samedi 31 décembre 2016

Les Cités des Anciens 2 - Les eaux acides - Robin Hobb (2010)


Puisque beaucoup d'entre nous ont passé Noël sous le crachin, une bonne crève sur le nez en prime, rendons-nous un petit hommage à travers les aventures de dragons malades immergés dans les eaux corrosives du Désert des Pluies... 




L'histoire

Les jeunes parias chargés d'accompagner les dragons défaillants depuis Trehaug jusqu'à l'ancienne cité de Kelsingra se sont regroupés. Ils font connaissance entre eux et avec les bêtes, avec lesquelles ils se lient pour former des binômes "reptile - gardien". Thymara fait l'expérience de la vie en communauté et en découvre les aléas... Tous sont bientôt rejoints par le  Mataf, navire qui doit les escorter dans leur voyage. A son bord figurent notamment Leftrin, le capitaine, Alise, la spécialiste des dragons venue étudier les curieuses créatures, et Sédric, son ami d'enfance.  

Un périple incertain et dangereux commence, à la grande satisfaction des uns et à la grande frayeur des autres. En effet, si tous rament pour atteindre une destination commune, chacun a en tête ses propres objectifs et compte bien tirer son épingle du jeu quand l'occasion se présentera. Il semblerait que même les plus jeunes des gardiens aient enfin compris qu'il importe plus d'éloigner les dragons gênants que de leur assurer une fin de vie décente...

Si le convoi écailleux n'avance guère dans Les eaux acides _mais quand même un peu plus que Fitz et le Fou sur l'île d'Aslevjal, faut pas déconner ! l'expédition prend une dimension initiatique pour plusieurs personnages. Dans les cerveaux, les chemins se dessinent plus ou moins clairement : les adolescents profitent de l'absence d'adultes et de règles claires pour libérer leurs hormones _comme Tatou, par exemple_, les plus vieux s'improvisent stratèges pour tisser de possibles histoires de coeur (Leftrin pour ne citer que lui), pour se faire du blé ou pour atteindre la gloire et la reconnaissance des pairs. le précieux Sédric et Graffe, sorte de cow-boy solitaire du Désert des Pluies, sont représentatifs de ce dernier cas de figure.

Les Beaux Gosses - Riad Sattouf (2009)

Le périple des faibles

Lors d'un précédent billet consacré au premier tome des Cités des Anciens, je crois que je vous avais dit que la série était bien partie pour être une sorte d'épopée des tordus et autres spécimens mal à l'aise dans leur société. Ou alors, je l'ai juste pensé très fort. Bref, je compléterai cette idée en ajoutant que les pauvres hères qui piétinent dans la fagne des dragons ne sont pas seulement décalés : ils sont faibles.

Déjà, les reptiles auxquels ces femmes et ces hommes ont choisi d'offrir leur vie _car c'est bien ce qu'ils font, tous !_ ne sont pas très frais, il faut bien le reconnaître. Certains d'entre eux en sont conscients et s'en trouvent d'autant plus complexés qu'ils ont la mémoire de leurs anciennes vies, où ils étaient tout fringants. Leur fierté et leur orgueil ne s'accorde plus vraiment à leurs pattes folles et à leurs parodies d'ailes. Cette situation est particulièrement dure à vivre pour Sintara, la dragonne bleue dont Robin Hobb nous raconte assidûment l'évolution depuis son encoconnage. A travers son regard, le lecteur sentira toute la détresse d'un être qui a le souvenir d'avoir été un jour puissant et qui enrage de n'avoir plus une pauvre once de force dans les membres. Ses propos sonnent très justes, malgré l'incongruité de la situation !

Comme un écho, l'auteur nous décrira, vers la fin du volume, la difficulté pour Thymara de devoir se résoudre à quémander de l'aide lorsque ses bras frêles ne suffiront plus à ramener au camp l'élan qu'elle a tué d'une flèche bien placée. La jeune habitante du Désert des Pluies ne devra pas seulement mettre ses muscles à rude épreuve : ses nerfs en prendront aussi un coup. Peu accoutumée à partager sa vie avec qui que ce soit, elle devra lutter contre les avances de Graffe, aussi manipulateur qu'attirant, et jouer des coudes pour reconquérir Sintara, "sa" dragonne _visiblement plus réceptive aux paroles enjôleuses d'Alise qu'aux siennes.

Pour la peine, invoquons un petit dragon mécanique !

La femme de Hest n'a pas vraiment envie de rentrer à la maison, contrairement à Sédric, son chaperon officiel. D'une part, parce qu'elle fuit ainsi l'oppression de son mari et mène enfin une vie qui lui plait au contact des dragons ; d'autre part, elle mangerait bien du Leftrin ! L'appétit est réciproque, c'est le moins qu'on puisse dire. Leur manège ne trompe pas une seule seconde l'oeil perçant de Sédric ! Le coeur du secrétaire _et ami d'Alise autant que de Hest_ s'emballe aussitôt : il aurait tout à perdre, si jamais le marin et la marchande venaient à consommer leur amour. Une relation hors mariage jetterait l'oppropre sur les deux époux jusqu'à Terrilville et montrerait que le "protecteur" a failli à sa mission. Sans nul doute, Hest se détournerait de lui... et ça, Sédric ne le supporterait pas. Résigné à poursuivre l'aventure à bord du Mataf sur les talons d'Alise, le secrétaire trouve une consolation : et si sa proximité forcée avec les dragons était en fait un signe favorable du destin ? Une écaille scintillante récupérée au sol et un peu de sang prélevé sur une bête mourante peuvent rapporter gros lorsqu'on sait y faire,.. Non, Sédric n'est pas une force de la nature ; oui, il aime son confort. Oui, ce drôle de voyage le pompe et l'incommode, mais il est prêt à toutes les extravagances pour se faire bien voir du cynique marchand Hest Finbok...

Gloire aux faibles, gloire à ceux qu'on envoie au casse-pipe en se disant qu'ils ne manqueront à personne : le salut viendra d'eux !


Attention révélation !!!! 



La touche gay !

Si Sédric n'a pas de poutre dans l'oeil quand il s'agit de lire le coeur d'Alise, il n'en a pas plus dans le cul _ce qui aurait tendance à lui manquer un peu plus ! Car oui, il en est, le bougre ! Pour la première fois dans son oeuvre, Robin Hobb met en scène des personnages homos _enfin, (presque) ouvertement, avec passage à l'acte et évocation d'une espèce de San Francisco des Rivages Maudits, où on s'encule allègrement  respecte le mode de vie de chacun. Plus rien à voir avec les sous entendus _magnifiques et émouvants, au passage _ du Fou : à Terrilville, on s'encadre dans les bois et on se fait des petites orgies sympas dans les résidences secondaires des marchands. Pas étonnant que Sédric ait envie de regagner ses pénates et craigne que le temps et la distance fasse oublier jusqu'à son existence au tyrannique Hest.

L'effet de surprise est d'ailleurs assez bien amené, puisqu'on ne devine aucune relation autre qu'amicale entre les deux personnages dans le premier tome, et qu'on pourrait même croire que le jeune Sédric est vaguement épris d'Alise... Ou alors, c'est moi qui ai récupéré la poutre, qui sait !

Une fois n'est pas coutume, on attribuera un Label Rainbow à Les Cités des Anciens 2 - Les eaux acides ! Youhou ! 

Terrilville Do Brasil. Tellement cliché mais tellement bon !

Au final, ce deuxième tome _enfin, deuxième partie du premier volume dans l'édition originale, suivez si vous pouvez ! se lit très vite et très bien. C'est toujours un délice de voir l'auteure déployer sous nos yeux les mécanismes psychologiques humains, pour chambouler l'évolution de son vaste univers. Par contre, je crains d'être un peu saoulée à terme par les amourettes des personnages, c'est pourquoi mon enthousiasme ne transpire pas trop dans ce billet, vous l'aurez vu. Mais il me tarde quand même de savoir comment les dragons tout cassés vont évoluer sur le chemin qui les conduit à l'ancienne cité de Kelsingra ! A suivre !


Robin HOBB. Les Cités des Anciens 2 - "Les eaux acides". Editions France Loisirs, 2010. Coll. "Fantasy". 400 p. ISBN 978-2-298-04830-8

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