jeudi 4 août 2016

Coeur d'Encre - Cornelia Funke (2003)



Lorsque nous étions en sixième, notre professeur de français (et musique)  nous avait fait écouter un enregistrement sur cassette du Petit Prince de Saint-Exupéry ; je crois qu'il s'agissait d'une lecture de l'oeuvre par Gérard Philipe, mais je n'en suis pas bien sûre. Toujours est-il que, grâce à ces trente minutes d'écoute, nous avions pu découvrir quelques unes des mille et unes surprises que nous cachaient le petit bonhomme blond dessiné sur les billets de cinquante francs...



A l'issue de cette nouvelle expérience de lecture d'oeuvre, les avis avaient été mitigés ; si beaucoup n'avaient pas osé exprimer leur perplexité, leur trouble ou leur admiration, Bruno n'avait pas caché son exaspération en poussant un bruyant soupir. Il fallait vraiment que l'ennui ait eu raison de lui car il n'était pas insolent. Alors que nous nous attendions tous à une réaction explosive du prof, qui incarnait un peu la vieille école rigide, mais juste et sans abus ! _contrairement à ce connard de vieux Magnol qui, dans la salle voisine, giflait à tour de bras en toute impunité, il lui avait calmement demandé de nous faire partager le fond de sa pensée.

"Bah, c'est pour les petits !" avait simplement rouspété Bruno dans un haussement d'épaules qui voulait dire "on a déjà perdu la moitié de l'heure, n'est-ce pas suffisant ?". Oh, ce n'était pas un bouffon ; juste un garçon pragmatique qui n'aimait pas trop sortir des clous. Au collège, on bosse, point barre, sinon à quoi bon ?

Comme ses voisins s'étaient enhardis et avaient envoyé un florilège d'interventions allant dans le même sens, le prof avait conclu par quelques paroles énigmatiques : "Relisez-le plus tard, car cette histoire peut se comprendre de différentes manières. En fonction de qui on est, de ce qui nous touche, et de l'âge qu'on a. Vous êtes indifférents au Petit Prince ? Soit vous avez effectivement passé l'âge, soit vous êtes encore trop jeunes." Bon, je ne le cite pas mot pour mot, car ça remonte un peu tout de même, mais l'idée générale est là.

Croyez-le ou non, je n'ai jamais (re)lu le Petit Prince de Saint-Exupéry, bien que l'occasion se soit présentée, et je serais bien en peine de dire pourquoi. Mais je reste persuadée qu'il est extrêmement difficile d'intéresser des enfants de plus de dix ans à des histoires où rêverie, poésie et autres animaux parlants priment sur une action échevelée et des intrigues sentimentales. Difficile, pas impossible, hein ! On est d'accord ! Je dis simplement que ça demande un vrai travail en amont. C'est pourquoi j'ai été très surprise en début d'année dernière qu'une élève de sixième suggère pour le CDI le roman Coeur d'Encre. Elle avait des étoiles plein les yeux. Vous ne voyez pas encore le rapport avec le Petit Prince j'imagine ? C'est normal.
 



L'histoire 

Meggie vit avec son père Mortimer, alias "Mo". Elle partage avec lui sa passion de la lecture et des belles histoires. Comme l'homme est relieur, la maison est envahie de livres : voilà qui tombe bien. Les jours s'égrènent dans le bonheur le plus parfait pour cette fillette, qui n'irait pour rien au monde troquer ce cocon familial tranquille et féerique contre une vie plus palpitante. Elle sent bien que son père lui cache quelque chose : il est soucieux de la maintenir un peu à l'écart de la société et ne lui donne jamais clairement la raison de leurs déménagements fréquents. Mais peu lui importe : tout ce qu'elle voudrait, c'est que Mo lui lise des histoires. Or, d'aussi loin qu'elle se souvienne, il n'a jamais accepté de lire un livre à voix haute et ça, ça l'intrigue un peu.

Hélas, une telle quiétude ne pouvait durer éternellement. Doigt de Poussière et sa martre à cornes font irruption chez Mo au cours d'une nuit pluvieuse, sonnant le glas de leur existence sans vague. En saisissant des bribes d'une conversation entre les deux hommes, Meggie comprend bien vite que l'énergumène partage avec son père de lourds secrets. Elle devine d'instinct que sa visite va donner un nouveau sens à leur vie. Bingo ! Le lendemain matin, tout ce petit monde quitte la maison en direction de celle de la "tante Elinor", une dame solitaire au caractère bien trempé, amie des livres elle aussi...

Les mystères ont beau avoir un côté excitant pour une fille débordante d'imagination, l'agacement lui picote les entrailles : quand Mo va-t-il lui expliquer ce qu'il se passe ? Toujours évasif sur la disparition de sa mère neuf ans plus tôt _elle en a maintenant douze, il refuse de reconnaître qu'il prend la fuite devant quelqu'un dont il a peur. Quelqu'un que Meggie ne connaît que de nom : Capricorne. Qui est-il ? Que lui veut-il ? Pourquoi Doigt de Poussière, ce talentueux cracheur de feu dont elle n'avait jamais entendu parler jusque là, en sait-il plus qu'elle ? Pourquoi sa martre de compagnie porte-t-elle des cornes ? Pourquoi Mo a-t-il emballé aussi soigneusement que précipitamment un livre qu'elle n'a pas le droit de feuilleter ? Aujourd'hui, elle veut savoir ; et en même temps, pas vraiment, car elle a très peur de ce qu'elle pourrait apprendre...


ATTENTION SPOILER

Poésie et stress ambiant 

Pas de doute : ce roman sur la lecture et ses pouvoirs est aussi terrifiant que magique !

Le voyage qui les emmène vers la demeure d'Elinor marque une rupture entre le monde réel et un univers merveilleux à la fois séduisant et terriblement dangereux. La bulle d'insouciance dans laquelle Meggie s'est blottie éclate brutalement lorsque Mo se fait enlever à la nuit tombante par de sinistres inconnus, alors que Doigt de Poussière fait diversion en lui démontrant ses talents de cracheur de feu. Seule sous la responsabilité de sa vieille tante plus attachée aux bouquins conservés dans sa maison qu'à sa famille, elle a l'impression de vivre un cauchemar éveillé et nous y entraîne inexorablement. En effet, l'écriture imagée de Cornelia Funke nous permet de partager (un peu trop bien) son malaise : si Coeur d'encre est un roman dont la poésie peut donner la nostalgie de nos premières années, il en ressuscite aussi toutes les terreurs qui les caractérisent ! Ainsi aura-t-on droit aux ombres maléfiques, aux incendies ravageurs, à l'exposition d'animaux morts ou agressifs, à l'angoisse de la disparition des parents et à la suspicion d'abandon, aux menaces à l'arme blanche, à l'enfermement dans une chambre noire (et humide).

