Il ne fait pas bon être un lombric du parc du Sausset.
"Pour pouvoir observer les vers de terre qui vivent dans le parc, nous allons arroser le sol avec un mélange d'eau et de moutarde. A votre avis, pourquoi devons-nous faire ça ?"
Après nous avoir regroupés dans la salle d'exposition de la Maison pédagogique du Parc, l'animateur énonce aux 6° le "protocole des placettes à vers de terre" qu'ils vont devoir suivre à la lettre. Eh oui, ce matin, c'est sortie SVT au parc du Sausset pour un comptage de lombrics dans les règles de l'art.
Dehors, il pleut des cordes, pour changer.
"Comme leur nom l'indique, les vers de terre vivent dans la terre. Si nous voulons les compter et les différencier, nous devons les faire remonter à la surface. Il faut savoir que les vers de terre n'aiment pas la moutarde. Alors, lorsque le mélange va pénétrer la pelouse, cela ne va pas leur plaire et ils vont remonter à la surface pour s'éloigner de ce produit. A ce moment-là, vous les attraperez et vous les placerez dans votre bac de rinçage pour les nettoyer, les compter et les identifier."
Cette consigne est ponctuée d'un cri de dégoût général.
"Jamais j'attrape ça avec mes mains !
_ Monsieur, on aura des gants, même ?
_ Non. Vous savez, ce n'est pas sale ! On se lavera les mains à la fin de l'activité.
Après, je ne sais plus trop ce qu'il s'est dit. Malgré sa compétence et la grande clarté de son propos _ ce médiateur est vraiment super !, j'avoue qu'il m'a perdue lorsqu'il s'est attaqué à la technique permettant de distinguer le cul de la tête sur un spécimen donné.
Par chance, le ciel a bien voulu nous accorder une accalmie le temps de l'expérience _qui allait durer 1h30, l'air de rien. J'ai beau être plus qu'habituée aux espaces verts, je me sens un peu déphasée au milieu de ce pré qui part en champ de patates à force d'avoir été trépigné par des pieds d'enfants.
_ Oh non, j'ai sali mes chaussures ! Ma mère va me tuer !
Autour de moi, Cécile engueule les garçons qui se poursuivent en courant et qui tapent leurs semelles sur le mur de la Maison du Parc.
_ Pourtant je vous avais bien dit de ne pas venir avec des chaussures neuves !
Trois équipes de cinq ou six élèves se sont formées ; chaque groupe a sa parcelle d'un mètre carré clairement délimitée à observer, son jus de moutarde, son bac de rinçage, une fiche d'observation à compléter, une clé de détermination plastifiée : l'opération peut commencer. Alhame et Radia se battent pour manier l'arrosoir et naturellement en foutent partout sauf sur la zone à traiter. Personne ne veut remplir la fiche d'observation. Delphine finit par s'y coller à contrecœur, et indique laborieusement les conditions de l'expérience. Température : 3°. Sol détrempé. Temps couvert.
Une fois l'intoxication réalisée, on attend comme des cons au bord de nos placettes ; le froid nous raidit. Alors que je suis en train de me dire que non, vraiment, j'ai jamais signé pour faire des trucs comme ça ! le petit Amadou pousse un de ces cris stridents dont il a le secret.
_ En voilà un ! Traduit Christophe.
Malheureusement, le grand lombric qui s'extirpe péniblement d'une touffe d'herbe a choisi de sortir en dehors de la parcelle. Il ne peut donc pas être comptabilisé.
Ses congénères seront mieux inspirés ; effectivement, ça marche ! Bientôt, les bestioles apparaissent par dizaines. D'abord craintifs et précautionneux dans leurs mouvements, les enfants s'emparent bientôt des vers avec une dextérité proche d'un bec de poule pour les plonger aussitôt dans leur petit bassin de rinçage. Je n'y croyais pas, mais pourtant il faut bien le reconnaître : la magie peut s'opérer quand les élèves manipulent et sont mis en responsabilité.
_ Celui-là, c'est un endogé !
_ Bien, Sofiane !
Bon, l'endogé finira dans les cheveux de Léna quelques instants plus tard. On a parlé de "magie qui peut s'opérer", pas de miracle.
_ Madaaaame il est dans ma capuche ! il est dans ma capuche !
_ Sofiane !!!
_ Mais c'est parce qu'elle m'a pas rendu mon quatre couleurs !
_ Crasseux ! Il l'a vraiment fait !
_ Ca s'fait paaas !!
Pendant que les vers s'exilent dans les mains d'enfants curieux pour ne pas finir imbibés d'Amora, la parcelle du groupe d'Amadou reste déserte, à l'exception du fameux lombric sorti en dehors des limites du terrain d'observation. La réussite des deux autres équipes commence à les frustrer presque autant que de devoir rester immobiles sur une vaste pelouse qui a des airs de terrain de foot.
_ Quoi, vous en avez toujours pas, vous ? Mais vous avez bien arrosé, même ?
_ Trop guèze !
_ On s'en fout, on n'en a qu'un mais c'est le plus gros.
_ Oui mais il compte pas !
A quelques mètres de là, ça se frite pour savoir qui sera chargé de sortir (délicatement) les lombrics du bac de rinçage pour les relâcher dans l'herbe. Ahlame et Radia s'écharpent encore en s'accrochant au petit tupperware d'eau douce, dont quelques gouttes ont giclé.
De loin, il m'a semblé voir un petit épigé faire le saut de l'ange avant de passer sous une basket.
_ Bah non, Stéphane vous a expliqué que les vers étaient à la fois mâles et femelles. Soit votre ver n'a pas de bourrelet et ça veut dire que c'est un juvénile, soit il en a un et ça veut dire que c'est un adulte.
_ Même le gros, là ?
Six paires d'yeux se penchent au-dessus du bac de rinçage dans lequel un long ver sombre au clitellum orangé flotte mollement.
_ Tout à fait !
_ Ah...
Delphine n'est pas convaincue ; j'ai pas fait trois mètres que je l'entends déjà marmonner.
_ Non mais les roses transparents, là, c'est des meufs, obligé !
A la fin de la séance, les garçons n'ont toujours pas pu observer le moindre ver, si ce n'est les quelques uns que les autres équipes ont fait voltiger depuis leur placette jusque dans la leur, par pure solidarité. Pendant ce temps, le grand lombric semble prendre un malin plaisir à suivre le contour de la parcelle sans jamais y entrer.
"Madame, regardez ! Celui-là, c'est le ver poucave ! C'est lui qui dit aux autres de pas r'monter ! C'est à cause de lui qu'on n'en a eu aucun, si ça se trouve.
_ Espèce de grosse poucave, le ver !"
Bilan des courses : même si je suis retournée au collège en annonçant à des collègues, dans un demi sourire, que j'avais "compté des vers de terre toute la matinée", même si j'écris ce billet quelque peu moqueur, ne crachons pas dans la soupe : les enfants ont travaillé ce matin-là, qu'ils se sont impliqués et ont appris des choses. Donc ouais, il faut vraiment développer des projets pédagogiques comme cela, car ils sont une mine d'or pour tous les jeunes et en particulier pour ceux qui la vie d'écolier ou de collégien est habituellement difficile. Ça ressemble à du vent, à des gadgets, mais c'en est pas du tout.
_ Espèce de grosse poucave, le ver !"
Bilan des courses : même si je suis retournée au collège en annonçant à des collègues, dans un demi sourire, que j'avais "compté des vers de terre toute la matinée", même si j'écris ce billet quelque peu moqueur, ne crachons pas dans la soupe : les enfants ont travaillé ce matin-là, qu'ils se sont impliqués et ont appris des choses. Donc ouais, il faut vraiment développer des projets pédagogiques comme cela, car ils sont une mine d'or pour tous les jeunes et en particulier pour ceux qui la vie d'écolier ou de collégien est habituellement difficile. Ça ressemble à du vent, à des gadgets, mais c'en est pas du tout.
=> Voici le protocole bien mieux expliqué que je ne pourrais le faire sur le site de Vigie Nature Ecole.
=> Toi aussi, contribue à l'avancée scientifique en t'engageant pour l'Observatoire Volontaire des Vers de Terre !
=> Toi aussi, contribue à l'avancée scientifique en t'engageant pour l'Observatoire Volontaire des Vers de Terre !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire