Les cinq premières minutes sont toujours un temps d'échauffement, même sur un 10km.
Les pieds connaissent la route, trouvent leur rythme sans que j'aie besoin d'y réfléchir, à présent.
Y a deux ans, de sombres trous du cul riaient en me voyant courir au canal ou à la voie verte.
Aujourd'hui, plus personne ne rit, et je me fais même alpaguer par des coureurs _des vrais.
"T'es dans un club ? Non ? Viens courir avec nous !"
Je dis pas ça pour me faire mousser _enfin si, un peu quand même... vite fait.
Mais sachez-le, si je peux, tout le monde peut.
Si vous avez la chance de trouver le truc qui vous plaît, qui vous fait vous sentir bien, qui vous réconcilie avec votre enveloppe, accrochez-vous, même si vous avez le sentiment de partir de très loin et de pas être spécialement doué.
L'histoire
Barnabé Bouton aime les champs épanouis, les animaux en liberté, la soupe au lard de sa grand-mère et la jolie Rosa Valet. S'il pouvait attirer ne serait-ce qu'un regard bienveillant de cette dernière, il serait vraiment un paysan comblé. Mais elle l'ignore royalement. Il faut dire que dans le village qui l'a vu grandir et qu'il ne songerait pas une seconde à quitter, il est avant tout le "gros Barnabé", un brave simplet déjà assez costaud pour travailler autant qu'un adulte. A dix-sept ans, il est conscient de son physique peu avantageux, mais il ne s'en formalise pas : il sait qu'il est inutile d'être beau, svelte et diplômé pour faire pousser les céréales.
Pourtant, ce Giono en herbe nous prouve qu'on peut très bien avoir les bottes dans la terre et la tête dans la lune : lorsque la nuit tombe, Barnabé devient Chevalier B et compose des poèmes enflammés, des odes à la nature pour sa bien aimée. Après quoi il enfourche son solex et roule jusque chez elle, en pleine nuit, pour les déposer dans sa boîte aux lettres. Rien de bien méchant jusque là _ ok, c'est un peu flippant, mais c'est pas méchant. Sauf que les élans écologico-amoureux de ce garçon a priori inoffensif vont l'emmener un peu trop loin. Une nuit, il sabote un champ de maïs transgénique à coups de désherbant. A quelques matins de là, un exploitant trouve son élevage de poulets désert, toutes portes ouvertes. Jusqu'où Barnabé ira-t-il pour sauver le monde et impressionner la fille de ses rêves ?
José Bové likes it ! |
Etre d'ici ou ne pas être
Les premiers chapitres m'ont laissée perplexe, je dois le dire. Qu'est-ce que c'était que ce catalogue de clichés sur la vie à la campagne ? Le choix de ce roman pour le CDI avait pour une origine la volonté de casser les représentations du paysan véhiculées par les médias auprès des jeunes _après tout, l'Amour est dans le pré est au monde rural ce que Sept à Huit est à celui des banlieues_ mais j'ai bien cru qu'on était partis pour obtenir l'effet inverse. Ici, des autochtones méprisant "le" citadin, trop incultes pour faire la différence entre Lyon et Paris. Là-bas, des pères de famille aussi taciturnes que violents _mais juste quand il faut, hein, vous inquiétez pas, on n'est pas des bêtes..., des mères qui n'ont pas vraiment droit à la parole, assignées qu'elles sont aux remplissage des gamelles humaines et animales. Plus loin, les gens venus d'ailleurs ne se mêlent pas aux "bouseux", et réciproquement, puisqu'on admet sans problème qu'ils sont d'une "autre trempe". Il ne manquait plus que les dialogues en patois pour que le compte soit bon...
Conte de chez les oies
En fait, Chevalier B ne doit pas être lu au premier degré. Je me suis laissée abuser par le décor rural, qui me poussait à coller sur cette histoire une étiquette de roman "réaliste". Jusqu'à ce que je comprenne que si certains passages n'étaient pas trop crédibles, si les personnages étaient assez typés, si certaines situations étaient de plus en plus tirées par les cheveux, c'était sans doute un choix réfléchi de l'auteure, tout simplement. A partir du moment où Barnabé passe la ligne rouge (je n'en dis pas plus pour ne pas spoiler), on glisse dans le conte. Conte de fées ? Conte philosophique ? J'ai lu cette dernière formule dans une critique de lecteur sur Babelio, et je trouve qu'elle est bien trouvée... Un conte en tous cas, avec son chevalier (Chevalier B), sa princesse inaccessible (Rosa), et ses opposants, ses Candide en plein apprentissage de la vie (Barnabé, Rosa aussi), ses merveilleuses coïncidences _ car aller à Paris pour retrouver une fille dont on a pas l'adresse ET la retrouver le jour-même, c'est quand même pas banal... Son château aussi, puisque Barnabé va se lancer dans une entreprise de rénovation - agrandissement fort ambitieuse !
Un conte qui soulève des questions bien réelles et qui engage à la réflexion, à défaut d'apporter des réponses : les OGM, la maltraitance des animaux _je pensais vraiment que l'histoire allait tourner autour des débats écologiques, mais Barnabé s'en éloigne assez vite..., le deuil, la difficulté et le danger du métier d'agriculteur, le vieillissement de l'entourage, la solitude _toujours plus pesante en pleine campagne, les différentes formes d'amour, aussi.
THE destrier de Chevalier B Stan, si un jour tu repasses par là : le solex, c'est cadeau ! |
L'amour en solex
Je voudrais attirer l'attention sur le fait que ce cher Barnabé Bouton, fils honnête, petits-fils aimant et dévoué, père de substitution irréprochable... est quand même une graine harceleur qui s'ignore ! Eh oui, même s'il ne veut que du bien à Rosa, il lui envoie quotidiennement des messages anonymes, la surveille du coin de l'oeil, et malgré le râteau qu'elle lui balance, s'obstine à bâtir sa vie en l'imaginant comme sa future femme, la mère de ses enfants... Sans parler de l'irruption à l'improviste dans son petit univers, bien des années plus tard _ou il pourra d'ailleurs mettre en pratique ses qualités de preux chevalier ! Alors évidemment, Martine Pouchain a sûrement voulu, je pense, mettre en valeur cet amour obsessionnel qu'on développe tous à un moment ou à un autre pendant l'adolescence, toujours teinté d'admiration, de rêve aussi, souvent dirigé vers quelqu'un qu'on connaît assez mal pour pouvoir l'idéaliser. Un amour qu'on trouve beau et pur, mais dont on ne mesure pas la portée effrayante, voire oppressante. Et une fois de plus, ça sonne très juste. Mais Barnabé nous rappelle qu'une situation de harcèlement peut aussi naître de sentiments positifs mal exprimés, frustrés, maladroitement repoussés... ce qui ne l'excuse aucunement, d'ailleurs.
Chevalier B : à lire si..
... vous vous posez des questions existentielles.
... vous avez aimé Bagdad 2004 (même auteure)
... vous aimez les histoires qui finissent bien, mais pas trop non plus, sinon c'est niais !
... vous aimez quelqu'un qui n'en a rien à foutre de votre face de rat
... vous vous trouvez moche et que vous craignez que ça vous empêche de réussir
... vous vous sentez mal à l'école et que vous avez peur de ne pas vous en sortir...
Ce roman vous mettra sur la piste de vos propres réponses...
Martine POUCHAIN. Chevalier B. Sarbacane, 2007. Coll. "Exprim'". 202 p. ISBN 978-2-84865-165-1
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire