samedi 4 avril 2020

Sauf que c'étaient des enfants - Gabrielle Tuloup (2019)


C'est en écoutant l'émission Etre et savoir sur France Culture, plus précisément l'édition du 12 janvier dernier : "Comment parler de pédocriminalité et de violences sexuelles aux enfants" que j'ai appris la sortie du roman Sauf que c'étaient des enfants de Gabrielle Tuloup. En effet, l'autrice _beaucoup de monde a l'air de s'être rangé sur "autrice" plutôt que sur "auteure" dernièrement, et je suis bien tentée de faire de même_ était invitée, et a pu s'exprimer sur la question. 

Voici un lien vers le podcast. Etre et savoir "parle" en particulier aux personnes en lien direct ou indirect avec le système éducatif français, mais l'émission se veut accessible à tous, donc n'hésitez pas à laisser traîner vos oreilles dans le coin le dimanche après-midi. A plus forte raison si vous êtes parent et que vous angoissez (à tort) de ne pas maîtriser les "codes" et le jargon requis pour communiquer efficacement avec les profs et éducateurs de vos gosses. Voilà pour le coup de pub.     



L'histoire 


Sauf que c'étaient des enfants est un roman ; une mise à distance a été nécessaire pour que j'arrive à garder cette donnée en tête, pour que j'arrive à rester neutre face à cette histoire. 

Surveillants, CPE, professeurs, principal, élèves... Au collège André Breton de Stains, tout le monde remplit son rôle tant bien que mal, chacun apporte sa pierre à l'édifice pour faire "tourner" une machine qui ne garderait pas l'équilibre sans l'une ou l'autre de ses pièces maîtresses. Un jour, un cataclysme s'abat sur tout ce petit monde : la police débarque et embarque huit garçons du collège, tous suspectés de viol en réunion sur une jeune fille habitant la cité voisine. 

Gabrielle Tuloup raconte alors les instants, les jours, puis les semaines qui succèdent à ce formidable coup de pied dans la fourmilière, où les adultes et les enfants vont réagir comme ils le peuvent, avec les armes que leur statut leur accorde, avec leur sensibilité, avec leur histoire personnelle, avec les pressions sociales et culturelles auxquelles personne n'échappe. 

On a raté un chapitre 

Vous l'aurez compris, il ne s'agit pas d'un roman policier. L'intention n'est pas non plus d'anticiper le procès des agresseurs, ni même de suivre Fatima, la jeune fille qui a eu le cran de porter plainte, avec le soutien de sa mère. Comme le dit Gabrielle Tuloup dans Etre et savoir, son roman sert à "poser des questions" dont on n'a pas forcément les réponses, à verbaliser aussi tous ces drames qui se jouent à la maison, qui se poursuivent dans l'enceinte de l'école, et face auxquels les professionnels de l'éducation ne sont pas toujours en mesure de réagir comme il le faudrait, dans l'idéal, malgré leur bonne volonté. Quoi qu'on fasse _ou qu'on ne fasse pas, parce que parfois la sidération prend le dessus, on le fait avec notre conscience professionnelle, avec notre bon sens, mais avec notre personne, nos doutes, avec les casseroles qu'on traîne, aussi. 


mais des fois, on a beau tirer, ça part pas bien... :( 
Sauf que c'étaient des enfants s'organise en trois parties distinctes, de tailles inégales. La première, "Sauf que c'étaient des enfants", occupe environ 110 pages sur 170. La nouvelle du drame et ses conséquences _ les rumeurs, l'accueil de la victime au collège, l'interpellation des élèves, le désarroi parental_ nous sont présentés à travers le regard de différents personnages : le principal, la CPE, les mères, les AED, les professeurs. Il y a ceux qui ont du mal à émerger, ceux qui pleurent, qui se mettent en colère, ceux qui ont l'impression d'avoir failli dans leur métier d'éducateur, ceux qui ne comprennent pas qu'on jette des enfants en pâture à la police. Qui pense à Fatima, cette jeune fille qui n'est pas "leur élève", mais qui aurait pu l'être ? Car ce n'est pas "elle", le problème. Il ne faudrait pas l'oublier. 

La deuxième, "Sauf que c'était moi", se focalise sur Emma Servin, la professeure de français. C'est un personnage clé du roman, qu'on n'a pu que remarquer dans la première partie car elle fait partie de ceux qui ont réagi avec leurs tripes, de ceux qui ont dépassé les limites de leur fonction. Poussée par l'horreur du viol, par les réactions très diverses des élèves et de ses collègues, elle va se lancer dans une démarche d'introspection. Agression, consentement, "devoir conjugal"... il semblerait que tout le monde ne soit pas d'accord sur les définitions de ces mots et sur les limites qu'ils impliquent. Or, si chacun d'entre nous se déplace sur le plateau de jeu en direction de la case d'arrivée, mais que personne n'a les mêmes règles en tête, ça ne fonctionne pas. Ce drame lui a permis de prendre conscience d'un problème qui lui est plus personnel, et qu'elle doit régler, pour son bien et pour celui de ses futurs élèves, peut-être ? La troisième et dernière partie intitulée "Sauve" marque l'aboutissement de sa réflexion.






Parmi les enfants qu'on croise tous les jours dans les couloirs, certains vivent déjà des vies d'adultes, parfois sans le savoir. Je me revois au même âge qu'eux et quand je vois les conditions de vie de certains, je me dis qu'à leur place je me serais foutue en l'air. Du coup, le collège devient le seul endroit où ils s'autorisent à se comporter comme des gosses _et ça les rend d'autant plus agaçants, ahah ! Il n'empêche qu'ils forceraient notre admiration, "si on savait", si on ne s'empêchait pas d'ouvrir les yeux. 

Si, après avoir passé 9 ans (déjà !) aux côtés des collégiens, j'ai vraiment appris à douter de l'idée que "la vérité sort de la bouche des enfants", en terme de capacité de mythos, je crois bien que les petits bordelais et les petits aulnaysiens sont à égalité parfaite !, j'ai compris que tout ce qui est exprimé mérite, sinon d'être pris au sérieux, au moins être écouté, retenu, si possible noté quelque part. On ne sait jamais, rien n'est anodin, et surtout pas leurs blagues... Bon, euh, gardez quand même en tête que si vous êtes "trop gentil", ils vous bouffent, quoiqu'il arrive. Ce sont des humains, pas des petits anges !

Bref, le mieux est encore que vous lisiez au plus vite ce roman de Gabrielle Tuloup ; peu importe que vous soyez un professionnel de l'éducation ou pas : au contraire, comme il présente un bon aperçu du quotidien d'un établissement REP, il sera particulièrement instructif pour un lecteur éloigné du milieu scolaire. Sa lecture est facile, agréable, rien à dire, on y est, dans ce collège. J'ai lu quelque part une critique qui disait que Sauf que c'étaient des enfants était un livre "utile" : la formule me paraît juste.

A la lecture des premiers chapitres, j'ai eu un peu de mal à adhérer aux personnages : le principal s'efforce d'être professionnel, la CPE jongle parfaitement entre autorité et bienveillance, les profs sont cool, droits, impliqués, ils ont compris le caractère indispensable des AED... tous sont pétris de bonnes intentions et me paraissaient très propres sur eux. C'est ce qui m'a fait tiquer. Oh, j'ai connu les mêmes, en apparence. Débordant de belles paroles, de beaux projets, haranguant les foules, pointant du doigt les profs "moins impliqués", prenant les élèves sous leur aile... mais qui, au fond, n'étaient mus que par une soif de reconnaissance de leurs pairs et/ou de la hiérarchie. Bien sûr, ils sont une minorité, mais allez savoir pourquoi, j'ai pensé à eux en lisant ce livre. Enfin voilà, essayons de rester neutre. C'est un roman, une histoire fictive inspirée de faits réels, et il est évident que Gabrielle Tuloup n'avait pas l'intention d'écrire un thriller, donc ne tombons pas dans le piège de la transposition. 

Bien sûr, notre instinct de lecteur amateur d'histoires qui finissent bien voudrait qu'on en sache plus sur le dénouement, sur le devenir de la victime notamment, mais pour le coup, on n'y croirait plus. La "vraie vie" ne fonctionne pas comme ça. Dans la "vraie vie", on rencontre des obstacles, des problèmes qu'on ne règle pas forcément, parce qu'on fait de mauvais choix, ou pire, pas de choix du tout. Sauf que c'étaient des enfants ne culpabilise personne ; il soulève des dysfonctionnement présents à tous les niveaux de la société, et en particulier le non respect des droits des femmes et des droits des enfants. De tous les enfants. 

Prenez soin de vous et n'oubliez pas que 
La shnouf, c'est un fléau !

Gabrielle TULOUP. Sauf que c'étaient des enfants. Ed. Philippe Rey, 2019. ISBN 978-2-84876-784-0 

Désolée pour les fautes, faut que je me relise ! Si ça fait mal aux yeux, lâchez un com ! (pff qui dit encore ça ?)

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