samedi 13 février 2016

Parcours initiatiques. Angelot du Lac - Yvan Pommaux - Version intégrale (2010)


Dans Les Chemins de Yélimané, le jeune Yaté était parti bon gré mal gré sur les traces de ses ancêtres, une histoire de coeur foireuse dans le baluchon. A l'occasion, Bertrand Solet nous avait montré qu'on pouvait très bien écrire des romans pour la jeunesse et aborder des sujets sérieux, pour ne pas dire des "questions socialement vives", sans nécessairement donner aux lecteurs l'envie de se pendre. Je vous propose aujourd'hui de nous accrocher à cette bouffée d'optimisme en cette période d'après-fêtes déprimante par nature et même de la prolonger avec un autre ouvrage : Angelot du Lac d'Yvan Pommaux _auteur jeunesse dont la réputation n'est plus à faire. 


Angelot du Lac... 

Ah ah, ce beau jeu de mots sur fond de référence à Lancelot du Lac m'a laissée perplexe dans un premier temps ; la couverture, quant à elle, a été cause de nostalgie. Je ne sais pas si c'est parce que l'association du rouge et du jaune palot m'ont fait penser aux vieux livres pour enfants qui traînaient chez mémé et dans la ferme de Mauzac, ou si c'est plutôt la faute d'Angelot. Le petit bonhomme à fronde qui nous défie du regard sur ce gros album BD cartonné m'a fait penser au héros du Faucon Déniché, roman où l'action se déroule au temps des châteaux forts, et qui a longtemps été à la classe de 5° ce qu'Antigone est à la classe 3°. Nous l'avions lu en oeuvre intégrale avec la gentille et potentiellement bordélisable Mme Poulain. Qu'elle repose en paix à présent. 

Bref, hormis le fait que ce soit plutôt chelou d'éprouver de la nostalgie face à un bouquin flambant neuf que je n'ai jamais vu, je crois avoir dit que ce livre avait l'avantage de n'être pas déprimant, donc haut les coeurs !




Angelot est un orphelin parmi tant d'autres, à l'époque tumultueuse de la guerre de Cent Ans. Il a été recueilli encore bébé par une bande d'enfants livrés à eux-même dans une forêt pleine de loups. Les gamins vivotent comme ils peuvent de maraude et d'autres menus larcins, mais leur union fait leur force. "Angelot" parce que Coline, l'une des filles de la fine équipe, lui trouve un visage d'ange lorsqu'elle décide de le prendre sous son aile. "Du Lac", parce qu'il l'ont trouvé près d'un lac. Ainsi l'enfant passe-t-il les premières années de sa vie au calme finalement, chouchouté par Ythier, Girard, Coline, Margot et Le Ventru. Au fil du temps, il développe un certain talent pour le tir à la fronde et en fera son arme de prédilection, bien que le brave Ythier lui apprenne aussi les bases de la baston à coup de bâton. 

Mais n'est pas Gabrielle qui veut !
Or, la joyeuse bande est un jour rattrapée par la situation politique du pays et se retrouve coincée au milieu d'une bataille entre chevaliers Français et Anglais : surpris, les enfants partent chacun de leur côté pour ne pas se prendre un coup d'épée ou une ruade. Angelot se retrouve seul pour de bon, et pour la première fois de sa vie... mais il n'aura pas l'occasion de déprimer ! Au programme à l'issue du chaos, une course solitaire effrénée pour la survie tout d'abord, mais surtout pour retrouver sa famille de coeur ! 

Prenez bien votre souffle à la page 34 de cette intégrale des aventures d'Angelot car vous n'aurez plus l'occasion de le faire avant la fin ! Le "Prince de la fronde" va rencontrer successivement des adjuvants, tels que le chevalier et le comédien Jehan, mais aussi de drôles de filous contre qui il lui faudra jouer de la caillasse.   



Parcours initiatique 

Angelot du Lac est un peu l'histoire d'un cordon ombilical qui s'effiloche avant de se couper complètement. Brutalement séparé de Coline et Ythier, deux adolescents qu'il considère comme ses parents malgré leur jeune âge, l'enfant trouvé va tenter par tous les moyens de reconstituer son cocon familial ; et il y parvient d'ailleurs assez rapidement. Mais il se rend compte au moment des retrouvailles, après avoir sauvé Coline de la prison où elle était enfermée à tort pour sorcellerie, que ses jeunes protecteurs ont une relation autre que fraternelle. Angelot se sent alors exclu de leurs rapports privilégiés et fugue, mort de jalousie, sans doute rattrapé par une sorte de complexe d'Oedipe déformé, ou simplement échaudé de ne pas avoir été au centre de l'attention l'espace de quelques secondes.

C'est ainsi qu'Angelot tourne une page de sa vie et en prend le contrôle par la même occasion. Il offre ses services à Eustache, Comte du Forez, ce chevalier bienveillant rencontré lors de la fameuse bataille en pleine forêt ; il devient vite un écuyer habile. Au cours de leurs aventures, ils feront notamment la connaissance d'Agnès, une pauvre petite fille riche promise à un homme qu'elle ne connaît pas. Inutile de dire que le prince de la fronde s'en fait aussitôt le justicier, bien que la blondinette soit pimbêche comme pas deux. Puis leurs aventures les amèneront à défendre une bête féroce, à se frotter aux pirates pour enfin... devenir les acteurs principaux du dramaturge Jehan de Meudon, dit "Songe Creux".

Sans vouloir spoiler, disons simplement qu'à la fin de l'album, la boucle se boucle. Angelot du Lac s'apaise, calmé par la vie, et semble avoir trouvé un sens à son existence. Une vraie BD d'apprentissage.





Formation accélérée  

Oui, plus forte que cette auto-école bordelaise qui proposait d'obtenir son permis B en une semaine, la vitesse de progression de l'enfant trouvé (mais trop gâté) défie toute concurrence. Les péripéties d'Angelot et de ses compagnons de l'instant s'enchaînent à un rythme très soutenu _peut-être un peu trop ; à peine s'est-il dépêtré d'une situation tendue qu'une autre embûche lui tombe sur le nez, avec son lot de nouveaux personnages. Le lecteur n'a pas intérêt à relâcher son attention sur une ou deux vignettes, au risque d'être vite largué ! On pourra regretter de ne pas avoir eu le temps de s'attacher à certains personnages secondaires, tels que le moine et sa dame sarrasine, ou Béatrix, la petite paysanne qui s'amourache d'Angelot. C'était un risque à prendre... Mais ne perdons pas de vue que cette intégrale est le regroupement d'une trilogie, elle-même parue en plusieurs épisodes dans Astrapi. On comprend mieux cet empressement général qui régit le petit monde d'Angelot du Lac.



Dossier pédagogique 

Yvan Pommaux s'est montré très pédagogue sans pour autant nous proposer un cours sur la société médiévale transposé en vignettes : il a choisi d'ouvrir son album par la genèse du personnage et de l'oeuvre, et de le clôturer par un dossier concis mais efficace sur les grandes phases qui ponctuent le Moyen-Age, de l'an 500 jusqu'à la Guerre de Cent Ans, terrain de jeu du héros. Un glossaire illustré d'extraits de la BD fait le point sur un vocabulaire propre à la littérature médiévale, sur lequel les profs de français et d'histoire pourront jeter un oeil avec plaisir, eux aussi. Ainsi les jeunes lecteurs y trouveront les explications dont ils ont besoin mais ne seront pas empêchés dans leur découverte par d'innombrables notes en bas de page (ou de vignette). Ils apprécieront par la même occasion, je pense, la clarté d'une oeuvre faite de cases larges et aérées, où les protagonistes échangent via des bulles gonflées d'une belle écriture... de cahier, presque ; et bien que je ne sois pas fan de la coloration des planches _trop fade à mon goût, je reconnais qu'elle nous épargne la noirceur des scènes nocturnes et participe à la bonne lisibilité de l'ensemble.



De l'action, de l'humour (bon, les blagues du lanceur de cailloux ne sont pas la force de cette BD, avouons-le), de la joie de vivre, des retrouvailles émouvantes, pas de cul, pas de suicide, pas de torture, pas de maladie grave : Angelot du Lac file la pêche et devrait permettre à pas mal de collégiens de passer le temps de la meilleure des manières. Sans pour autant trop s'attacher aux personnages dont la complexité humaine n'était pas la première préoccupation de l'auteur, on l'a bien compris. Verdict la semaine prochaine !


POMMAUX, Yvan. Angelot du Lac. 2010, Bayard Editions. 180 p. ISBN 978-2-7470-3222-3



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