Ma grand-mère a tapiné en parallèle de son travail à l'usine pendant très longtemps. Lorsqu'elle est tombée enceinte de mon père, j'imagine que le monde a du s'effondrer pour elle ; il allait bien falloir qu'elle se marie avec ce cheminot dont elle avait déjà eu une fille quatre ans auparavant. Comme l'idée d'une interdiction d'accès au baisodrome sur plusieurs mois ne l'enchantait guère, elle a tenté de se faire avorter. Ce n'était pas la première fois qu'elle réglait le problème de cette manière, mais ce coup-ci, ça n'a pas voulu... Mon père est né, et à survécu malgré les tentatives d'"accidents malencontreux" entravés par des aïeux qui avaient l'oeil. Elle lui en a toujours voulu, et lui en veut toujours de n'avoir pas réussi à le détruire.
Sa contrariété s'est étendue à l'ensemble de notre famille : ma mère est devenue sa cible favorite, ma soeur et moi avons fait l'objet d'un intérêt malsain où pointait le désir de nous voir échouer, de repérer d'éventuelles faiblesses. En effet, "la vieille", comme nous l'appelons, tenait trop à son image de gentille petite mamie un peu chaudasse mais innocemment folle pour nous haïr ouvertement. Elle usait, et use encore des petits chemins forestiers pour nous atteindre en plein coeur et soulever nos tripes.
L'une de ses techniques favorites était de nous assaillir d'appels téléphoniques anonymes, pour nous insulter ou nous intimider. Je me souviens qu'elle avait une fois traité ma mère de "race à détruire", de "sale juive" (pour l'anecdote : on n'a jamais su d'où ça sortait puisque ma mère n'est pas juive...). Dit de cette manière, la situation semble plus cocasse qu'autre chose, mais en vérité ces mauvaises blagues nous mettaient le cerveau en vrac pendant des jours. Si on savait qu'elle était derrière chaque sonnerie malveillante, on savait aussi qu'on ne pouvait rien faire sans preuves. Lorsque mon grand-père, retraité de la SNCF et par extension alcoolique notoire, la cognait sur le coup de seize heures, je ne la plaignais pas outre mesure. Lorsqu'elle venait se planquer chez nous, qu'on devait fermer tous les volets à la hâte et nous murer en silence toutes les quatre _elle, ma mère, ma soeur et moi_ en attendant dans l'obscurité que "le vieux" se calme et ait terminé de faire le tour de la maison en hurlant, je la maudissais. Car oui, allez savoir comment l'affaire s'est goupillée : nous sommes également voisins...
Je devrais "essayer de la comprendre", avoir de "l'empathie", "me mettre à sa place deux minutes, pauvre femme quand même!", mais cela m'est impossible. Elle a certes vécu des choses douloureuses, or elle a pris le parti de passer ses nerfs sur des gens qui n'y sont pour rien et qui se sont résignés à subir sans se révolter.
Résultat des courses : j'ai appris, à son contact, à me méfier des "gentilles petites vieilles". Et grâce à elle, une sonnerie de téléphone ou des coups lancés dans une porte peuvent me faire activer le "mode danger" en une fraction de seconde.
Agence Pertinax - Jean-Philippe Arrou-Vignod (1996)
Il y a quelques mois de cela, nous avions fait un focus sur un épisode des aventures de PP Cul-Vert et de ses deux acolytes Rémi et Mathilde. Aujourd'hui, remettons sur le devant de la scène l'un de nos auteurs jeunesse bordelais préférés par le biais du roman Agence Pertinax.
A l'aube des vacances de juillet, Matt, seize ans, mange son pain noir : il vient de rater le brevet et ne parvient pas à trouver le job qui l'aidera faire passer plus vite ces deux mois d'été dans la cité. Comme sa mère ne roule pas sur l'or et que son frère est récemment parti de la maison, l'adolescent culpabilise d'être une source de tracas supplémentaire pour son entourage. Il paierait cher pour un peu plus de réussite.
Un jour, il répond sans trop y croire à une offre d'emploi dans un cabinet de détectives privés : l'Agence Pertinax. Le descriptif n'est pas très détaillé, mais après tout, pourquoi pas ? L'entretien est concluant, à la grande surprise de Matt qui n'a toujours pas très bien compris ce qu'il aura à faire. Il se prend donc à s'imaginer dans la peau d'un apprenti détective au potentiel prometteur.. mais retombe vite sur Terre lorsque Clara, la secrétaire, lui fait visiter l'endroit : sa tâche consiste à ranger les enquêtes résolues et les dossiers des clients dans la salle des archives ! Le parfait boulot de con ; enfin, c'est mieux que rien.
Heureusement, il sympathise rapidement avec la très jolie fille de la femme de ménage, Schéhérazade. C'est une habituée des lieux qui n'a pas les yeux dans sa poche et qui, par son franc parler, pousse Matt à se découvrir des talents cachés. Autant dire que son quotidien s'en trouve fortement amélioré.
