samedi 19 janvier 2013

Les Aventuriers de la Mer - 4 - Brumes et tempêtes - Robin Hobb (2004)


Ah, autant les illustrateurs me laissent souvent dubitative, autant là je dois dire que j'ai beaucoup apprécié la couverture de "Brumes et tempêtes", tome 4 des Aventuriers de la Mer, dans la collection "Piment". Pourquoi ? Parce que je trouve que le mât et les voiles du navire sont dessinés avec une précision émouvante. De même que les féroces serpents de mer du premier plan. 

Évidemment, la fille à poil en plein milieu ne gâche rien.



Allez, trêve de matage !


Où est-ce qu'on en était ? 

Ambre, la magicienne vendeuse de bijoux en bois sorcier, a toujours dans l'idée de sauver la vivenef Parangon d'une probable mise en pièces par ses propriétaires. Comme la capricieuse figure de proue n'est pas pressé de montrer sa reconnaissance, leurs échanges meurent aussi vite que les vagues sur la plage de Terrilville. A quelques lieues de là, Malta continue à briser les cœurs et à scandaliser son entourage. Conformément à la tradition, Ronica et Keffria accueillent du mieux qu'elles le peuvent la famille Khuprus, en espérant que les sentiments du jeune Reyn pour Malta partiront aussi vite qu'ils sont venus. Mais il semblerait que le jeune marchand du Désert des Pluies n'ait pas pour habitude de faire les choses à moitié : la cour qu'il mène auprès de sa prétendante respire à la fois la sagesse et la passion.

Il est peu question de Brashen dans "Brumes et tempêtes" ; on sait seulement qu'il s'est engagé sur la Veille de Printemps, un navire contrebandier où tout lui paraît louche... à commencer par le capitaine, face à qui il doit sans cesse peser ses mots. Sans doute se jetterait-il à l'eau s'il voyait Althéa prête à céder aux avances de Grag, le fils du marchand Ténira, qui l'a recueillie et adoptée à bord de l'Ophélie.

Vivacia a été capturée par l'équipage du capitaine Kennit et a vu périr une grande partie de son équipage. Entre le pirate mal en point et la vivenef des Vestrit, un lien inexplicable se tisse : lui se plaît à la charmer et elle, à l'écouter parler. Leur relation est aussi frustrante pour Hiémain, héritier du bateau, que pour Etta, la favorite de l'homme estropié. Pourtant, ils vont devoir faire abstraction de leur jalousie et réunir leurs forces pour soigner Kennit, qu'il faut amputer proprement vu qu'il suinte méchamment. La lourde tâche du saucissonnage au couteau rouillé va d'ailleurs revenir au prêtre novice, guidé par la bienveillante Vivacia ... que, contrairement à l'illustrateur Gilles Francescano, je n'imaginais pas pourvue d'une poitrine généreuse.



Mais c'est quoi ce méchant ? 

Depuis le début de la série, les propriétaires des vivenefs ne cessent de chuchoter d'énigmatiques reproches à l'encontre d'un certain "Gouverneur", qui aurait pour principaux traits de caractère d'être injuste et peu consciencieux dans ses fonctions. Aussi puissant qu'incompétent, il est redouté des anciennes familles de marchands de Terrilville, car il se soucie peu de leur déchéance. Pourtant, il est aussi apprécié des "nouveaux marchands", qui ont du mal à respecter les codes établis par les marins depuis des générations.
Toujours est-il que, jusqu'au tome 4 des Aventuriers de la Mer, on ne sait absolument rien de celui qu'on perçoit tout de même comme l'un des "méchants", et ça commence à nous intriguer furieusement. Par chance, Robin Hobb a ici consacré un chapitre entier à la présentation du fameux "gouverneur Cosgo". Ceux qui se plaisaient à l'imaginer sadique, imposant et autoritaire pourraient bien être déçus : la bête est en réalité un adolescent attardé qui profite de son statut pour baiser à longueur de journée et planer en fumant des herbes. Il semble avoir une conception très abstraite du territoire qu'il dirige, et préfère déléguer les dossiers épineux à ses dames de compagnie. A vrai dire, Cosgo peut évoquer une pâle copie de Royal, le prince aux dents longues de L'Assassin Royal, la cruauté et l'ambition en moins. Un personnage déconcertant, donc, mais peut-être est-ce l'effet voulu, puisqu'on a déjà trouve l'homme à détester et à abattre en la personne de Kyle Havre, l'odieux père de Hiémain.


De la pute au prêtre... 

... Ou comment garder le sourire face à une porte de prison ?

A ma gauche, Etta, fille de joie de son état, mais bien décidée à apprendre le métier de pirate pour garder son client préféré dans son champ de vision. A ma droite, Hiémain, prêtre en formation, marin en formation, puceau en perdition. Vont-ils pouvoir communiquer ? Eh bien oui, car ils ont un objectif commun à atteindre : sauver le capitaine Kennit ! Mais ce ne sera pas gagné d'avance, et les débuts de leur "cohabitation" resteront longtemps laborieux.

Comme s'il n'avait pas déjà assez de malheurs et de pression, il fallait absolument que Hiémain se farcisse les sautes d'humeur de la femme du capitaine ! En effet, Etta n'est pas une fille commode ; elle a quitté Partage et son bordel natal pour rester proches de celui qu'elle aime aveuglément : Kennit le pirate. Depuis, elle ne vit qu'à travers lui, jalouse aussitôt tout ce qui l'approche d'un peu trop près, et peut littéralement mettre en pièces celui qui aurait l'idée de lui faire du mal. Forcément, dès qu'elle décèle un semblant de complicité entre le pirate, la figure de proue et le jeune prêtre, ils deviennent pour elle des rivaux tout trouvés. Hiémain aimerait bien lui dire qu'il n'a aucunement l'intention de l'exclure de leur relation de confiance, mais il n'est guère aisé de parlé à quelqu'un d'aussi buté qu'une prostituée convertie en marin.

Pourtant, la femme de caractère sans peur et sans reproche se transforme en bon petit chien chien dès que Kennit ouvre la bouche ; aussi, quand il va lui demander d'être indulgente, voire attentionnée envers Hiémain, elle va s'exécuter à contrecœur et jouer le jeu à la perfection. Le novice est bien surpris que la femme l'accueille avec une bienveillance perceptible, lors de sa descente dans la cabine du convalescent, et ne soupçonne pas les raisons d'un tel changement d'humeur à son égard. Il se laisse donc aller à croire à une amitié naissante, et pense qu'il a enfin trouvé l'oreille attentive qui voudra bien recueillir ses peines contenues depuis des mois en mer.

"Hiémain sentit une ouverture.
"Et je ne vous le demanderai pas. C'est seulement... ce serait bien de pouvoir parler à quelqu'un. Simplement parler. Il m'est arrivé tant de choses récemment. Tous mes amis sont morts, mon père me méprise, les esclaves que j'ai aidés n'ont pas l'air de se rappeler ce que j'ai fait pour eux, je soupçonne Sâ'Adar de vouloir en finir avec moi..." 
Sa voix se réduisit à un murmure quand il se rendit compte qu'il devait avoir l'air de s'apitoyer sur son sort."
(p. 225 - 226)

Que nenni ! La pute lucide et fataliste va remettre les idées en place à celui qu'elle considère comme un jeune pleurnichard incapable de se secouer, donnant lieu au passage le plus intéressant _ humainement parlant _ de l'ouvrage.        

