jeudi 17 mars 2011

Le train de la cohérence part toujours à l'heure

Alors que je m'étais casée bien à l'abri du vent, dans la salle d'attente de la gare de Périgueux, et que j'étais en train de me dire que le hall paraissait vide et vaste, maintenant qu'on l'avait dépouillé de tous ses bancs :

"Je vous fais peur, madame? Ah, vous voyez bien que je ne fais pas peur! Il n'y a qu'aux flics de M...(un village situé à une vingtaine de km de là) que je fais peur!" 

Le visage à moitié caché sous une casquette qui peine à contenir une tignasse de cheveux gris, un type corpulent agite ses joues roses, tandis que la jeune femme assise en face de lui a résolument bloqué son regard sur ses Kickers. 

"Un généraliste. J'ai vu un généraliste, ils m'ont tiré du lit à 5h du matin pour ça! Ils me disent que ça ne compte pas, qu'il faut que je voie un spécialiste. C'est le juge, qui l'a dit." 

Visiblement, il parle tout seul. 

"Le juge, ce petit morpion de 25 ans, il croit qu'il va m'apprendre la vie. Lui, et L. (un gendarme), il m'en veulent. Ils sont montés contre moi, c'est petits cons. Et moi je lui dis, casse-toi pauvre con. C'est pas moi qui l'ai dit, c'est Sarkozy qui l'a dit le premier. Mais comme c'est un pourri, on l'a pas foutu en taule pour ça. Pourtant on aurais du. La droite, la gauche, tous des bons à rien. Il n'y a pas des bons à rien. Comme dit Raimu, il n'y a pas de bons à rien, il n'y a que des mauvais en tout!" 

De toute évidence, ce mec n'est pas bourré, ou alors il le cache très bien; il est simplement dérangé, sonné, anéanti par quelque tuile reçue sur le coin de la gueule, et verni d'une fine couche de mauvaise foi. En tous cas, parmi tous ceux qui restent ancrés dans ma mémoire, c'est l'un des illuminés les plus bavards que j'ai eu la "chance" de croiser, peut-être parce que sa spécialité était aujourd'hui de donner dans la répétition successive de mêmes phrases. Il faut dire que quand je rencontre un fou, j'essaie d'en prendre de la graine! Qui sait si je ne vais pas, un jour, suivre leur chemin? Il paraît que je suis vouée depuis toujours à gravir inlassablement la pente abrupte des abrutis! 

Cependant, constater le dérangement de quelqu'un ne suffit pas à le classer parmi les "abrutis", cette catégorie élitiste réservée aux connards en perpétuelle activité. Monsieur n'est pas un abruti. Monsieur est un ancien comptable qui a servi la SNCF pendant un certain temps, et qui s'est fait virer "comme un chien", d'après ses dires. Pas besoin d'en savoir plus sur sa vie (que malgré tout, il nous aura copieusement racontée), pour comprendre qu'on chute vite, et que personne n'est à l'abri de perdre pied un jour. La raison ne tient qu'à un fil. A la moindre épreuve, elle se brise aussi facilement qu'une poignée de corn flakes insidieusement broyée sous votre talon. Il est aussi vain de tenter de la reconstruire que de s'amuser à recoller un pétale de maïs écrasé avec du scotch. On ne peut que lever le pied en entendant le craquement, tout en se disant, l'air détaché : "je ne sais pas ce que c'était, mais ce n'est plus!". Lorsque nous, voyageurs en phase d'attente, avons regardé ce fou indigné, il y avait dans nos yeux de la pitié, de la peur, de l'amusement aussi, un petit air de "je ne sais pas qui tu étais, mais tu ne l'es plus vraiment, et tu ne le seras plus jamais. Tu essaies de rassembler tes pensées qui se perdent dans le néant, mais tu patauges trop pour y parvenir, et à cause de cela tu nous fais peur, car toi-même tu ne sais plus de quoi tu es capable".      

"Les méchants, c'est pas les morts, c'est les vivants. L'autre, dans le cimetière, quand il a vu mon gourdin, et que je lui ai dit que j'allais lui foutre sur la gueule, ahhh alors là! tout de suite il est rentré dans sa bagnole et il s'est barré. Sinon, qui sait ce qu'il aurait fait? Moi je le sais. Et maintenant, c'est moi qui ai des problèmes. C'est l'agressé qui devient agresseur. 30 ans, 30 ans passé à la SNCF, à faire tout le boulot, et parfois-même le sale boulot". 

Une mamie me regarde d'un air complice : ouf, on n'est pas comme ça, nous, hein!  

Pour ne pas sombrer dans des réflexions vertigineuses, j'ai préféré me dire qu'il était somme toute assez drôle. 
Forcément, c'est seulement après deux plombes d'attentive écoute que je me suis souvenue que j'avais sur moi un petit bijou de technologie, équipé d'un micro! Donc, en exclusivité rien que pour vous, un petit bout de délire enregistré. Le son est mauvais, car l'Ipod capte les propos du bonhomme depuis un sac à dos fermé, situé à 4-5 mètres de lui. En gros, même si le résultat est franchement satisfaisant, compte tenu des conditions, c'est pas avec ça que son identité va être dévoilée. Comme j'ai tout simplement oublié d'éteindre l'appareil en quittant la salle d'attente, il n'y a guère que les 10 premières minutes qui puissent vous intéresser. Ah, je crois qu'on l'entend un peu dans les derniers instants du fichier, lorsqu'il a rejoint les autres voyageurs sur le quai _parce qu'évidemment il fallait bien qu'on prenne le même train.  

Je ne vous le dirai jamais assez : venez à Périgueux, il s'y passe des choses! 


C'est de la bonne!


4 commentaires:

Bubulle!! a dit…

J'aime la chanson ! :-)... Un peu moins ce qui est parfois dit dans l'article ! :-(

Java a dit…

y a rien de choquant au moins? parce que sinon, j'enlève! ;-)

Bubulle!! a dit…

Ah mais non, rien de "choquant"... . Ne modifie rien, tu l'as écrit, donc... !

Java a dit…

tout ça, c'est de la rigolade ;-)