mardi 1 août 2023

[FAMILLES DE FOUS] Teen Spirit - Virginie Despentes (2004) / Les grand-mères - Doris Lessing (2003)

Je me suis souvent demandé si on aurait eu des parcours différents, ma sœur et moi, si on avait grandi ailleurs que dans le village où vit et "travaillait" il n'y a pas si longtemps encore notre grand-mère paternelle, prostituée de son état. 
Ce paramètre n'a sans doute pas été déterminant, mais pour ma part je l'ai traîné comme un caillou dans une chaussure dès que j'ai été en âge de saisir les sous-entendus liés à sa condition, qu'elle n'a absolument jamais chercher à dissimuler ! Elle a toujours été fière d'exploiter son corps au maximum, avec ou sans paiement, tout au long de ces dernières décennies. Il faut quand même lui reconnaître cette force de caractère. 

Voici deux histoires de familles "peu conventionnelles", lues il y a quelques temps et déjà mises sur Instagram. Désolée pour ceux qui suivent, du coup, c'est du réchauffé ! Comme vous vous en doutez, le sujet m'intéresse. 


Teen spirit - Virginie Despentes (2004)

Paris, 2001. Agoraphobe, Bruno vit reclus au crochet de sa copine et passe ses journées à fumer en regardant la télé dans leur appartement de Barbès. Ce trentenaire au chômage trouve cependant la force de sortir de chez lui lorsqu'Alice, une vieille partenaire de sport en chambre, refait surface depuis le fin fond de leurs années de lycée. Il semblerait qu'elle ait une nouvelle à lui annoncer. 

Bruno ne sera pas déçu du voyage, puisqu'il va apprendre qu'il est le père de Nancy, née treize ans plus tôt d'une ultime partie de jambes en l'air. Treize ans, un âge où on donne du fil à retordre à sa mère, surtout quand on vient de comprendre que son père inconnu n'est pas aussi mort qu'on le lui avait assuré. 

Pour le héros, ce n'est pas vraiment ce qu'on peut appeler une "bonne nouvelle". Comment être père si on a déjà du mal à se comporter soi-même en adulte ? et surtout, si on n'a jamais songé à l'être... 
    
Une tuile entraînant l'autre, Catherine décide de rompre et le somme de vider les lieux. Il trouve refuge chez son amie Sandra, une journaliste qui écrit pour la presse musicale. Elle va lui être d'un précieux soutien dans la gestion de sa parentalité toute neuve. Car enfin, si Bruno est un glandeur qui tourne à la fumette, mais ce n'est pas un mauvais type : bien sûr qu'il va lui donner de son temps, à cette Nancy.   

A travers une histoire plutôt marrante, Virginie Despentes aborde plusieurs sujets de réflexion : les rapports entre parents et adolescents, entre hommes et femmes, entre marginaux et bourgeois, l'idée de réussite _variable d'un milieu à un autre... La musique et la culture populaire restent à portée de main du cendrier et de la bouteille qui vont bien. 

Sans doute ma lecture la plus sympa de ces derniers mois, en partie grâce au texte qui résonne d'argot et de mots bien crus ! Déjà, ça ne l'empêche pas d'être beau, et puis il me semble que la littérature gagne à se faire un peu bouger ainsi, de temps en temps !  



Les grand-mères - Doris Lessing (2003)

Un petit groupe d'estivants se sont installés à la terrasse d'un restaurant en bord de mer. Ils sont six : Lil et Roz, deux grand-mères très bien conservées, leurs fils respectifs Ian et Tom, la quarantaine, et leurs petites-filles, Alice et Shirley. Où sont les mères des enfants ? Se demande une jeune serveuse, fascinée par le bonheur évident qu'ils exsudent. 

A vrai dire, Mary et Hannah ont pris l'habitude de se tenir suffisamment loin de leurs maris et de leurs belles-mères pour ne pas perturber la complicité qui les unit tous les quatre. 

Alors, lorsque l'une d'elles fait irruption à la table avec un mystérieux paquet de lettres dans les mains et une colère froide sur le cœur, on se dit : aïe, on va avoir droit à des querelles de couple à base de tromperies, avec des belles-mères vicelardes qui remuent la merde au second plan ! 

Eh bien, pas du tout ! 

Suite à l'esclandre, la narration fait un bond en arrière et revient sur l'enfance de Lil et Roz. On apprend que les deux fillettes sont devenues inséparables à l'école et le sont restées toute leur vie, au point de mettre sur la touche _bien souvent sans le vouloir_ quiconque tentait de s'immiscer dans leur duo. Malgré tout, elles ont toujours respecté les convenances en se mariant et en fondant leur famille, sans se douter que leur amitié fusionnelle allait les rattraper d'une bien curieuse manière.   

Ce court roman a de quoi surprendre ; Doris Lessing a l'art de raconter des situations étranges avec détachement, comme si tout allait de soi ! Même si le côté vieux-jeu de Mochepoule est un peu mal à l'aise avec la tournure que prennent les événements, sa face délurée trouve que Roz et Lil sont de bons spécimens de femmes libres et ouvertes d'esprit.

Les grand-mères pointe aussi du doigt un drôle de phénomène : lorsqu'on est vraiment très bien avec une ou plusieurs personnes, on prend le risque de se fermer au monde extérieur. Ici, c'est poussé à l'extrême, mais on a tous plus ou moins connu ça, cette impression d'autosuffisance, ce sentiment trompeur qu'on n'a plus envie / besoin de créer de nouvelles relations.  

J'avais emporté ce livre en vacances parce qu'il ne prend pas de place (95 p.) et parce que je n'avais jamais rien lu de Doris Lessing. C'est un des derniers qu'elle ait écrits, apparemment. Il se lit très facilement, et il est plus profond qu'il en a l'air. 

Une adaptation cinématographique est sortie en 2013 sous le titre de Perfect mothers (je ne l'ai pas vu !) 

Eh beh, des vieilles encore plus chaudes que ma grand-mère, qui l'eût cru ?!

Bibliographie 

Virginie DESPENTES. Teen spirit. J'ai Lu, 2004. 158 p. ISBN 978-2-290-32987-0

Doris LESSING. Les grand-mères. J'ai Lu, 2013. 95 p. ISBN 978-2-290-05977-7

Les deux romans ont été empruntés à la médiathèque des Halles à Paris (La Canopée) ! 

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