(p. 226)
"... J'essaie de trouver le moyen de revenir à mon point de départ pour rétablir ma vie d'avant mais... 
_ Tu ne peux pas revenir en arrière, lui dit-elle franchement, d'une voix neutre. Cette partie-là de ta vie est terminée. Mets-là de côté comme une étape achevée? C'en est fini pour toi. Personne ne peut décider de ce que sera sa vie." Elle leva vers lui un regard qui le transperça. "Sois un homme. Tâche de découvrir où tu te trouves maintenant et repars de là, en faisant contre mauvaise fortune bon coeur. Accepte et tu pourras survivre. Si tu restes en arrière, en répétant que ce n'est pas ta vie, que tu n'es pas fait pour ça, tu passeras à côté. Il se peut que tu n'en meures pas, mais autant être mort, pour ce que ça te rapportera, à toi et aux autres."
Hiémain était abasourdi. Aussi dures qu'elles soient, ces paroles étaient remplies de sagesse."
(p. 226 - 227) 

Tout n'est pas bon à prendre dans la tirade d'Etta. Mais certains éléments intéresseront sans doute le lecteur qui cherche en vain un sens à sa vie ; il est dommage que Hiémain se réapproprie aussitôt les préceptes d'Etta pour les lier à ses apprentissages religieux : Sa aurait-il donc parlé à travers la bouche de la prostituée?
Cela nous importe peu, à vrai dire. J'aimerais bien revenir, plutôt, sur l'attachement qu'a Robin Hobb a décrire le cheminement mental du personnage tentant de communiquer avec la bombe à retardement qui tricote en face de lui. On a l'impression qu'une grande partie de Mikado se joue entre le prêtre, ses propres ressentis, et son interlocutrice : cerner l'Autre, quel chantier, surtout s'il est d'humeur changeante ! Hiémain, craintif, entre dans la cabine de Kennit, certain de se faire jeter par la harpie du malade. Surprise : ladite harpie lui tricote un pantalon et lui fait même grâce d'un vague sourire. Le coeur réchauffé, il se dit que c'est peut-être l'occasion de se frayer un chemin jusqu'au coeur de la femme pirate, histoire de voir ce qu'elle a dans le ventre. Mais la dame n'est pas en mal d'ami, elle : qu'il aille chialer sa mère ailleurs. La douche froide l'empêche de s'enflammer, or il veut encore y croire et saisit une parole de la prostituée comme un barreau d'échelle pour revenir à l'attaque. Ah, décidément, on a beau dire : Hiémain est un warrior à sa manière. Qui ne se découragerait pas au premier camouflet d'une fille qui ne tolère pas votre présence et vous le fait comprendre ? Qui n'aurait pas le réflexe d'éviter celui ou celle qui vous a octroyé un sourire hier, et vous envoie un pain dans la gueule aujourd'hui ? Oui, Hiémain est un type persévérant et pas dénué de courage. Ou alors, il est maso. A sa place, j'aurais pris le large.

Jeu de mots, ah ah.


Oh mon Dieu !

Rien à voir ou presque _ puisque la chanson Les Mandarines aborde à mon avis le sujet de la prostitution _  mais je voulais vous faire part de mon étonnement en réalisant à l'instant qu'Ulrika Von Glott et Marianne James étaient en fait une seule et même personne ! Bien qu'à présent cela me semble évident, je n'avais jamais fait le rapprochement.


"Les mandarines", chanson des années 30 reprise par Ulrika Von Glott. 
Chanson découverte grâce à mon premier radio réveil, qui ne captait que Radio Liberté Ribérac. 


J'en profite pour signaler que Marianne - Ulrika n'apparaît pas dans l'article Wikipedia consacré au Kadox, un jeu télévisé diffusé sur France 3 à la fin des années 1990, alors qu'elle y a bel et bien participé. Je m'en vais de ce pas apporter ma contribution, et vous laisse en compagnie d'Amanda Lear, pour patienter.



   

Voilà ! C'est fait !

Hobb, Robin. Les aventuriers de la mer. "Brumes et tempêtes". Paris. France Loisirs. Coll. "Piment". 1999. 389 p. ISBN 2-7441-7725-3 

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