Un jour, à l'heure du déjeuner, une vieille dame appelée Esther Rosenbaum frappe à la porte de l'agence : elle souhaite parler à M. Pertinax, le big boss, car elle se sent en danger. Dans son voisinage, quelqu'un tente de l'intimider depuis plusieurs mois ; au début, elle ne prêtait pas attention aux lettres et aux appels téléphoniques anonymes, mais à présent elle a peur. Matt et Schéhérazade ne savent que faire : tous les détectives sont en pause, et eux-même ne sont pas habilités à traiter l'affaire. Or, il ne serait pas humain de laisser la mamie à la rue sans lui porter secours. Sans rien dire à personne, ils décident de prendre l'enquête à leur compte et de se lancer à la poursuite du harceleur comme des pros. C'est culotté, mais c'est pour la bonne cause !
Je suis peut-être influencée par ma lecture récente de PP Cul-Vert et le monstre du Loch Ness, mais Matt m'a un peu fait penser au personnage de Rémi. Tous deux narrateurs, ces garçons se sentent médiocres pour ne pas dire "nuls" alors qu'ils ont bien des qualités dont ils vont prendre conscience au fil de leurs aventures : pour les jeunes lecteur, il est très importants de rencontrer des héros qui, comme eux trop souvent, n'ont pas une très forte estime d'eux-même _à tort ! Comme Mathilde, Schéhérazade est le "cerveau" de l'équipe : rusée, vive d'esprit, elle a une expérience de la vie et une clairvoyance qui lui donnent une longueur d'avance sur son binôme : un personnage féminin fort comme on en a besoin aussi.
Les investigations de Matt et de Schéhérazade tiennent la route ! Structurée et bien rythmée, elle reste réaliste tout en étant assez facile à suivre, et nous fait rencontrer des figures hautes en couleur : une mamie au passé douloureux, un voisin facho, des jeunes de banlieue turbulents mais pas trop méchants, un détective faussement désinvolte mais terriblement efficace.. Bien sûr, l'histoire a pris vingt ans dans les dents, et ça se sent... On paie en francs, les malfrats se terrorisent à coups de vieux téléphones fixes, et on trouve les bonnes adresses à l'aide du Minitel. Les caïds se font appeler Mickey, Pinpon, sans que ça ne nuise à leur crédibilité... Quant à Matt et Shéhérazade, où iraient-ils sans leur robuste Solex ?
Pourtant, comme beaucoup d'ouvrages de Jean-Philippe Arrou-Vignod, Agence Pertinax reste un classique à avoir au CDI (à mon avis, hein !).
Heureusement, il sympathise rapidement avec la très jolie fille de la femme de ménage, Schéhérazade. C'est une habituée des lieux qui n'a pas les yeux dans sa poche et qui, par son franc parler, pousse Matt à se découvrir des talents cachés. Autant dire que son quotidien s'en trouve fortement amélioré.
Un jour, à l'heure du déjeuner, une vieille dame appelée Esther Rosenbaum frappe à la porte de l'agence : elle souhaite parler à M. Pertinax, le big boss, car elle se sent en danger. Dans son voisinage, quelqu'un tente de l'intimider depuis plusieurs mois ; au début, elle ne prêtait pas attention aux lettres et aux appels téléphoniques anonymes, mais à présent elle a peur. Matt et Schéhérazade ne savent que faire : tous les détectives sont en pause, et eux-même ne sont pas habilités à traiter l'affaire. Or, il ne serait pas humain de laisser la mamie à la rue sans lui porter secours. Sans rien dire à personne, ils décident de prendre l'enquête à leur compte et de se lancer à la poursuite du harceleur comme des pros. C'est culotté, mais c'est pour la bonne cause !
Je suis peut-être influencée par ma lecture récente de PP Cul-Vert et le monstre du Loch Ness, mais Matt m'a un peu fait penser au personnage de Rémi. Tous deux narrateurs, ces garçons se sentent médiocres pour ne pas dire "nuls" alors qu'ils ont bien des qualités dont ils vont prendre conscience au fil de leurs aventures : pour les jeunes lecteur, il est très importants de rencontrer des héros qui, comme eux trop souvent, n'ont pas une très forte estime d'eux-même _à tort ! Comme Mathilde, Schéhérazade est le "cerveau" de l'équipe : rusée, vive d'esprit, elle a une expérience de la vie et une clairvoyance qui lui donnent une longueur d'avance sur son binôme : un personnage féminin fort comme on en a besoin aussi.
Les investigations de Matt et de Schéhérazade tiennent la route ! Structurée et bien rythmée, elle reste réaliste tout en étant assez facile à suivre, et nous fait rencontrer des figures hautes en couleur : une mamie au passé douloureux, un voisin facho, des jeunes de banlieue turbulents mais pas trop méchants, un détective faussement désinvolte mais terriblement efficace.. Bien sûr, l'histoire a pris vingt ans dans les dents, et ça se sent... On paie en francs, les malfrats se terrorisent à coups de vieux téléphones fixes, et on trouve les bonnes adresses à l'aide du Minitel. Les caïds se font appeler Mickey, Pinpon, sans que ça ne nuise à leur crédibilité... Quant à Matt et Shéhérazade, où iraient-ils sans leur robuste Solex ?
LE Minitel ! |
Pourtant, comme beaucoup d'ouvrages de Jean-Philippe Arrou-Vignod, Agence Pertinax reste un classique à avoir au CDI (à mon avis, hein !).
Jean-Philippe ARROU-VIGNOD. Agence Pertinax. Gallimard Jeunesse - Folio Junior, 1996. 139 p. Ill. P. Munch, Y. Nascimbene. ISBN 2-07-051521-4
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