dimanche 1 décembre 2013

La sélection Larme de Rasoir du CDI : Tout contre Léo - Christophe Honoré (1996), Anka - Guillaume Guéraud (2011), La liste des fournitures - Susie Morgenstern (2002)


Comme je sens que vous allez bientôt me dire d'arrêter de me lamenter et de bâcher tout le monde, j'anticipe par la dérision : alors qu'à Montreuil on vient de décerner les "Pépites" au Salon du Livre et de la Presser Jeunesse, j'inaugure dès maintenant la toute première édition de la Larme de Rasoir du CDI. Ce sera une sorte de "top déprime" des ouvrages de fiction qui constituent notre fonds documentaire. Autant dire qu'il y a le choix, parce qu'entre la maladie, la mort, le stress, les idées noires des héros ados, la littérature de jeunesse nous envoie tellement de situations réalistes dans la tronche qu'on ne sait plus trop si on doit se tailler les veines ou se pendre avec.

Les prix ont été démocratiquement décernés par moi-même, faute de mieux : insurgez-vous si vous n'êtes pas d'accord !

La Palme Tailladée ... 



... revient à Tout contre Léo, de Christophe Honoré. 

Voyant la journée internationale de lutte contre le sida approcher à grand pas (pour finalement tomber un dimanche), je me suis dit qu'il serait de bon ton de mettre en valeur les fictions parlant plus ou moins directement de ce virus qu'on n'a pas fini de combattre. La recherche dans le catalogue a déterré ce seul et unique roman publié en 1996 à l'Ecole des Loisirs : autant le lire, tant qu'à faire. Marcel, 10 ans, est le petit dernier d'une fratrie de quatre garçons. Ses parents et ses trois frères aînés le couvent jusqu'à putréfaction tout en le surnommant "P'tit Marcel". Mais bien sûr, il fallait qu'un drame vienne troubler la petite famille bretonne tranquille et unie : Léo, le plus beau des quatre, celui qui enchaîne les copines, a chopé le sida et se sait condamné. Marcel l'apprend en écoutant les conversations des "grands" et ne comprend pas pourquoi tout le monde s'obstine à lui cacher la vérité. D'ailleurs, est-ce que tout cela est bien vrai ? Léo n'a pas l'air malade ; et puis le sida, c'est bien une maladie de pédé, non ? Entre déni de la réalité et manque d'informations, l'enfant enchaîne les conneries.

J'ai toujours quelques appréhensions à lire des histoires racontées par un narrateur enfant, car on y reconnait souvent trop nettement la parole de l'auteur à peine voilée par quelques mots en verlan et deux ou trois vulgarités pas trop hard. Histoire de faire croire que c'est un gosse qui s'adresse à nous, avec sa petite voix de vieux sage. Sur ce point, P'tit Marcel ne fait pas figure d'exception, mais mon regard d'adulte m'empêche peut-être de rentrer dans le jeu : à mon avis, le jeune lecteur n'aura pas matière à se plaindre d'un héros "qui sonne faux". N'oublions pas que ce court roman est sorti en 1996, c'est à dire pendant une période où le sida était au centre de toutes les attentions. Tout comme Marcel, j'avais 10 ans à ce moment-là et autant dire que dans la cour de récré, il suffisait qu'un gars tombe et s'écorche le coude pour que l'ambiance tourne à la psychose : "l'approchez pas, vous allez choper le sida !". Mon pote Sylvain avait même menacé Rémi, le criquet au visage anguleux qui séchait tous les samedis matin, de le contaminer volontairement dès sa prochaine chute. Alors, si je me permets de citer Christophe Honoré pour le caractère plombant de son ouvrage, ce n'est que pour mieux valoriser sa démarche : il choisit d'aborder un sujet grave à travers le ressenti et l'incompréhension d'un proche, sans porter de jugement, sans faire culpabiliser qui que ce soit. "C'est la moindre des choses !" direz-vous. Certes, mais il y a 20 ans, ça ne l'était pas !





Le prozac d'or ...



... c'est pour Anka, de Guillaume Guéraud. Chacun a son chouchou : ma tutrice adore Mourlevat, je vénère Guéraud, les deux sont aussi désagréables l'un que l'autre, affirme-t-on ça et là. Mais comme dirait Nicole*, "on" est un con ! D'ailleurs, dans le cas où leur sale caractère serait avéré, est-ce qu'il ne vaut pas mieux avoir à faire à un vrai chieur plutôt qu'à un faux gentil ? A méditer ! Mais revenons à nos chevrettes. Anka est le dernier roman pour ado publié en 2012 par l'auteur de Je mourrai pas gibier. Il constitue rien moins que mon dernier craquage, puisque je l'ai acheté au Salon du Livre et de la Presse Jeunesse (the famous), pendant que les 4° choisissaient dans quoi ils allaient bien pouvoir griller leur chèque-livre de 8euros. "S'il n'est pas trop trash, je le mettrai au CDI", me suis-je dit pour me donner bonne conscience, tout en sachant très bien que si, il le serait sans doute trop !    




Marco Fontan, 14 ans, est un apprenti looser : élève de troisième en pleine crise d'ado, sans projet d'avenir, perturbateur en classe, Marseillais, la totale ! Il avance péniblement ses devoirs de géométrie, bien au calme dans la maison familiale, lorsqu'on cogne à la porte. Des flics entrent, lui annoncent la mort de sa mère, et repartent aussitôt. Alors qu'il peine à réaliser la gravité de la situation, sa mère passe la porte d'entrée comme si de rien n'était.

Et là, je me dis : "ça y est, on est partis dans un délire à la Paul Auster avec quête de l'identité dédoublée puis éparpillée dans quinze personnes différentes, qui disparaissent pour réapparaître sous un autre nom !". En fait, pas du tout !

Les parents de Marco se voient obligés de lui révéler un secret familial vieux de dix ans : pour gagner quelques centaines d'euros, M. Fontan a magouillé un mariage bidon avec Anka Petrescu, une inconnue sans papiers. Pour la jeune femme, c'était la seule solution de régulariser sa présence en France. Chacun ayant tiré parti de la situation, ils se sont séparés pour ne plus jamais se revoir. Sauf que c'est Anka qui est morte, sous le nom de "Mme Fontan". Marco se passionne soudain pour cette mystérieuse femme rétamée à 29 ans par la tuberculose, devenue chômeuse et SDF : il tente de remonter son parcours en s'aidant du peu d'éléments dont il dispose.  

Nous voilà partis pour une lapidaire quête de 108 pages et 13 chapitres, intercalés de "morceaux" de la vie d'Anka, disposés de manière ante-chronologique depuis sa mort dans le parc jusqu'au jour du mariage. Oh, que voilà un judicieux procédé ! Au fur et à mesure que Marco court après son fantôme, Anka retourne sur ses pas. Que faut-il comprendre ? A vous de voir.


Difficile de critiquer Guillaume Guéraud : je n'ai pas encore trouvé d'écrivains qui sachent traduire aussi justement ce qui se passe dans la tête des jeunes paumés. Lire la pensée du héros et se dire "ah, j'aurais très bien pu prononcer les mêmes insanités quand j'avais quinze ans, j'aurais très bien pu avoir envie de cogner, de réagir comme lui", c'est à la fois fascinant et flippant. Est-ce parce que l'écriture est agréable, voire limpide, parce que j'adore les marques d'oralité dans les textes _du moins quand c'est instillé avec naturel_, parce que la scène de violence extrême finale est décrite avec une telle clarté qu'une vidéo n'y ajouterait rien ? J'en sais rien.

Cela dit, avoir mis Anka dans la sélection Larme de Rasoir avant-même de l'avoir lu laissait présager de la joyeuseté de l'intrigue. Guillaume Guéraud deviendrait-il prévisible ? Je dois bien reconnaître qu'en lisant son dernier roman, j'ai cru reconnaître le personnage principal de Je mourrai pas gibier, mêlé au héros de Blog (Jean-Philippe Blondel) et à celui de Paranoid Park (Blake Nelson). Et un poil de Quentin dans Quentin sur le quai (Françoise Grard). Ca fait un peu beaucoup. Le collégien ou le lycéen dans la moyenne, voire en dessous, perdu, indifférent à tout mais pas forcément innocent, pas toujours attachant, pas toujours sympathique...pourrait-il être, d'ici quelques années, le héros typique des romans ados ?


