène qui l'empêchait de dormir.

Six heures plus tard, une embolie sortie de nulle part la terrassait. Personne n'a pu expliquer cela... 

Depuis, le monde est bien le même, cruellement fidèle à ce qu'il est ; seulement tout semble repeint d'une autre couleur. 

Nous nous en relèverons, mais nous ne savons pas quand, ni comment. 

La vie est tellement injuste. Je veillerai à ce qu'on ne songe même pas à essayer de l'oublier. Ceux qui doivent payer paieront _je ne parle pas des médecins, des hôpitaux, mais de tout ce qui a pu se passer bien avant la maladie ! 

dimanche 16 mars 2025

[LITTERATURE JEUNESSE] Le petit peintre de Florence - Pilar Molina Llorente (1989) / Victoria rêve - Timothée de Fombelle (2012)

Pourquoi elle ?

Pourquoi elle, qui ne fume pas, qui ne boit pas, qui n'a aucune conduite à risque, qui n'a jamais emmerdé personne ? 

Est-ce qu'elle a toujours eu cette saloperie en elle ? Est-ce que ça vient du stress au travail, des produits qu'elle inhale dans l'entreprise de nettoyage où elle bosse...? Après tout, deux autres de ses collègues ont aussi un cancer ? 

Est-ce qu'il y a eu des signes qu'on n'a pas su voir plus tôt ? On s'est tellement concentrés sur les petits qu'on l'a oubliée, elle, une fois de plus. On n'a jamais trop prêté attention à ma sœur, dans la famille : elle n'a jamais été que "la deuxième"... Il a fallu qu'elle soit gravement malade pour qu'on se soucie de son sort. 

Est-ce que je suis trop stressante ? Je m'impose aux rendez-vous d'oncologie, parce que je sais que personne ne l'accompagnera, sinon ; à chaque fois, on nous annonce une nouvelle complication. Ca me paraît mieux qu'elle ne soit pas seule dans ces moments-là, mais est-ce que ma présence ne l'oppresse pas, est-ce qu'elle ne le vit pas comme une entrave à sa liberté ? Elle ne dit rien de tel quand je le lui demande, mais je sais que ma façon de pester contre les médecins, contre les délais de résultats de biopsies, d'IRM, contre toute cette cortisone pour rien !! l'agace : souvent, elle me coupe sèchement en me disant qu'elle n'est pas la seule dans ce cas, il faut que je fasse confiance au corps médical, et à elle aussi. Je ne sais plus si son énervement est réellement le sien, ou si c'est un effet secondaire du traitement.. ?

Pourquoi est-ce qu'elle vit sa meilleure vie, elle, cette truie qui l'a cassée en huit ? "On ne la voit plus trop, elle est peut-être bien partie", me dit ma mère, sans doute pour que j'arrête de la torturer avec "cette histoire". Elle devrait se détendre. Si j'avais les couilles de flinguer une vieille criminelle, ça se saurait... et ce serait déjà fait.

Trop de questions nous parasitent jour et nuit. On sait très bien qu'on n'aura pas la réponse pour la plupart d'entre elles.. quelle peut bien être l'origine d'un cancer du sein ?.. mais on ne peut jamais s'en débarrasser complètement. Sans doute servent-elles aussi à nous détacher de l'écrasante réalité : nous ne vieillirons pas ensemble. 

Pour l'instant, on est perdus au milieu d'un tunnel dont on ne voit pas le bout. Je dois bien reconnaître que ces temps-ci, les livres me sont d'un grand secours. Je n'y avais jamais vraiment cru, et pourtant, ils peuvent faire brillamment figure d'échappatoire !

Voici deux petits romans qui me semblent parfaits pour des collégiens petits lecteurs : 


Le petit peintre de Florence 

Pilar Molina Llorente

1989. 

Photo : édition Livre de Poche, 2002



On pourrait se dire que le petit Arduino a bien de la chance de grandir à Florence au XVème siècle, alors que la ville est considérée un peu partout dans le monde comme la capitale des arts et du raffinement. Pourtant, sa vie n'est pas si simple : né dans une famille de tailleurs et habitué depuis toujours à jongler entre les étoffes, il n'a aucune appétence pour la couture et n'aspire qu'à devenir peintre. 

Son père accepte à contrecœur de le confier comme apprenti à Maître Cosimo, un artiste reconnu ; ainsi, il pourra voir si ses chances dans ce métier son réelles. D'abord fou de joie, Arduino est rapidement déçu : Cosimo est peut-être un grand peintre, mais il n'est pas très pédagogue (et pas très aimable non plus). Les autres apprentis ne sont guère accueillants, et avoir pour seule mission de balayer l'atelier, ça va bien deux minutes.

Mais contrairement à ses petits camarades, Arduino est curieux et observateur : il a compris qu'il se tramait quelque chose d'étrange, dans le grenier du Maître. Un nuit, il prend son courage à deux mains et va voir ce qui se passe là-haut. Il découvre Donato, un ancien apprenti emprisonné sous les combes depuis des années. Son crime ? Etre trop talentueux pour Cosimo, qui a toujours craint que le jeune homme ne lui fasse de l'ombre...

Un roman jeunesse très court, idéal pour des élèves de cycle 3 ou des collégiens petits lecteurs ; il se lit vite et facilement, mais fait réfléchir sur des sujets importants : la liberté, le dilemme entre intérêt général et intérêts personnels, la condition des femmes pendant la Renaissance, les rivalités..




Victoria rêve 

Timothée de Fombelle 

Gallimard Jeunesse "Folio Junior" 

Avant de sortir tout récemment en format poche, ce roman court de Timothée de Fombelle a d'abord été publié dans le numéro 339 de Je Bouquine (2012).

Victoria mène une existence ordinaire, à son grand désespoir, entre des parents gentils mais sérieux, et une soeur aînée qui joue les grandes. Leur petite maison n'est ni mieux ni moins bien que toutes celles qui peuplent la ville (beaucoup trop) calme de Chaise-sur-le-Pont. Pour combler son manque de fantaisie, Victoria lit beaucoup et s'invente des aventures, dans lesquelles ses camarades de classe se gardent bien de s'embarquer.

Pourtant, depuis quelques jours, il se passe des choses étranges autour d'elle, et pour une fois, elle ne rêve pas : ses livres disparaissent petit à petit, la grande horloge de la maison s'est volatilisée dans d'indifférence générale ; elle vient de surprendre son père habillé en cow-boy _ce qu'il ne fait jamais, et, pour couronner le tout, son pote le petit Jo est persuadé qu'elle seule sait où sont cachés "les trois Cheyennes" (alors que non, elle n'en sait rien). 

D'autres fillettes se seraient inquiétées de tant de phénomènes incongrus et inexplicables, mais au contraire Victoria s'en réjouit : voilà enfin la vie d'aventures dont elle rêvait. 

J'ai gobé les 80 pages d'une traite, dans le bus ! Voilà une lecture très accessible et pas trop enfantine qui présente la lecture et les mondes imaginaires comme des façons de survivre à la dure réalité. 

Difficile de dire pourquoi, mais l'héroïne m'a fait un peu penser à celle de I kill giants, un comics dont on a parlé ici (même si les deux histoires n'ont rien de comparable !!) 

samedi 1 mars 2025

[BD] Maudit Victor - Benoît Preteseille (2011) / Sherlock Holmes n'a peur de rien - 1 - Baker Street - Pierre Veys, Nicolas Barral (2004)

Voici le compte-rendu de lecture de deux albums de BD (européenne, cette fois-ci), découverts grâce au podcast le One Eye Club. Je suis en train de me taper tous les épisodes mis en ligne depuis une dizaine d'années, ça donne quelque chose d'assez marrant d'écouter l'actu de la bande dessinée avec une décennie de recul !

Maudit Victor
Benoît Preteseille
Editions Cornelius, 2011



Tout commence par une lettre ancienne, trouvée dans un tiroir par quelqu'un qui fait du tri : elle nous raconte, bribes par bribes, le parcours étrange et tragicomique de Victor G., un jeune homme qui aurait été artiste peintre au XIX° siècle. 

Fasciné par l'oeil de verre prétendument magique de son oncle, le petit Victor se rend volontairement borgne, lui aussi. De cet acte irréfléchi vont découler des rencontres improbables et un destin complètement WTF. D'aventure en aventure, il va devenir peintre malgré son handicap, conforté dans ses aspirations par une artiste qui a elle-même un trou dans le ventre, avant qu'une nouvelle malédiction ne l'empêche de dessiner autre chose que des chevaux, ce qui est pas mal réducteur. Il arrivera tout de même à se faire une place parmi le gratin parisien cultivé, soutenu par une gentille comtesse... qui n'a peut-être pas misé sur le bon cheval. 

Maudit Victor est BD en petit format marrante, avec de belles planches... mais tellement expéditive (150 p.) que je reste sur ma faim. Le côté décousu de l'histoire, qu'on sent pleinement assumé, aurait pu avoir son charme si l'histoire de Victor s'était développée sur deux ou trois volumes, le temps qu'on en sache un peu plus sur le héros, et sur tous ces personnages secondaires intrigants qu'on croise une fois et qu'on ne revoit plus jamais ! 


Un OVNI a regarder passer, même s'il va beaucoup trop vite !

Sherlock Holmes n'a peur de rien - 1 - Baker Street 

Pierre Veys, Nicolas Barral

Delcourt, 2004



Tant pis si je l'ai déjà exprimé un tas de fois : Sherlock Holmes et son univers m'ont toujours laissée de marbre. Bizarrement je me dis encore que, peut-être, un jour, ça va changer, et je continue de m'accrocher à ses réécritures sans trop savoir pourquoi. Bien sûr, j'ai su admirer Dans la tête de Sherlock Holmes, l'incroyable diptyque en BD, et me laisser prendre par l'adaptation en série (celle avec Benedict Cumberbatch), mais ça ne va pas plus loin : l'atmosphère est trop sombre, trop glauque, trop sérieuse à mon goût. 

Du coup, je me suis quand même laissée tenter par le premier tome de la série BD Sherlock Holmes n'a peur de rien parce qu'à la différence des autres versions déjà rencontrées, elle est humoristique _et ne se prend pas au sérieux. 

On retrouve bien notre binôme traditionnel (Holmes la star de l'enquête, Watson l'éternel second), les lieux-clefs (Baker Street, les clubs..) et autres têtes emblématiques du folklore comme l'inspecteur Lestrade et Mre Hudson.. mais agrémentés d'un grain de folie fort appréciable. 

Qui a poussé Lord Beverege par dessus bord alors qu'il naviguait tranquillement sur la Tamise ? Pourquoi le colonel Norton est-il mort subitement ? Watson piqué par une méduse est-il toujours Watson ? L'album propose plusieurs histoires farfelues dans lesquels le célèbre Holmes a réponse à tout, se distinguant autant par son imagination débordante que par son sens de la déduction. 

Le mythe est bien revisité ! Avis plus que positif, il n'est pas exclu que je me m'attarde sur la suite !  

Même au CDI, ça passe ! 



vendredi 28 février 2025

[COMICS] Black Hole - Charles Burns (2005) / Sex Criminals - 1 - Matt Fraction, Chip Zdarsky (2015)

Il fait chaud pour un après-midi de février ; à l'hôpital de Périgueux, ça entre et ça sort sans discontinuer, masqué ou pas. On se croirait dans un petit village. 

L'agent d'accueil prend froidement la carte vitale de ma sœur lorsque vient son tour, aux admissions. Elle est sans doute saoulée par un tas de choses, pourtant elle se radoucit d'un coup, en voyant la nature de la consultation, et se propose même de nous guider. Mais ça va, on connaît. Cette sollicitude à laquelle on commence aussi à s'habituer fait mal : elle nous rappelle sans cesse que cette fois-ci, c'est grave. 

Le service d'oncologie est calme, apaisant, tout en vert pomme et en déco zen. Le docteur nous accompagnent jusqu'à son cabinet, où nous rejoignent une infirmière qui porte une veste à capuche par dessus sa blouse blanche et un interne. Nous voilà soudain bien nombreux. Ils sont souriants, mais personne n'est dupe. 

Il y a un peu plus de cinq ans, je commençais à découvrir l'univers des comics grâce à un collègue prof d'arts plastiques ; aujourd'hui, voici le compte-rendu de deux spécimens du genre. Je triche un peu, ce sont des publications Insta un poil revisitées.

Ne jamais sous-estimer le pouvoir des livres ! 

Black Hole - L'intégrale (Tomes 1 à 6) 

Charles Burns 

BD sortie en 2006. Publications initiales entre 1995 et 2005. 


