samedi 14 juillet 2012

Arnold et Rose - Gabrielle Piquet - 2012




Arnold et Rose sont dans un bateau...

Arnold ressemble un peu à Kafka, et Rose ressemble beaucoup à Gabrielle Piquet, l'auteur.

Différents des enfants de leur âge à cause des drames personnels et familiaux qu'ils ont endurés, Arnold et Rose ont l'air de deux petits moutons noirs qui se sont reconnus d'instinct au milieu d'un troupeau pâlichon.

Arnold émerge tout juste d'une longue et grave maladie : vu par ses proches comme un miraculé, le médecin lui a annoncé qu'il ne grandirait pas beaucoup et deviendrait un homme de petite taille. Il n'en faut pas plus à un enfant pour mûrir plus vite que les autres et lui donner l'envie de fuir la réalité, de compenser sa faiblesse physique. Pour tous, il est un garçon raisonnable et taciturne. Au fond de lui, Arnold est un idéaliste : il rêve de fuir le village montagnard où il vit, pour voir « la ville » et devenir écrivain. Personne n'est au courant de ce grand rêve, si ce n'est le chat Anatole, seul être vivant digne de confiance dans l'univers de l'enfant.

Rose vient de perdre sa mère et son père l'élève seul désormais. Comme le décès les a déboussolés tous les deux, ils ont quitté leur maison près de la mer pour déménager dans ce village un peu perdu. La fillette est en pleine rébellion contre l'injustice divine et le despotisme des adultes _ et principalement du maître d'école ; son père n'a pas le courage de définir des limites et la laisse errer dans la montagne avec Arnold. Elle lui propose bien vite une compagnie amicale enfin digne de ce nom, et n'aura de cesse de l'encourager dans sa vocation.


Une histoire sans fin

L'album se scinde en deux grands chapitres séparés par la guerre : d'une part, Gabrielle Piquet nous décrit l'enfance des deux personnages, et d'autre part, elle dessine d'un trait épuré l'entrée dans la vie adulte des deux personnages. Le fil conducteur de ce récit de vie, sans grande intrigue, mais ponctué par les embûches de la vie, est sans nul doute leur amitié exclusive et a priori indéfectible. L'attrait de la ville, ses pièges, les rencontres pleines d'espoir et les désillusions qu'elles entraînent auront-elles de raison de leur complémentarité ? On n'en sait rien, même après avoir refermé l'ouvrage.

En effet, les routes finalement distinctes des personnages sont évoquées de manière un peu trop évasives pour qu'on puisse se targuer de connaître le fin mot de l'histoire. On sent bien qu'au fil des rencontres que chacun fait de son côté, l'amitié vacille ; et, comme pour nous faire partager leur sentiment d'éloignement, Gabrielle Piquet révèle les épisodes de leur vie en pointillés. Rose délaisse Arnold pour se rapprocher d'un vieil artiste en qui elle voit le père charismatique qu'elle n'a pas eu. Son ami d'enfance pénètre dans le monde corrompu des salons mondains et se laisse fasciner par des groupuscules politiques. Bien entendu, rien de tout cela n'est dit explicitement : au fond, le lecteur suppose plus qu'il ne comprend.


L'alter-ego est ailleurs...

Forcément ... 

Qui a dit qu'il n'y avait pas d'histoire ? Si si, elle est bien présente et se déroule bien plus nettement qu'on ne pourrait le croire, à la lecture de certaines critiques. On assiste tout simplement à la naissance et à la mort d'une amitié exclusive entre deux enfants « à part », seuls contre tous. Mieux encore qu'une simple alliance de circonstance, une véritable complémentarité les unit. Arnold et Rose ne sont pas des «doubles», mais les deux parties d'un même ensemble. Tout les oppose, pourtant ils ne peuvent se passer l'un de l'autre. La défection presque évidente du lien amical dans les toutes dernières vignettes soulèvent des tas de questions et appellent presque une suite : que vont-ils devenir, l'un sans l'autre ? Retrouveront-il des personnes équivalentes propres à combler les lacunes ô combien profondes de leur enfance ? Comment peut-on grandir, évoluer, et trancher ce lien d'un commun accord ? Tout espoir de l'amitié à durée indéterminée est-il donc mort ? Car, si Arnold, le taciturne poète, et Rose, la rebelle bien ancrée dans la réalité, se laissent parasiter par les chants des sirènes citadines, aucun binôme ne peut survivre dans ce bas monde. La fin est certes un peu trop rapide à mon goût... trop d'incertitudes demeurent. Mais la vie réelle n'est-elle pas faite d'histoires qui prennent une tournure inattendue pour se terminer en queue de poisson ?

Il faut bien s'y faire. Un jour, vous vous levez et vous pensez au fond de vous que vous avez trouvé la personne qui vous complète, amicalement ou autre. Alors vous vous dites que vous avez bien de la chance, quand même. Puis, plus tard, parfois des années après, un certain nombre de peines vous amènent à déchanter. Visiblement, vous vous êtres trompés … ou, du moins, l'autre essaie de vous en convaincre. Vous voilà coupé en deux ! l'espace disque de votre coeur se voit si soudainement défragmenté que vous avez l'impression qu'il sonne creux et que le vent va s'y engouffrer. Dans ce cas précis, deux options s'offrent à vous : attendre patiemment le réveil de l'âme soeur corrompue, suivi de son retour aux sources, ou tirer un trait, accepter le gâchis et « avancer », comme on dit, comme tout le monde vous le dit lorsqu'on en a marre de vous entendre « chouiner » sur le passé.

Chacun apprécie la situation en fonction de sa patience, de ses capacités à supporter le rejet, à essuyer le mépris, et chacun finit par faire son choix. Immanquablement.

« Allez allez, maintenant, il faut avancer ! »

En conclusion, Arnold et Rose est une belle histoire qui a pour principal défaut de ne pas avoir de fin, mais qui sait réveiller en nous des impressions enfouies. Une BD à lire, donc, au moins par curiosité. Le dessin de Gabrielle Piquet me plait beaucoup car il est simple, épuré, réalisé tout en finesse et pourtant très parlant. On aime ou on aime pas, alors à vous de voir !  

PIQUET, Gabrielle. Arnold et Rose. Casterman. Coll. Ecritures. 2012. 144 p. ISBN : 2203043601. 

Aucun commentaire: