mardi 25 octobre 2022

[LE GOUINISTAN VAINCRA (ou pas)] Joe la pirate - la vie rêvée de Marion Barbara Carstairs. Hubert ; Virginie Augustin (2021)

Joe la Pirate prend la forme d'une imposante bande dessinée grand format de plus de 200 pages, à compter parmi les beaux livres. Contrairement à ce que le sous-titre La vie rêvée de Marion Barbara Carstairs laisse entendre, les planches suivent de près l'existence bien réelle qu'a mené cette femme de caractère, présente sur tous les plans traditionnellement réservés aux hommes : mécanique, pilotage, mobilisation, acquisitions de grande ampleur... 

Elle a forcé le destin pour pouvoir s'engager (à son échelle) dans les deux guerres mondiales ; elle a crée une compagnie de taxis féminins dans les années 1920. Plus tard, elle a fait le tour du monde et à découvert la navigation. Elle est devenue championne de course de bateaux à moteur, battant ses concurrents masculins à plate couture. Elle a acheté une île aux Bahamas, en a fait son "royaume autogéré", et à voulu rendre les îles voisines indépendantes. A bien des niveaux, elle a été féministe avant l'heure et peut-être sans le savoir. Pourtant, ce que l'Histoire retient de Marion Barbara Carstairs, alias Joe la Pirate, c'est qu'elle a chopé Marlène Dietrich et quelques autres grosses pointures de l'époque, le tout habillée en homme. Et encore... ça, c'est dans le meilleur des cas. 

En effet, je fais partie des gens qui n'avaient jamais entendu parler d'elle avant de lire cette BD colossale signée Hubert au scénario (l'un de ses derniers...) et Virginie Augustin au dessin, dans un style alternant trait franc, clair, et zones d'ombres _ comme l'héroïne, en fait. 

Si on veut parler de roman graphique, je crois que c'est le moment : découpé en une dizaine de chapitres, La vie rêvée de Barbara Carstairs s'appuie solidement sur l'existence bien réelle d'une petite-fille de magnat du pétrole américain éprise de liberté, "queer dans la matrice", mais aussi prompte à se laisser griser par le pouvoir. Au-delà de son intérêt historique, cet album offre une réflexion sur des thèmes universels : l'acceptation du corps, le genre, la colonisation, la solitude... Il peut être lu comme une ode à la confiance en soi. Les succès de Joe, tant sentimentaux que politiques et sportifs, sont dus en partie à son audace et à sa conviction d'être capable d'arriver à ses fins. Sa "vie rêvée" devient ainsi sa vie réelle _ on est du moins en droit d'interpréter le titre de l'œuvre de cette façon.       


Concernant les mouflets : 

CDI Lycée : OK, et même recommandé ! Il me semble l'avoir vu dans les critiques de je ne sais plus quel numéro d'InterCDI, mais peut-être que je me trompe. 

En revanche, je ne me risquerai pas à le mettre en libre accès au collège : il y a quand même pas mal de nus et de scènes de baise. Cela dit, une étude d'extraits pour des 4°3° peut être sympa. Oui, je reconnais avoir eu quelques craintes en tournant les premières pages de la BD : il m'a semblé qu'on se focalisait beaucoup sur la sexualité décomplexée et rapidement débridée de cette jeune femme intrépide. Certes, c'était important de présenter cette partie de la vie de Marion Barbara Carstairs, mais tout de même, elle avait sans doute fait mieux que se contenter de tringler toutes les filles croisées sur son chemin... 

Heureusement, les deux auteurs de cette biographie dessinée, ont su lui rendre justice et ont trouvé le moyen d'accorder une part conséquente à tous les temps forts _et il y en a eu_ de sa vie. Sans eux, nous aurions sans doute été nombreux à passer à côté de Marion Barbara Carstairs, une femme aux multiples facettes, dont certaines n'étaient pas très reluisantes. On a quand même affaire à une bonne richouse colonialiste, et ce n'est pas du tout passé sous silence.   

Hubert ; Virginie Augustin. Joe la Pirate - la vie rêvée de Marion Barbara Carstairs. Glénat, 2021. 224 p. ISBN 9782344039434

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