Etats-Unis, sans doute dans les années 1970. Les jeunes d'une petite ville sont frappés d'une MST qui cause chez eux d'horribles transformations de leur corps : desquamations, apparition d'une queue de lézard, pustules diverses et naissance de bouches sur le torse... Comme si l'adolescence n'était déjà pas assez dure sans ça ! 

Autant dire que ceux qui fautent sont grillés d'office, et contraints de se regrouper dans un bois en retrait de la société, tant pour se protéger du regard des autres que de leur malveillance. 

Parmi eux, figurent des spécimens plutôt sages, comme Keith et Cathy, des rockeurs et autres artistes un peu plus dévergondés comme Eliza et Rob ou encore des geeks mal aimés comme Dave. A travers leurs portraits, Charles Burns nous fait entrer dans les foyers américains de l'époque et dans les tumultueuses années de lycée aux relents d'alcool et d'herbe, sans rien édulcorer. 

Les différents chapitres sont présentés du point de vue de Keith, un garçon rangé qui, à force de vouloir aider les autres, va se retrouver dans la sauce, ou de Cathy, une élève studieuse qui va payer le prix fort de sa première expérience sexuelle. 

Une BD à connaître ! Un peu flippante _ qui a grandi avec l'ombre du SIDA, sera content de ne pas être tombé dessus à sa sortie..., avec du surnaturel, des passages oniriques, un peu d'horreur aussi. J'ai hâte de pouvoir la relire car je pense être passée à côté d'une partie de ses richesses. 

Le trait gras et sombre de Charles Burns apporte une lourdeur supplémentaire aux décors nocturnes et foisonnants dans lesquels les personnages semblent englués. Pas une grosse ambiance, comme vous l'aurez compris, mais le désir de vivre est bien là, caché lui aussi. J'ai trouvé fascinantes le jeu de l'auteur sur les mutations des lycéens, à la fois sources de dégoût et d'excitation. 

Public : Adultes, en tous cas pas moins de 15 ans. 


Sex Criminals - 1 - Un coup tordu 

Matt Fraction, Chip Zdarsky 

Glénat Comics (2015) 

Quand ils baisent, le temps se fige pour tout le monde, mais pas pour eux : du coup, ils en profitent pour aller braquer des banques ! 

Bon, c'est un peu plus compliqué que ça. 

Afin d'éviter la fermeture de la bibliothèque dans laquelle elle travaille, Suzie se démène au quotidien et tente de lever des fonds. Suzie est jeune, motivée... mais surtout, elle possède un pouvoir incroyable : lorsqu'elle a un orgasme, ça arrête le temps pour quelques minutes. Pendant ce "gel temporel" elle peut dire et faire absolument tout ce qu'elle veut. Au fil des années, Suzie a appris à tirer profit de cette particularité assez marrante et parfois utile ; cependant elle s'est toujours sentie seule face à ce phénomène qui semble ne se produire que chez elle. 

Pendant une soirée, elle fait la connaissance d'un banquier aspirant acteur nommé Jon, couche avec, et paf, ça fait des Chocapics ! elle découvre qu'il a les mêmes facultés. 

Suzie et Jon deviennent vite inséparables, heureux de s'être enfin trouvés. De leur union va naître un projet fou : profiter du laps de temps libre dont ils disposent pour voler de l'argent où ils peuvent, et ainsi sauver la bibliothèque. 

Certes, l'idée est astucieuse, mais c'est sans compter la police du sexe, ses combis moulantes et ses indics à face de périnée, toujours prêts à faire immersion dans le "Grand Calme" qui suit le feu d'artifice. 

Premier tome d'une série de 6, "Un coup tordu" est un BD très colorée qui vide bien la tête par son côté fun et WTF, mais qui met aussi en évidence les tabous autour de la sexualité, aux Etats-Unis comme ailleurs, encore aujourd'hui. Les planches grouillent de petits détails marrants et de dialogues improbables _notamment dans les scènes qui ont pour décor LE sex-shop de l'histoire. Si l'album se destine bien à un public adulte (aucun doute permis là-dessus) il arrive à parler de sexe de façon décomplexée sans être malaisant. 

C'est exactement le comic vif et divertissant dont j'avais besoin pour mettre le quotidien entre parenthèses l'espace d'une petite heure. Vivement que je chope la suite !