jeudi 9 septembre 2010

Dino Buzzati - Le Désert des Tartares



A l'issue de pénibles années passées à l'académie miliaire pour devenir officier, Giovanni Drogo est affecté au Fort Bastiani pour son premier poste. Après deux jours de voyage, il trouve enfin cette forteresse inconnue, ou plutôt oubliée de tous, située à la frontière du royaume et faisant face au désert des Tartares. Il est assez déçu lorsqu'il se rend compte qu'il ne se passa jamais rien de ce côté du pays : aucune offensive à contrer, rien à protéger. Les soldats passent leurs journées à trépigner et à scruter le désert à la longue vue, en espérant que quelque chose les poussera un jour à se servir de leurs fusils. En gros, on se fait ch***. Tous ceux qui arrivent n'ont qu'un souhait : se tirer de ce trou paumé le plus vite possible.

En lisant les premiers chapitres du Désert des Tartares, j'ai eu une pensée émue pour mes copines professeures documentalistes récemment envoyées au vert dans des collèges sans ordinateurs, sans site internet, dont l'unique charme réside dans leur obstination à résister à Google maps, dans des CDI sans BCDI, tout pleins de beaux livres de la Bibliothèque Rose, de cassettes vidéos, de tapuscrits, de plantes dont la vie dépend de la taille des gouttières, et de poufs éventrés d'où s'élèvent quelques brins de paille ...

Où est-ce que j'en étais?
Ah oui!

Donc, Drogo est conscient d'avoir déjà grillé une bonne partie de son capital jeunesse, et ne voit pas d'un bon oeil cette nouvelle réclusion dans un édifice à la fois triste et fascinant, presque oublié de tous. Il ne rêve que de gloire, d'une longue carrière et de batailles, d'un poste plus proche de la ville, de ses amis. Alors, vite, pas de temps à perdre! Puisqu'il lui reste quelques jeunes années à sauver, il faut quitter au plus vite cette citadelle inutile. Si possible dès maintenant. Mais le commandant Matti est formel : l'officier doit d'abord patienter 4 mois, ensuite, il sera en droit de demander sa mutation.

ATTENTION SPOILER!!
Si vous voulez lire le livre, n'allez pas plus loin!!!

Sauf qu'au bout de quatre mois, Drogo renonce à partir. Finalement, il trouve un charme fascinant au Fort Bastiani, aux murailles si pittoresques au soleil couchant. La vie y est ennuyeuse, c'est vrai, mais la routine a quelque chose de rassurant, et la répétition des journées est telle qu'il n'a plus conscience du temps qui passe. Il se donne quelques mois de plus pour réfléchir à la suite de sa carrière. On ne sait jamais, s'il se passait quelque chose? Une guerre, une attaque? Il s'en voudrait d'être parti. En même temps, tout porte à croire que je Fort Bastiani ne servira jamais à rien d'autre qu'à décorer le paysage.

Le problème, c'est que le temps ne fait pas de pause, lui. Les mois deviennent des années, les années des décennies, et un beau jour Giovanni Drogo se rend compte que sa jeunesse est bel et bien finie, que ce n'est même plus la peine de chercher à partir. Ses rares permissions ne servent qu'à lui rappeler qu'il a loupé le coche, et donc, dans un sens, qu'il a raté sa vie. Il ne lui reste plus qu'à réussir sa mort!

"Venge-toi finalement du sort, nul ne chantera tes louanges, nul ne t'appellera héros ou quelque chose de semblable, mais justement pour cela ça vaut la peine."

La fuite du temps est donc le fil rouge du roman, plus que l'action (inexistante, on l'a compris). D'ailleurs, le temps, jusqu'à la déchirante fin du héros, on le sent un peu trop bien passer, mais cela reste un avis personnel. Quand on vient de lire de l'heroic fantasy avec de l'action dans tous les sens, rester 200 pages entre une chambre d'officier et un chemin de ronde est quelque peu déstabilisant, même si la formulation est poétique.

Le désert des Tartares - Dino Buzzati
(1940)
Illustration : Jong Romano (couverture Pocket - 2009)


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