Un matin, une collègue a débarqué au CDI avec un sac plein de bouquins. C'était insolite, mais pas surprenant outre mesure. En effet, quelques jours plus tôt, nous avions déploré de concert le manque de romans "niveau adulte" dans le fonds fictions du collège et elle m'avait dit qu'elle comptait dans sa bibliothèque un certain nombre de livres de poche qu'elle n'ouvrirait sans doute plus jamais. Elle les amènerait un de ces jours : autant qu'ils servent à quelque chose. Bien bien. Il s'agissait essentiellement de romans policiers et de quelques uns de ces best-sellers sur lesquels mes profs de fac ne pouvaient s'empêcher de vomir dès qu'ils en avaient l'occasion. Convaincue à l'époque que l'avis bien arrêté des universitaires ne pouvait être contredit, je les avais snobés en toute insouciance, sans me douter qu'il me faudrait les cataloguer dix ans plus tard.
Quoi qu'il en soit, son geste était louable, et j'ai quand même voulu le lui rappeler avant qu'elle ne reparte vaquer à ses occupations. Déclinant tout remerciement, elle a soudain tenu à m'assurer qu'elle n'avait pas "acheté tous les romans" en question et que, concernant les autres, elle "ne les aurait pas achetés si elle avait su que ça parlait de ça". Autant dire que son affolement m'a laissée perplexe, et j'ai craint trente secondes qu'elle ait fait don de livres de cul à la communauté éducative. Mais qu'on se rassure, ce n'était pas le cas. Après avoir passé la marchandise au crible, la conclusion est la suivante : elle s'est bien monté la tête pour rien.
Figurait dans le tas Piège nuptial, le premier roman de l'écrivain à succès Douglas Kennedy. Il était d'abord paru dans les années 1990 sous le titre Cul de sac.
L'histoire
Nick Hawthorne mène une vie monotone, sans sel et sans contrariétés. Solitaire et fuyant l'idée-même d'ambition, ce journaliste américain a passé les dix dernières années de sa vie à écumer les rédactions locales situées à portée de sa Volvo sans jamais tenter de se faire une place dans l'une d'entre elles. Jusqu'au jour où il est pris de fascination pour une vieille carte de l'Australie dégotée dans une librairie de Boston : l'appel de l'aventure au pays des kangourous est alors irrésistible. Comme quoi, tout arrive, même aux plus casaniers. Quelques heures plus tard, Nick retire ses économies à la banque et saute dans un avion en partance pour Darwin.
Là-bas, le Yankee va vite déchanter. Moyennement bien accueilli par la population locale, il se débrouille pour racheter un minibus à un couple d'illuminés qui vivait dedans jusque-là et s'empresse de quitter le bled paumé où il a atterri : après tout, s'il est venu dans le coin, c'est avant tout pour découvrir le vaste et mystérieux "bush australien".
En route, il percute mortellement un kangourou : est-ce un signe ? Peut-être, mais il décide de ne pas en tenir compte et poursuit son chemin. Quelques jours plus tard, sa ligne de vie va être déviée par une rencontre d'un tout autre genre ! Une jeune auto-stoppeuse aux allures de paysanne prend place sur le siège passager, avec son corps de rêve et son ignorance crasse. L'appel de la queue fera le reste. Après quelques nuits torrides, Nick commence à s'épuiser, et Angie _ l'auto-stoppeuse_ devient collante et se met à causer d'amour, de famille et d'autres conneries du même style. De plus, il s'avère que la jeunette sait jouer des poings quand on la cherche, et que ses colères ont quelque chose de flippant dans leur démesure. Alors qu'il réfléchit à une manière subtile de la contrôler puis de rompre, Angie passe à l'action : le mode mante religieuse est activé !
Quelques jours plus tard, Nick se réveille à Wollanup, un village paumé de l'outback, géré par une poignée de rustres méprisant la société moderne... et remarque qu'il porte une alliance au doigt. On comprend petit à petit qu'Angie l'a drogué pour le ramener chez elle, et que leur mariage a été célébré alors qu'il était encore inconscient. Impossibilité de s'enfuir, obligation de s'intégrer et d'engrosser au plus vite son épouse, car c'est comme ça que ça se passe, ici. Nick est complètement coincé ; sa vie va-t-elle vraiment s'achever à Wollanup, au milieu des quatre familles qui composent la communauté et dont les gosses forniquent entre eux, de l'abattoir de kangourous, du garage d'un beau-père toujours prompt à coller un fusil sur la tempe à qui ne lui dit pas amen, d'une femme aussi nymphomane qu’irascible, des "crédoches" _la monnaie locale qui ressemble plus à des tickets de rationnement... et de cette puante montagne d'ordures qu'on fait flamber de temps en temps, ce qui donne lieu à un "barbecue géant" ?
Fait comme un rat _ou comme un kangourou
Piège nuptial, Cul de sac, voilà deux titres qui conviennent parfaitement aux déboires du journaliste. Encore que Piège nuptial soit sans doute celui qui représente le mieux le basculement du héros dans le cauchemar. Après tout, Nick se fait prendre au collet par une jeune femme dont il avait sous-estimé l'intelligence, la force de caractère, la force physique. S'il n'avait pas joué les bonhommes solitaires en manque d'amour pour faire passer plus facilement l'auto-stoppeuse sur la banquette arrière, il ne se serait pas retrouvé avec une seringue dans le bras et la bague au doit. Ou peut-être que si, qui peut savoir ?
Avec des si...
Disons que si vous avez du mal à sortir de votre routine pour vous aventurer dans l'inconnu, évitez de lire ce livre : il pourrait vous dégoûter d'entreprendre quoi que ce soit de nouveau, et au contraire vous encourager à vous en tenir à petites habitudes rassurantes _ou sclérosantes, tout dépend du point de vue.
Piège nuptial est quelque peu angoissant : les personnages principaux montent en pression au fil des pages, tandis que le suspense court jusqu'aux dernières lignes. Pourtant, malgré l'enfer qu'il fait vivre à son héros, malgré le drame social à l'origine de ce trou paumé, Douglas Kennedy ne lésine pas sur l'humour (noir) et envoie ses ploucs de Wollanup se vautrer dans des situations plus cocasses les unes que les autres. Il me semble que ce premier roman est plus que convaincant ; voilà des mois que la lecture d'un bouquin ne m'avait pas autant éclatée ! Le genre d'histoire qui tombe à pic pour qui a eu le gésier retourné par Et plus encore de Patrick Ness, quelques semaines plus tôt !
KENNEDY, Douglas. Piège nuptial. Pocket, 2011. Trad. Bernard Cohen. 256 p. ISBN 978-2-266-19282-8
Quoi qu'il en soit, son geste était louable, et j'ai quand même voulu le lui rappeler avant qu'elle ne reparte vaquer à ses occupations. Déclinant tout remerciement, elle a soudain tenu à m'assurer qu'elle n'avait pas "acheté tous les romans" en question et que, concernant les autres, elle "ne les aurait pas achetés si elle avait su que ça parlait de ça". Autant dire que son affolement m'a laissée perplexe, et j'ai craint trente secondes qu'elle ait fait don de livres de cul à la communauté éducative. Mais qu'on se rassure, ce n'était pas le cas. Après avoir passé la marchandise au crible, la conclusion est la suivante : elle s'est bien monté la tête pour rien.
Figurait dans le tas Piège nuptial, le premier roman de l'écrivain à succès Douglas Kennedy. Il était d'abord paru dans les années 1990 sous le titre Cul de sac.
L'histoire
Nick Hawthorne mène une vie monotone, sans sel et sans contrariétés. Solitaire et fuyant l'idée-même d'ambition, ce journaliste américain a passé les dix dernières années de sa vie à écumer les rédactions locales situées à portée de sa Volvo sans jamais tenter de se faire une place dans l'une d'entre elles. Jusqu'au jour où il est pris de fascination pour une vieille carte de l'Australie dégotée dans une librairie de Boston : l'appel de l'aventure au pays des kangourous est alors irrésistible. Comme quoi, tout arrive, même aux plus casaniers. Quelques heures plus tard, Nick retire ses économies à la banque et saute dans un avion en partance pour Darwin.
Là-bas, le Yankee va vite déchanter. Moyennement bien accueilli par la population locale, il se débrouille pour racheter un minibus à un couple d'illuminés qui vivait dedans jusque-là et s'empresse de quitter le bled paumé où il a atterri : après tout, s'il est venu dans le coin, c'est avant tout pour découvrir le vaste et mystérieux "bush australien".
En route, il percute mortellement un kangourou : est-ce un signe ? Peut-être, mais il décide de ne pas en tenir compte et poursuit son chemin. Quelques jours plus tard, sa ligne de vie va être déviée par une rencontre d'un tout autre genre ! Une jeune auto-stoppeuse aux allures de paysanne prend place sur le siège passager, avec son corps de rêve et son ignorance crasse. L'appel de la queue fera le reste. Après quelques nuits torrides, Nick commence à s'épuiser, et Angie _ l'auto-stoppeuse_ devient collante et se met à causer d'amour, de famille et d'autres conneries du même style. De plus, il s'avère que la jeunette sait jouer des poings quand on la cherche, et que ses colères ont quelque chose de flippant dans leur démesure. Alors qu'il réfléchit à une manière subtile de la contrôler puis de rompre, Angie passe à l'action : le mode mante religieuse est activé !
Le prix de la Mante Religieuse est décerné à Piège Nuptial |
Quelques jours plus tard, Nick se réveille à Wollanup, un village paumé de l'outback, géré par une poignée de rustres méprisant la société moderne... et remarque qu'il porte une alliance au doigt. On comprend petit à petit qu'Angie l'a drogué pour le ramener chez elle, et que leur mariage a été célébré alors qu'il était encore inconscient. Impossibilité de s'enfuir, obligation de s'intégrer et d'engrosser au plus vite son épouse, car c'est comme ça que ça se passe, ici. Nick est complètement coincé ; sa vie va-t-elle vraiment s'achever à Wollanup, au milieu des quatre familles qui composent la communauté et dont les gosses forniquent entre eux, de l'abattoir de kangourous, du garage d'un beau-père toujours prompt à coller un fusil sur la tempe à qui ne lui dit pas amen, d'une femme aussi nymphomane qu’irascible, des "crédoches" _la monnaie locale qui ressemble plus à des tickets de rationnement... et de cette puante montagne d'ordures qu'on fait flamber de temps en temps, ce qui donne lieu à un "barbecue géant" ?
Fait comme un rat _ou comme un kangourou
Piège nuptial, Cul de sac, voilà deux titres qui conviennent parfaitement aux déboires du journaliste. Encore que Piège nuptial soit sans doute celui qui représente le mieux le basculement du héros dans le cauchemar. Après tout, Nick se fait prendre au collet par une jeune femme dont il avait sous-estimé l'intelligence, la force de caractère, la force physique. S'il n'avait pas joué les bonhommes solitaires en manque d'amour pour faire passer plus facilement l'auto-stoppeuse sur la banquette arrière, il ne se serait pas retrouvé avec une seringue dans le bras et la bague au doit. Ou peut-être que si, qui peut savoir ?
Avec des si...
Disons que si vous avez du mal à sortir de votre routine pour vous aventurer dans l'inconnu, évitez de lire ce livre : il pourrait vous dégoûter d'entreprendre quoi que ce soit de nouveau, et au contraire vous encourager à vous en tenir à petites habitudes rassurantes _ou sclérosantes, tout dépend du point de vue.
Piège nuptial est quelque peu angoissant : les personnages principaux montent en pression au fil des pages, tandis que le suspense court jusqu'aux dernières lignes. Pourtant, malgré l'enfer qu'il fait vivre à son héros, malgré le drame social à l'origine de ce trou paumé, Douglas Kennedy ne lésine pas sur l'humour (noir) et envoie ses ploucs de Wollanup se vautrer dans des situations plus cocasses les unes que les autres. Il me semble que ce premier roman est plus que convaincant ; voilà des mois que la lecture d'un bouquin ne m'avait pas autant éclatée ! Le genre d'histoire qui tombe à pic pour qui a eu le gésier retourné par Et plus encore de Patrick Ness, quelques semaines plus tôt !
KENNEDY, Douglas. Piège nuptial. Pocket, 2011. Trad. Bernard Cohen. 256 p. ISBN 978-2-266-19282-8
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