La corde de bois....


... de chauffage !!
Bah quoi, après tout, André Breton avait bien mis une photo de gant en plomb dans Nadja !

La corde de bois...

... étranglera gaiement La liste des fournitures de Susie Morgenstern.
Quand j'ai vu que nous avions ce livre au CDI, je me suis dit : non mais elle est sérieuse, là ? Quelle sorte de gosse pourrait bien être attiré par un livre intitulé La liste des fournitures ? Même moi, qui faisais croire à mes parents que j'aimais l'école pour me faire bien voir, je n'aurais pas poussé le focuisme jusqu'à emprunter ça à Monette ! Vous savez, la bibliothécaire à pustule ? Bref, peu importe.
Du coup, je l'ai lu.

Et 10 ans plus tard ...

... Cerise de GROUPAMA !!

L'histoire commence à la fin du mois de juin, dans une école. Emma, Ugo, Farida et Josselin sont quatre élèves de CM1 qui se connaissent mais qui ne sont pas dans la même classe. Leurs quatre profs respectifs viennent de leur remettre la liste des fournitures en vue de la prochaine année scolaire. Mais qui dit profs différents dit listes différentes : Emma s'émerveille déjà en lisant l'énumération des articles demandés par Mme Sylvie ; Ugo se sent lésé car Laure, la maîtresse, n'a pas pris la peine de demander quoi que ce soit pour la rentrée ; Farida va pouvoir rêver tout l'été de son prof Alexandre puisqu'il ne réclame ni cahiers ni crayons, mais des souvenirs de vacances. Enfin, Josselin est désarçonné devant la liste de la vieille et sévère Mme Plumecoq : c'est une suite de sentiments à définir par écrit sans utiliser le dictionnaire. De quoi stresser et réfléchir pour tout l'été ! Emma aura un mal fou à dégotter le matériel imposé par Sylvie, Ugo va s'inventer des fausses listes pendant deux mois en se demandant pourquoi il a une maîtresse aussi "débile", Farida tentera coûte que coûte d'apporter tous les souvenirs listés, et Josselin définira avec ses mots l'"intelligence", l'"amour", une "graine de folie"... mais sera-t-il compris ?

En tous cas, moi j'ai pas compris la fin de l'histoire... et visiblement je ne suis pas la seule.

Ou comment passer juillet avec l'école en toile de fond... L'utilisation du sujet est cependant plutôt ingénieuse dans le sens où on nous présente plusieurs types d'enseignants qui ont chacun leur manière d'exercer  leur métier, et dans la mesure où la "liste" sert surtout de fil conducteur au suivi des quatre enfants pendant leurs deux mois de vacances, également très éloignés les uns des autres. Comme vous l'avez compris, l'histoire ne m'a pas branchée outre mesure, mais l'écriture est agréable et l'ouvrage est bien illustré. Ce livre est, apparemment, souvent utilisé en classe de CE2 - CM1 comme lecture suivie.


La mention Chant du Cygne



...revient à deux romans hors compétition dont j'ai déjà parlé ici-même _ raison pour laquelle ils ne peuvent être nominés_ :

- Maboul à zéro - Jean-Paul Nozières
- Mongol - Karin Serres

HAUTS LES COEURS !!!!

Bibliographie : 

GUERAUD, Guillaume. Anka. Editions du Rouergue. Coll. "Doado". 2012. 108 p. ISBN : 978-2-8126-0302-0

HONORE, Christophe. Tout contre Léo. L'Ecole des Loisirs. Coll. "Neuf". 1996. 126 p. ISBN : 978 - 2211-037785

MORGENSTERN, Susie. La liste des fournitures. L'Ecole des Loisirs. Coll. "Mouche". 2002. 77 p. ISBN 978-2-2110-66006



* Une ancienne collègue du Mirail, spéciale dédicace !!

1 commentaire:

Bubulle!! a dit…

C'est super de nous dévoiler enfin le passé de Cerise !!^^