Ces joyeusetés seront à tous les coups relayées par une poignée d'avatars de la peur pleins de méchanceté... et de faiblesses. A l'image de Capricorne, le big boss des méchants, qu'on fantasme à loisir avant de pouvoir tomber nez-à-nez avec lui. Au fait, qu'est-ce qu'un horrible comme lui peut-il vouloir au doux Mortimer, au juste ? Sa langue ! Il se trouve que Mo a un don qu'il ne maîtrise pas du tout mais qui pourrait se révéler bien utile : il lit tellement bien qu'il est capable de faire surgir dans le monde réel tout ce qui est écrit dans un livre. Capricorne et sa bande ont bien compris qu'ils pouvaient ainsi s'enrichir : les histoires de trésors cachés ne manquent pas, après tout... Ils sont prêts à bien des malices pour avoir à leur botte ce papa poule qu'ils surnomment "Langue Magique".  

Ajoutez à cela des lieux glauques et des geôles inconfortables comme il se doit, des subalternes aussi violents que superstitieux et / ou abrutis, tels que le flippant Basta et son grand couteau, des voitures en panne d'essence au mauvais moment et une police qui ferme les yeux pour ne pas mettre les pieds dans le sombre Village de Capricorne...

Pour Meggie, cette épopée prend vite la tournure d'un voyage initiatique : séparée de son père pour la première fois de sa vie, elle entre dans le monde des adultes par la porte du local à poubelles et fait successivement l'apprentissage de la trahison, de la brutalité physique et même de la violence verbale. Au revoir le pays des Bisounours, et bienvenue dans les contrées cramées, mais non moins fictionnelles, de Basta, Nez-Aplati et leur grand chef. L'héroïne apprendra autant des autres que d'elle-même, et découvrira même sa propre dualité en passant l'expérience du mytho, en jouant des pieds et des mains, et se révélant même un peu jalouse de sa mère disparue.


Coeur d'Encre a été adapté en film en 2009

   Le pouvoir des mots 

Passée l'angoisse qui prend le lecteur aux tripes, on remarque que Coeur d'Encre est avant tout un éloge complet de la lecture. Est-ce un second niveau d'interprétation accessible seulement au lecteur adulte ? Pas tout à fait, même si cet aspect m'a fait penser au Petit Prince dont je parlais plus tôt, avec ses profondeurs cachées derrière des éléments d'histoire destinée aux jeunes enfants.

Non, dans ce roman publié par l'illustratrice et écrivaine allemande Cornelia Funke, le pouvoir des livres et de la lecture est tout de même explicite ! Mo la "Langue Magique" et sa fille en sont les témoins :  convoités par Capricorne parce qu'ils savent lire, et bien lire, ils savent que leur vie ne sera pas menacée tant qu'on aura besoin d'eux. D'ailleurs, ils jouent autant qu'ils le peuvent de leur avantage, en utilisant notamment une écriture codée pour communiquer à leur aise lorsqu'ils sont séparés. Leurs opposants, eux-même sortis tout droit d'un livre, ne savent pas lire, ou mal : leur auteur y a veillé, et c'est pourquoi il n'a jamais peur d'eux. D'un coup de crayon, il peut les anéantir et ne se gêne pas pour le leur rappeler.

L'écriture, la lecture, le savoir sont définitivement les meilleures des armes : voilà ce que Cornelia Funke, qui est aussi l'auteure des jolies illustrations qui clôturent les chapitres, a voulu dire à ses jeunes lecteurs. A présent, il va falloir mettre ce délicieux petit pavé de six cent pages entre les mains d'élèves qui ne sont pas convaincus par la force des mots. En évitant de leur dire que c'est l'histoire d'une fille qui adore lire des contes, qui a plein de livres chez elle mais qui fait un peu la gueule parce que son père ne veut pas lui lire d'histoires... Honnêtement, je ne sais pas trop comment je vais vendre la camelote, là... mais j'espère vraiment que je vais y arriver, parce que ça vaut le coup...



Coeur d'Encre est le premier roman d'une trilogie ; suivent Sang d'Encre et Mort d'Encre. Si beaucoup sur la toile affirment qu'il est accessible dès dix ans, je le verrais plutôt sous les yeux des collégiens... ou même des plus grands. Je pense qu'à douze ans, j'aurais eu peur de passer pour une bouffonne en empruntant un livre qui parle de livres, mais c'est un point de vue personnel. On appréciera les nombreux rebondissements qui prouvent qu'un roman sur la lecture peut aussi regorger d'action ! Que les plus ou moins jeunes s'y plongent, ne serait-ce que pour profiter des courts extraits littéraires qui ouvrent chaque chapitre.

Edition utilisée pour illustrer ce billet :

FUNKE, Cornelia. Coeur d'Encre. Folio Junior, 2010. Trad. Marie-Claude Auger. 672 p. ISBN 9782070622085. 






      

lundi 1 août 2016

L'assassin royal - 10 - Serments et deuils - Robin Hobb (2003)


D'un jour à l'autre, on se révèle plus ou moins bien inspirés lors de nos prises de décisions, d'initiatives ou de paroles : ce n'est pas FitzChevalerie qui nous dira le contraire. La lecture du dixième tome de l'Assassin Royal, "Serments et deuils" ne manquera pas de nous rappeler, à plusieurs reprises, à quel point il est frustrant de ne pouvoir remonter le temps pour gommer un acte commis dans la précipitation ou une parole maladroite. Depuis le début de la série, c'est sans doute cette partie de l'épopée des Loinvoyant qui met le plus à mal l'affect de la fine fleur de Castelcerf : confinés en attendant l'arrivée du printemps et le départ du Prince Devoir pour sa quête insensée du dragon Glasfeu, la reine Kettricken, Umbre, Astérie et les autres font tourner en bourrique le "Bâtard au Vif", qui ne sait plus où donner de la tête ! Entre conflits d'intérêt, souci du peuple, desseins personnels et loyauté envers la famille royale, il n'est pas besoin de braver la montagne ou la forêt pour tourmenter son âme : rester dans l'enceinte du château suffit. Rien de tel qu'on bon huis clos bien malsain pour faire resurgir et mijoter les vieilles rancoeurs...    




Où est-ce qu'on en était ? 


Les Secrets de Castelcerf s'était achevé sur le défi lancé au prince Devoir par sa fiancée Outrîlienne Elliania de se rendre sur l'île d'Aslevjal au printemps suivant pour y couper la tête du légendaire dragon Glasfeu. En attendant que les beaux jours reviennent, Fitz a de quoi occuper son hiver _car oui, il fera évidemment partie de l'expédition_ : dénicher les vifiers espions présents à la cour, en finir avec Laudevin et les autres Pie, remettre son fils sur le droit chemin, constituer et surtout former le clan d'Art du prince !

Ce programme déjà chargé sera plombé d'une série d'embûches plus ou moins prévisibles ; Fitz a perdu la moitié de son acuité sensorielle en même temps que son compagnon de Vif, ce qui le met en difficulté. De plus, il va être une fois de plus victime d'un de ses violents accès de colère et tuera trois ennemis d'un coup, manquant d'y laisser sa peau par la même occasion. Mais on se souvient que l'assassin royal est déjà ressuscité deux fois par le passé, et comme on le dit souvent : jamais deux sans trois !

D'artiseur imparfait, l'homme-lige des Loinvoyant va devenir contre son gré professeur et chef d'orchestre d'un clan d'Art bancal composé du prince, d'un serviteur handicapé mental et d'Umbre. Heur ne s'assagit pas, bien au contraire ! Sa relation avec la jeune Svanja lui donne des ailes et il est tenté de s'envoler loin de ses motivations premières, à savoir l'apprentissage du métier d'ébéniste.


ATTENTION ! Les prochains paragraphes donnent des informations sur la suite de la série !! 
     



Révélation, Hésitation, Fascination, Acceptation : le tome de toutes les différences 

"Ca va parler de nous ??"
Euh non non, c'est juste pour la blague ! 
"Ok, bah on repart, hein !!"

A plusieurs reprises, j'ai regretté que Robin Hobb fasse le choix de prêter à ses personnages principaux des attitudes particulièrement bienveillantes et des propos trop bien pensants ; mais ce n'est pas le cas ici. Fitz est confronté à deux situations où son ouverture d'esprit est sollicitée, et à deux reprises, c'est un fiasco _il essaiera de redresser le tir, hein ! c'est quand même un gentil_ : la déclaration d'amour du fou, qu'il repoussera sans ménagement et sans cacher son dégoût à se savoir aimé d'un gars (à supposer que c'en soit un), et l'inclusion de Lourd, un serviteur déficient mental, dans le clan d'Art qu'il est censé former autour du Prince Devoir. L'assassin royal se déroule dans un univers médiéval où il eût été difficile d'imaginer des types gay friendly et soucieux d'intégrer à la cour les personnes porteuses de handicap. On ne s'étonnera pas que Fitz essuie des remarques homophobes et que Lourd se fasse racketter par ses pairs dans l'enceinte-même du château. Or la phase d'acceptation viendra contre toute attente, et c'est pourquoi les livres de Robin Hobb savent nous redonner la patate en quelques lignes ; Devoir et Fitz s'adapteront progressivement à leur compagnon artiseur et le prendront rapidement sous leur aile pour améliorer ses piètres conditions de vie.

Les leçons d'Art racontées par l'auteur seront l'occasion de peindre des portraits psychologiques profonds des personnages sans que cela nous paraisse fastidieux ; en particulier celui d'Umbre Tombétoile, l'ancien mentor de Fitz que l'on suit depuis les tout premiers chapitres de la saga mais que l'on découvre ici sous ses aspects les plus noirs : ambitieux et avide de pouvoir, refusant de vieillir, compétiteur, calculateur, capable de vendre père et mère pour arriver à ses fins. On savait depuis toujours qu'il n'avait aucun scrupule à mener son apprenti assassin pour "la bonne cause", mais dans Serments et deuils, il devient carrément antipathique. 

Contrairement à la reine Kettricken qu'il conseille _mais dont il jalouse de plus en plus le trône, l'empoisonneur semble avoir beaucoup de mal à masquer son mépris des vifiers, également nommés membres du "Lignage". Faire venir à la cour des sujets porteurs de cette "magie" lui paraît saugrenu et dangereux ; il est vrai que, dans cet univers cruel où un homme est acclamé en héros parce qu'il a tué trois hommes pour une "bonne raison", la souveraine donne l'impression de sortir tout droit du monde des Bisounours. Son discours politique est une suite de mesures totalement désintéressées, plus symboliques de tolérance et d'égalité les unes que les autres ! Encore une fois, on fait fi des différences et on apprend à vivre ensemble ! Youhou, deux ou trois licornes pailletées et le tableau sera parfait !



Je ne sais pas si les lecteurs de L'Assassin royal auront un avis unanime à ce sujet _et si ce n'est pas le cas, tant mieux ! mais la conversation houleuse entre Fitz et le Fou est à mon sens la plus émouvante sur les dix premiers tomes. D'une part, parce que le Bâtard au Vif avoue qu'il perd pied en comprenant qu'il ne connaîtra jamais à cent pour cent son seul véritable ami, et d'autre part parce que la déclaration d'amour du Fou est à la fois sobre et déchirante de désespoir.

"Nous aurions pu vivre toute notre existence sans avoir cette conversation. Tu viens de nous condamner à ne jamais l'oublier" 

  
Malgré la stagnation des aventuriers à Castelcerf, la tension ne se relâche pas et les épées sortent des fourreaux sans se faire prier quand c'est nécessaire. Les différentes formes de magie se téléscopent jusque dans les rêves de Fitz et de sa fille Ortie. Il ne manque plus que les dragons ! Mais ça, c'est pour le prochain épisode... A suivre mais sans se précipiter, car il ne reste plus que trois volumes à lire avant la fin... 





Robin Hobb. L'Assassin Royal 10. "Serments et deuils". 2003, parution française en 2004
Présente édition : Editions J'ai Lu, Coll. "Fantasy", 2014. 412 p. ISBN 978-2-290-34439-2
Illustration : Vincent Madras

jeudi 21 juillet 2016

Larme de rasoir, suivie d'une pause vampire ! Le Manoir - 1 - Liam et la carte d'éternité - Evelyne Brisou-Pellen (2013)


Fin 2014, je me moquais gentiment de la sélection 5°/4° du Prix des Incorruptibles en disant qu'on ne pouvait guère proposer aux enfants de romans aux thématiques plus déprimantes (maladie, mort, fantômes en souffrance, dépérissement irréversible de la Terre...). Parmi les titres en question figurait Le Manoir 1, Liam et la carte d'éternité, premier tome d'une série écrite par Evelyne Brisou-Pellen.

Alors forcément, en lisant le nom de l'auteure, la nostalgie a pris le dessus sur le cynisme et j'ai eu un peu moins envie de grincer des dents : Evelyne Brisou-Pellen, a également écrit Un si terrible secret, une histoire dans laquelle, si je me souviens bien, une petite fille enquêtait sur la mort douteuse de ses grands parents. Il avait fallu qu'elle passe au crible les journaux intimes de sa grand-mère et qu'elle remonte dans la noirceur du début des années 1940 pour trouver des réponses à ses questions. Ce livre lu il y a presque vingt ans ! dans le cadre des "Parcours Diversifiés" programmés en 5° était passé comme une lettre à la poste et il est resté un de mes très bon souvenir de lecture en tant qu'élève.
 


Oh, j'aurais sûrement adoré Le Manoir aussi, même si l'intrigue se situe à des lieues du roman sus-cité. Liam, 15 ans, se remet tranquillement d'une longue maladie. A sa sortie de l'hôpital, il se retrouve en convalescence dans un établissement qui tient plus du manoir hanté un peu glauque que de la maison de repos. Pourquoi pas ! Mais, comprenant qu'il n'est ni autorisé à sortir, ni à avoir de visiteurs, et que ses voisins de chambre sont tous aussi illuminés les uns que les autres, il prend peur et cherche à s'enfuir à tout prix. Or, nul n'arrive au Manoir par hasard, et nul n'en sort sans s'être posé les bonnes questions...  




En bon maître des lieux, le Dr Roy fait mine de ne pas comprendre les inquiétudes de son patient et ne lui fournit que des renseignements évasifs sur la durée de son séjour et sur les activités qui lui sont autorisées. Il n'empêche que Liam n'a pas envie de se montrer conciliant face à un homme plutôt agressif qui se prend pour un guerrier grec, une couturière d'autrefois qui cherche vainement sa fille ou à des gamins complètement mythos. Sans compter les conditions de vie qui lui sont imposées. Oh, il ne manque de rien : la nourriture est bonne et il a de l'eau chaude pour prendre son bain. Mais comment se passer de télé, d'ordi et de téléphone portable lorsqu'on vit avec son temps ? N'importe quel ado taperait sa crise !

Puisque personne ne veut l'aider à quitter ces lieux sinistres, puisque tout le monde semble ligué pour lui faire des cachotteries, il se débrouillera seul ! Sauf que, passer le portail du Manoir n'est pas une chose aisée... surtout lorsque celui-ci s'amuse à disparaître quand on le cherche. Bientôt, Liam n'aura d'autre choix que celui de tourner en rond ; et si la clé de la vérité se trouvait tout simplement dans le bureau du Dr Roy... ou juste à côté ? Faute d'une meilleure alternative, il décide de mener l'enquête entre les murs du château... et tombe sur la Carte d'éternité.


Euh, c'est un vrai enfant ? 



Reconnaissons-le, même l'auteure sait capter notre attention par son écriture légère et agréable, notre exploration du manoir à travers les yeux du héros nous a paru un peu fastidieuse dans un premier temps. Bien sûr, il est nécessaire que les lecteurs aient connaissance du contexte ; on a besoin de s'étonner de l'absence d'électricité dans les différentes pièces de cette curieuse "maison de convalescence" surannée ; on comprend que Liam soit désarçonné par l'excentricité de ses voisins de chambre, et que toutes ses observations soient des plus détaillées. Mais, comme ce petit malade en quête de confort et de tranquillité ne nous est pas spécialement sympathique, les remarques dont il nous fait part nous agacent rapidement. On le trouvera râleur, un poil intolérant ?, et drôlement scolaire pour un ado de quinze ans ! Le voilà qui nous parle histoire, SVT, latin et... encore histoire. Encore heureux qu'il ait été largué dans le Manoir ! S'il avait atterri dans un collège REP, c'eût été une toute autre affaire ! Il aurait eu accès à Internet, mais il se serait aussi fait traiter de gros bouffon en moins de deux.

Or, il s'agit-là d'un avis purement personnel ; le côté "historien" de Mme Brisou-Pellen est passé par là, et s'il me plaisait beaucoup lorsque j'avais 12 ans, le charme ne fait plus vraiment effet, ce qui est somme toute logique. Les amateurs de vieilles bâtisses hantées et truffées de pièces secrètes telles qu'on peut en rencontrer dans les Harry Potter ou dans L'île du crâne d'Anthony Horowitz prendront plaisir à errer avec Liam dans le Manoir.

A lire aussi ! 

Puis l'action s'accélère et prend une dimension fascinante avec la découverte par Liam d'une incroyable Carte d'éternité, une sorte d'écran qui lui permet de voyager dans l'espace et dans le temps. Il peut aussi bien visualiser un endroit _à la Google Street View_ en indiquant les coordonnées temporelles et géographiques adéquates, que s'y rendre pour de bon. En apprenant à utiliser ce véritable miroir du passé, il va trouver une réponse à toutes les questions qu'il se pose depuis le début de son séjour : qui sont les pensionnaires du Manoir ? qu'est-ce qui les a amenés en ces lieux ? quel rôle est-il censé jouer auprès d'eux ? sont-ils des psychopathes ou... des fantômes ? Mais attention ! comme n'importe quel autre outil, la carte présente des dangers si l'on ne s'en sert pas avec prudence... Lui qui a toujours rêvé d'être détective a du pain sur la planche.

Dans les ultimes chapitres, le voile se lève sur bien des mystères, et le lecteur pourra s'amuser à reprendre les premières pages à la lumière des informations dont il dispose à la fin. Il comprendra à quel point il s'est bien fait avoir !



Ce beau roman riche en éléments historiques n'est pas si triste que ça, finalement ; par le ressort humoristique même, il amènera les jeunes lecteurs à réfléchir sur la maladie, la différence et l'acceptation de la mort. Les amateurs de fantômes et d'âmes tourmentées y trouveront aussi leur compte ; d'ailleurs, pour la petite histoire, Le Manoir 1 a remporté le prix des Incorruptibles 2014/2015 pour la sélection 5°/4°... Sachez que derrière ce premier volet, cinq ou six volumes vous attendent, alors ne perdez pas de temps ! A vos bésicles et au boulot !


Evelyne BRISOU-PELLEN. Le Manoir 1 - Liam et la carte d'éternité. Bayard Jeunesse, 2013. 368 p. ISBN 978-2-7511-0514-2


Allez, puisqu'on y est, restons du côté des morts avec Vampire Diaries !!!  Voici un petit résumé de l'épisode 2 de la première saison, dont la dernière diffusion doit dater d'une éternité ! Ahah.



Episode 2 - "La nuit de la comète"

"Fallait bien qu'elle sache, pour ta syphilis..."

Les habitants de Mystic Falls avaient presque réussi à oublier les phénomènes paranormaux qui caractérisaient leur petite bourgade. Mais l'attaque récente de plusieurs personnes, vraisemblablement due à "une bête sauvage" pourrait bien réveiller les vieilles croyances populaires. Stephen craint que les choses tournent mal pour lui, et peste contre son frère : n'est-ce pas lui qui s'en est pris à Vicky, la soeur de Matt ? Pour ne pas ébruiter l'événement, le vampire repenti s'introduit dans la chambre d'hôpital de la jeune serveuse et l'hypnotise afin qu'elle ne puisse répondre autre chose que "c'est une bête sauvage qui m'a attaquée" quand on lui posera la question. Qu'à cela ne tienne, personne ne l'empêchera de se reconstruire et de sortir avec Elena. Mais ses pouvoirs sont trop faibles _la faute au manque de sang humain_ et le sortilège n'aura pas l'efficacité espérée.

"Ok ok, c'est un bête sauvage. Tu me fous la paix maintenant ? Et puis d'abord t'es qui ?"

De son côté, Damon semble bien décidé à faire capoter ses projets : en bon vampire charmeur et sadique, il séduit Caroline et s'empresse de parler à Elena du passé sentimental de Stephen. Celle-ci fait un peu la gueule, forcément. Et hop, Damon vous apprend à casser le coup de votre frère en moins de deux avec les ingrédients suivants : un corbeau, du brouillard, quelques bons mots et trois minutes d'avance sur l'autre mouligas blafard, avec sa banane, là. Prenez-en de la graine. En parallèle, vous pouvez assister à un combat de coq entre le petit Jeremy, dingue de Vicki, et Tyler, deux têtes et deux ans de plus que lui, qui veut juste la baiser mais qui n'est pas partageur pour autant.

Ahah, et ce n'est que le début !! :-D :-D 


mercredi 20 juillet 2016

L'assassin royal - 9 - Les secrets de Castelcerf - Robin Hobb (2003)


A chacun ses questions existentielles.... 



Après l'Attaque de la moussaka géante qui nous aura bien fait rire _et qui nous aura bien désespérés aussi, retournons dans l'univers fantastique et médiéval de Robin Hobb, où les gens ont le bon sens de se nourrir exclusivement de viande et de fromage, eux ! 


Où est-ce qu'on en était ? 

Ce tome 9 de L'Assassin Royal nous ramène à la cour de Castelcerf et nous la présente sous un aspect beaucoup plus attrayant qu'auparavant. Il faut dire que Fitz n'a plus le même point de vue : dans le premier cycle de ses aventures, il observait le monde depuis les écuries de Burrich en tâchant de se faire discret. A présent, sa fausse identité de Tom Blaireau, serviteur de Sire Doré, lui donne la clé d'à peu près toutes les portes du château, bien qu'il ait encore du mal à s'habituer à son rôle de domestique. Cela ne veut pas dire que sa vie est simple et que son futur s'annonce calme et paisible, loin de là ! L'Assassin est plus que jamais un pion de luxe dans l'échiquier du royaume des Six-Duchés ; tout en préservant le secret de ses origines, Umbre et la reine Kettricken lui font courir plusieurs lièvres à la fois : entre autres, la formation à l'Art du prince Devoir et la surveillance de la jeune fiancée outrîlienne de ce dernier. Ils ne se soucient guère des préoccupations personnelles de Fitz ; les Pie le poursuivent toujours et vont même jusqu'à l'intimider aux portes du château ; sa relation avec Jinna lui pose un problème de conscience ; Heur fait des siennes et pense plus à faire la cour à la volubile Svanja qu'à s'impliquer réellement dans son apprentissage. Comme le titre l'indique, Fitz se débat comme il peut dans le périmètre restreint de la cour de Castelcerf et cela nous donne une fausse impression de stagnation de l'intrigue.

Comme à l'issue du tome 7 qui nous remettait très très tranquillement dans le contexte des Six-Duchés, le lecteur a le sentiment de s'être replié dans les instants de calme qui précèdent la tempête ; que vont faire les personnages ? on ne le sait pas encore, mais ils vont bouger de là, c'est certain. Alors qu'ils profitent bien de leurs querelles d'enfants, de leurs parties de chasses et et menues intrigues de la cour. Bientôt, ils vont devoir passer aux choses sérieuses. 



Faites des gosses !

Force est de constater que, malgré la prestance et la droiture de la souveraine Kettricken, malgré la perspicacité de son conseiller Umbre, ce sont des jeunes gens irréfléchis qui vont décider de la suite des événements. En effet, Les Secrets de Castelcerf marque l'apparition d'une poignée de nouveaux personnages hauts en couleurs, dont la petite princesse Elliania, "narcheska" du pays des Runes de Dieu. Promise au prince Devoir pour sceller une alliance politique entre les Six-Duchés et les anciens ennemis Outrîliens, elle semble résolue à faire honneur à son peuple en acceptant de mauvaise grâce ce mariage arrangé. De son côté, Devoir a beau faire appel à toute sa sagesse de futur roi, il ne sait voir en elle la petite fille qu'elle est, et le lui fait maladroitement sentir en s'adressant à elle lors d'une banale partie de jeux. Elliana lui fera payer cher cet affront, abandonnant le lecteur à mi-chemin entre l'amusement et l'inquiétude. Le fils de Kettricken et de Vérité a bien du mal à garder son calme face à ses propres erreurs et à l'exaspérante naïveté qui lui joue sans cesse des tours. Celui qui se fait passer pour Tom Blaireau tente de le canaliser et de lui enseigner comme il peut ses techniques d'artiseur, pour qu'il puisse au moins se protéger face à d'éventuelles tentatives de pénétration de son esprit. Mais le maître apprendra tout autant que l'élève lors de ces leçons, et en particulier le fait qu'on ne s'improvise pas professeur.




En miroir, un autre adolescent en plein bourgeonnement rue dans les brancards : Heur. Largué trop vite dans la vie citadine, l'apprenti ébéniste tombe dans tous les pièges qui se présentent à lui : les mauvaises fréquentations, les filles, la boisson, la tentation de veiller tard. Fitz souffre de n'avoir plus beaucoup de prise sur lui, et culpabilise pas mal. Il n'aura donc pas même réussi à accompagner son fils adoptif jusqu'à l'âge adulte sans encombre ? Robin Hobb parle ici des responsabilités à prendre lorsqu'on a la charge d'un enfant, et de celles qui relèvent directement du jeune adulte pas encore émancipé mais déjà en mesure d'anticiper les conséquences de ses actes. Qu'on soit d'accord ou pas avec ses propos, elle a le mérite de donner à réfléchir sur ces questions d'éducation qu'on se pose tous un jour ou l'autre.           

Attention : des moments clés de l'intrigue vont être dévoilés ! Arrêtez-vous là si vous compter lire le livre.   




Le retour des Aventuriers de la Mer  

Les amateurs de la série ne contesteront pas si je leur dis que la grande joie de ce volume, c'est l'arrivée impromptue dans l'action de Jek, Selden, Sérille et de quelques autres personnages déjà rencontrés dans les Aventuriers de la Mer (qu'il faut lire avant de s'attaquer au deuxième cycle de l'Assassin Royal, j'en suis plus que jamais convaincue). On avait laissé Selden encore enfant, fasciné par la naissance de ses écailles autant que par la dragonne Tintaglia ; le voici deux ans plus tard, demandant avec assurance à Kettricken de s'allier avec Terrilville dans le conflit qui les oppose aux Pays Chalcèdes. De nouveaux mystères naissent, tandis que d'autres prennent fin : Selden choppe Fitz dès qu'il peut et voit en lui quelqu'un d'exceptionnel ; l'homme au Vif ne voit pas où il veut en venir, et son seul désir consiste à fuir au plus vite ce monstre à écailles. Affaire à suivre. Il faut dire que le bâtard des Loinvoyant accuse le coup de sa dernière révélation : il vient d'apprendre que le Fou lui a fait des cachotteries, alors qu'il le considérait comme son plus proche ami. En le découvrant sous sa forme d'Ambre, et en le/la voyant échanger gaiement avec Jek d'aventures et de personnes qui lui sont inconnues, il se sent floué et exclu. En conséquence, il décide de lui faire la gueule, comme un bon gros lourdingue. Il se gardera bien de dire ce qu'il pense d'un autre coup de théâtre d'envergure : l'amour inconditionnel et impossible d'Ambre/du fou pour lui, matérialisé par la figure de proue de la vivenef Parangon.   


En conclusion : on ne sait pas où on va, mais on y va ! FitzChevalerie semble toujours tomber des nues malgré son expérience de la vie, et ses nombreuses missions font qu'il n'a pas le temps de s'apitoyer sur l'absence d'Oeil-de-Nuit. Arrivera-t-il à dompter enfin ce destin dont il n'a jamais pu prendre les rênes ? Rien n'est moins sûr.. L'Assassin royal 9 est peut-être moins intense que le précédent, sans doute à cause de l'impression de huis clos à la mode Castelcerf, mais sa lecture n'en est pas moins agréable. 


Sur ce...

Robin Hobb. L'Assassin Royal 9. "Les secrets de Castelcerf". 2003, parution française en 2004
Présente édition : Editions France Loisirs, Coll. "Piment", 2006. 480 p. ISBN 2-7441-7380-0
Illustration : Stephen Youll 



mardi 19 juillet 2016

L'attaque de la moussaka géante - Panos H. Koutras (1999)

Lors de mon passage au Mirail à Bordeaux, ensemble scolaire privé dont je vous ai parlé maintes fois, j'ai eu l'occasion de travailler tous les samedis matins avec une collègue géniale fan de science-fiction qui m'a ouvert les yeux sur quelques OVNIs cinématographiques, dont L'Attaque de la Moussaka géante. Autant dire que ça m'a pas mal consolée du jeune Sachatte et de ses petits potos bourgeois-bâtards qui faisaient honneur à la sale réputation d'un collège et d'un lycée qui se donnaient du mal, quoi qu'on en dise. Alors Isabelle, si tu passes par là : merci encore de m'avoir fait découvrir ce film ! A mon tour d'élargir le cercle des amateurs de nanars en consacrant un billet à ce long-métrage grec réalisé par Koutras en 1999.



L'histoire (si l'on peut dire)

Nous sommes à Athènes, vraisemblablement à l'aube des années 2000. En cette belle soirée ensoleillée qui laisse entrevoir une nuit torride, chacun vaque à ses occupations : une équipe de chercheurs en astronomie vêtus de blouses roses vérifie que rien de douteux ne vienne assombrir le ciel grec, tandis qu'un trio queer s'apprête à aller faire la fête. Le premier ministre et sa femme toxico s'engueulent au bord de leur immense piscine sous les yeux de leur jeune fils pas vraiment emballé par son assiette de moussaka ; un couple de pantouflards apathiques mangent des chips en regardant la télé. En bref, rien à signaler.

Soudain, une soucoupe volante apparaît ; elle est simultanément repérée par Tara, une dame haute en couleurs qu'on aimerait tous avoir comme pote...





... et Alexis Alexiou, le scientifique qui "étudie les astres" au Centre de recherches cosmiques.




Visiblement, les extraterrestres souhaitent tenter une approche de la population terrienne en débarquant l'une des leurs en plein maquis. Manque de pot, le fils du premier ministre a également choisi cet endroit pour se débarrasser discrètement de sa part de moussaka ; et là, c'est le drame ! Prisonnière des ondes émises par le vaisseau spatial lors de la téléportation de l'ambassadrice choisie, le contenu de l'assiette (mais pas l'assiette !) se met à gonfler, gonfler, jusqu'à prendre des proportions monstrueuses. A partir de ce moment, la moussaka géante ne cessera de se déplacer, écrasant tout sur son passage.  

Vous êtes déjà conquis ? Sachez que le film est disponible en streaming et en intégralité sur Youtube !! 




Tapage médiatique 

Je sais que le moment est très mal choisi pour parler d'un film dans lequel des personnes se font écraser par un monstre fou, alors qu'ils font leur petit bonhomme de chemin sans rien demander à personne. A vrai dire, j'avais commencé à écrire ce petit compte-rendu quelques jours avant l'attentat de Nice, et ce dans le seul but de faire vous faire rire en soulevant les aspects absurdes de ce navet revendiqué. En particulier celui qui forme à mon sens le principal ressort humoristique du film : la réaction des médias locaux, puis nationaux et internationaux face aux ravages de cette "moussaka géante".

Après quelques instants d'incrédulité, pendant lesquels les journalistes privilégient l'hypothèse du canular, la télévision trébuche et s'écrase comme une merde dans le pathos en envoyant à la pelle des images des victimes plus choquantes les unes que les autres. Les médias diffusent en boucle les propos incohérents de témoins choqués ou des vidéos amateurs du morceau de moussaka déambulant dans les rues d'Athènes comme une grosse limace larguée dans un village de Polly Pocket.




Sans oser l'approcher, on dresse un portrait de la bête coiffée de béchamel : quelles sont ses origines ? quels sont ses plans ? que nous veut-elle ? quelles seront ses prochaines cibles ? pourquoi a-t-elle frappé là, et pas ailleurs ? comment s'en débarrasser ?

Les différentes chaînes accordent la parole à des politiques et des notables aux points de vue divers sans que jamais un journaliste n'intervienne pour nuancer... A moins que le zapping effréné des personnages principaux, par qui nous parviennent les images télévisées, nous prive de ces moments privilégiés du débat. Plus rares, certains invités choisissent de se mettre à sa place et de tenter une approche psychologique de la moussaka : s'est-elle sentie agressée à un moment où à un autre ?



On ne parle plus que d'elle partout, elle nous hante, nous obsède ; on n'ose plus taper dans le plat de moussaka familial de peur qu'il nous saute à la gueule et on lit son horoscope en fonction d'elle... 



D'autres assurent qu'elle ne mérite pas notre peur et qu'on ne doit pas s'arrêter de vivre à cause d'elle. De là à tenter le diable... la prudence reste de mise.   



Evi Bey, la journaliste fantasque aux dents longues qui se tape les techniciens dans les toilettes de la chaîne HI TV, est l'incarnation-même des médias avides de scoops et de scandale. Enjambant les cadavres recouverts de sauce barbecue ou d'une quelconque autre substance, ce vautour à l'apparence de femme repère une jeune fille avachie sur le siège conducteur d'une voiture et demande à son cameraman de l'interviewer. Lorsque ce dernier lui fait remarquer que la fille en question est morte, elle n'hésite pas à lui donner les directives suivantes :



Parfait pour rire jaune.  
Tout ce vacarme brassé par les journalistes, toutes ces images tournées sur le dos des victimes, tous ces gens choqués qui n'ont pas eu la force de refuser le micro qu'on leur tendait, et dont les témoignages ne font malheureusement pas avancer le schmilblick... relèvent-ils vraiment de l'exagération ? Avant le 11 septembre, forcément, et c'est pourquoi c'était vraiment très drôle... En 2016, un peu moins, il faut bien le reconnaître.



Le petit plus... 

Vous l'aurez compris, ce pseudo film d'horreur débile au possible et pas effrayant pour deux sous peu être lu de bien des manières. Tout dépend de l'actualité et/ou de ce qu'on a fumé avant. Du coup, je me suis pas mal écartée des propos que je voulais tenir à la base, et c'est sans doute tant mieux pour vous.

Heureusement, l'histoire de coeur décomplexée entre le cherche Alexis et la "modéliste" Tara vient apporter un peu de joie et de douceur dans ce monde de charognards. On appréciera l'ambiance festive du centre de recherches cosmiques, où les scientifiques discutent anniversaires et se draguent gentiment en disant des hétéros qu'ils sont de "l'autre bord". On aimera aussi les gardes-fous de Tara, ce couple d'amis fidèles que forment le terre à terre Dimis et la douce Chanel coiffée de sa perruque bleue. Bien sûr, leur coup de foudre sur fond de soucoupe volante est complètement risible, et bien sûr qu'en regardant la scène du Nescafé glacé sans glaçons et avec trois cuillers de sucre (c'est important) on se demande "pourquoi" ? Mais au moins, c'est une forme d'absurdité qui n'a rien de dangereuse !

C'est assez moche, les effets spéciaux sont... vraiment spéciaux.., la tenue de Tara fait mal aux yeux, la moussaka ressemble plus à un reste de hachis parmentier surgelé qu'à de la moussaka, l'image a un peu trop la tremblote par moments, on se demande toujours pourquoi les gens se sont laissés manger par ce gratin d'aubergines rampant qu'ils voyaient arriver à deux kilomètres, alors qu'ils auraient pu fuir tout simplement. On reste sur la curieuse impression que la riche toxico est le seul personnage à avoir compris le fin mot de l'histoire, mais... ce film existe, et il faut le savoir !

L'attaque de la moussaka géante 
Panos H. Koutras 
Grèce, 1999 
Sortie en France en 2001 
Science-fiction
1h43 


dimanche 3 juillet 2016

L'assassin royal - 8 - La secte maudite - Robin Hobb (2003)


Encore une année scolaire qui se termine, avec, du côté de l'équipe éducative, ce traditionnel chapelet de départs pour cause de "mutation" si caractéristique des établissements du 93... Pourtant, il faut croire que les saisons se suivent mais ne se ressemblent pas : habituellement, je suis triste et nostalgique avant l'heure de voir partir mes collègues vers d'autres horizons, au point de larmoyer en pensant au vide qu'ils vont laisser derrière eux. Mais ces derniers temps, allez savoir pourquoi ? Est-ce que je m'endurcis ? Est-ce que j'ai fini par comprendre que personne n'était irremplaçable et qu'un très bon prof succédait toujours à son prédécesseur ? Est-ce que je suis contente qu'il y ait de moins en moins d'adultes pour entretenir la mémoire de mes débuts laborieux ?... Parmi tous ceux à qui l'on a souhaité bonne route jeudi soir, il y en avait que j'étais vraiment contente de voir partir, et dont je me suis payée le luxe de ne pas signer la carte. Etre une championne de l'hypocrisie n'empêche pas d'avoir des principes de temps en temps.   

Bizarrement, je me suis sentie frustrée de ne pouvoir partager ma satisfaction avec qui que ce soit dans le collège : ces personnes ont beaucoup donné pour les enfants et ont acquis le respect et la reconnaissance de tous les adultes au fil du temps, ce qui rendrait mon aversion pour eux bien incompréhensible aux yeux des autres, si elle venait à être révélée. Ne pas les pleurer, c'est déjà cracher dans la soupe... Alors, affirmer ouvertement qu'on est content qu'ils s'arrachent revient à se tirer une balle dans le pied. Vous savez, dans un collège ou les enseignants ont en moyenne dix-quinze ans de plus que les élèves, confier le fond de sa pensée à une personne aboutit au même résultat qu'un affichage en règle sur le tableau de la salle des profs...   

Dans ces moments-là, j'avoue qu'il ferait bon avoir un loup comme celui de FitzChevalerie, une bête pleine de sagesse et toujours à l'écoute, avec qui je pourrais partager mes impressions sans me risquer à parler...      


Ahah, transition de ouf !! 

Où est-ce qu'on en était ?  

Sous le ciel des Six-Duchés, avoir le Vif n'a jamais été bien vu ; Fitz en sait quelque chose. Dans son enfance déjà, il avait appris à ses dépens que son don inné de se connecter avec des animaux pouvait le reléguer au rang de paria et causer sa mort. Plus tard, il avait rencontré un groupe d'hommes et de femmes semblables à lui, et il avait appris grâce à eux à gérer sa relation fusionnelle avec Oeil-de-Nuit. A présent, sa nouvelle mission royale le replonge dans les travers d'une société qu'il n'avait pas quitté sur un simple coup de tête : il doit ramener au bercail le prince Devoir qui s'est enfui de Castelcerf pour d'obscures raisons. Il semblerait que le fils de Kettricken et de Vérité soit lui aussi un "vifier", et qu'il n'en ressente aucune honte ; or, son statut ne le préservera pas de la torture et de l'exécution si ces soupçons viennent à se confirmer. Raison de plus pour remettre la main dessus au plus vite. Sous leurs faux nom de "Tom Blaireau" et de "Sire Doré", Fitz et le Fou suivent la trace du jeune homme...  


La secte du Vif 

Le tome 8 de L'Assassin royal s'intitule "La secte maudite" ; or, par chez nous, qui dit secte dit...


...Témoins de Jéhovah, alias ces gens qui toquent à ta porte en lisant la Bible pour t'extorquer des sous ;
et qui, de surcroît, refusent de se faire vacciner ! 
On ne voit pas bien le rapport, me direz-vous, alors je vous explique. Dans cette ambiance tendue pour eux, quelques vifiers du peuple se regroupent et dénoncent les nobles atteints de la même "tare" qu'eux afin de les faire chanter et de se faire entendre : pourquoi les paysans seraient-ils exécutés et brûlés pour sur simple dénonciation d'usage du Vif alors que, lorsque la même magie touche le haut du panier, on se contente de la dissimuler bien comme il faut ? Prenant pour emblème le Prince Pie, un Loinvoyant exclu et tué pour avoir utilisé le Vif à mauvais escient, ce groupuscule utilise le chat de Devoir pour l'attirer dans un traquenard et le prendre en otage...


Loup enragé  

Evidemment, le fils de Vérité, du haut de ses quinze bananes, n'y a vu que du feu. A la veille de ses fiançailles arrangées avec une gamine des îles d'Outre-Mer, l'adolescent se laisse prendre au jeu d'une passion dévorante pour une femme mûre qu'il n'a jamais rencontrée, mais qui communique avec lui par le biais de sa compagne de Vif : la marguette qui lui a été offerte par la famille Brésinga de Myrteville... chez qui séjournent Fitz, le Fou et Laurier, la grand-veneuse de Kettricken. C'est grâce à ce passage à Myrteville, à la relation d'Art qui se développe entre Fitz et Devoir, et surtout au dévouement du loup Oeil-de-Nuit que la fine équipe met assez rapidement la main sur le prince en fuite, au grand dam de ce dernier. Convaincu que sa belle l'attend, il refusera d'abord d'entendre les désagréables révélations de Fitz, agacé, ne mâchera pas ses mots : il n'y a pas de bonne femme au bout du chemin, seulement une joyeuse troupe de Fidèles du Prince Pie.    

En effet, le héros n'a pas gagné en patience avec l'âge... Par deux fois dans ce roman, on le voit saisi d'une rage incontrôlable qu'on lui connaît peu, doublée d'une intention de tuer qui ne sera déboutée qu'in extremis... De plus, et pour la première fois depuis le début de la série, le Fou et Oeil de Nuit reconnaissent avoir eu peur que la situation ne leur échappe, et se sont effrayés que le Bâtard au Vif soit pris d'une telle soif de sang. Bizarrement, j'ai beaucoup aimé ces moments de perte de contrôle et de vivacité meurtrière, presque bestiale, et pourtant si différente de la sagesse de son brave loup : ils ont su redonner de la consistance à ce personnage qui a tout juste passé la trentaine mais qui ne cesse de se prendre pour un vieillard moche engagé sur une pente descendante.



Vieillissement, mort et autres réjouissances 

Si, dans le volume précédent, on avait fait la fine bouche en se plaignant du trop peu d'action et du grand nombre de gros plans sur Fitz en train de se couper du fromage ou de faire infuser sa tisane, tout cela est aujourd'hui bien loin. "La secte maudite" nous emmène partout, du domaine de Myrteville à la forêt, dans une caverne puis en ville, en passant par la fameuse île des Autres qui ouvre la série des Aventuriers de la Mer. Fitz y trouvera d'ailleurs des plumes de bois... peut-être celles qui s'adaptent à la couronne trouvée par Ambre dans "Les marches du trône" ? Partout, oui, mais en traînant la patte, tout de même. Oeil-de-Nuit est usé jusqu'à la corde, et, comme on pouvait s'y attendre, l'inévitable se produit. L'assassin royal se retrouve seul de nouveau, en tête à tête avec une peine qu'il ne peut partager avec personne, et qu'on lui laisse : à force de voir le loup souffrir, baver de fatigue, grincer des articulations depuis cinq cent pages, le lecteur vit presque la mort de l'animal comme une délivrance... Devoir perd lui aussi sa compagne de Vif : possédée par l'âme d'une femme qui refusait de mourir, l'enveloppe de la marguette s'était consumée à grande vitesse.

L'acceptation de la disparition de l'autre sera laborieuse pour les deux autres, qui apprennent au fil du temps à se connaître. Un peu naïf et empoté sur les bords, le jeune Devoir finit par comprendre que Tom Blaireau n'est pas seulement le serviteur bourru de Sire Doré, mais ne parvient pas à mettre le doigt sur son identité réelle. Troublé par la soudaine curiosité du fils de Kettricken, Fitz se fait violence pour le laisser dans le flou ; moins il en saura, mieux ce sera pour tout le monde...

Comme d'habitude, un livre parfait pour tous les amis des animaux, les amateurs de bastons dans la forêt et de tempêtes dans les cerveaux !

Robin Hobb. L'Assassin Royal 8. "La secte maudite". 2001, parution française en 2003
Présente édition : Editions France Loisirs, Coll. "Piment", 2004. 450 p. ISBN 2-7441-6893-9
Illustration : Stephen Youll 









   
      

dimanche 19 juin 2016

Mes Pénélopes - Carol Vanni ; Véronique Decoster (2015)

Opération Masse Critique


En apprenant que j'avais gagné le livre Mes Pénélopes de Carol Vanni et Véronique Decoster, quelques jours après avoir participé à l'opération Masse Critique de Babelio, j'ai forcément pensé à la célèbre compagne d'Ulysse, caractérisée dans L'Odyssée d'Homère par une fidélité à toute épreuve _en particulier celle du temps, et représentée de multiples manières depuis que l'histoire du héros n'en finit plus de faire le tour du monde... A chacun sa manière de percevoir Pénélope ; dans mes premières années, elle avait l'apparence de la belle blonde qu'on voit si peu dans Ulysse 31.  


Avoue tu kiffes mes boucles d'oreilles !

Plus tard, elle a égayé ma trépidante année de sixième, qui n'aurait pas été la même sans l'incontournable lecture d'une adaptation de l'Odyssée d'Homère ; les retrouvailles du héros et de sa femme n'étaient pas seulement le symbole de la sérénité et de l'équilibre retrouvés, ou d'un quelconque autre éloge de la monogamie : elles indiquaient surtout fin du livre ! 



Plus tard, je me suis demandée si cette fille pour qui j'avais tant d'admiration _ environ vingt ans d'abstinence, tout de même, entre la guerre de Troie et le retour du mec à la maison ! n'avait pas quelque peu perdu son temps... Ulysse valait-il la peine de transformer sa vie de reine en salle d'attente, et de supporter le harcèlement sexuel de ses prétendants sans péter un câble ? 

            


Mes Pénélopes est un curieux objet littéraire qui en ravira plus d'un. Il se présente sous la forme d'une succession de textes courts, allant de quelques lignes à trois pages, commençant presque tous par "Je m'appelle Pénélope". A chaque fois, un "Je" différent prend la parole : il est tantôt une petite fille, tantôt une femme âgée, ou encore un nourrisson. Plus surprenant encore, il peut être un homme, une souris, un objet.. Dans tous les cas, une attente interminable est venue coller l'étiquette "Pénélope" sur lui. 

Si le voyage d'Ulysse se conclut idéalement sur un retour au pays et si l'obstination de sa femme est récompensée, les Pénélopes de Carol Vanni ne sont pas toujours si bien loties. Parfois, bien sûr, leur attente se résume simplement à l'impatience d'un enfant pressé d'arriver au bout du voyage, ou au désir d'avoir une réponse à la question "qui voudra bien garder mon hamster pendant les vacances ? ". Mais le plus souvent, Pénélope marche à reculons _ou pas ! vers la mort en passant par des couloirs d'angoisse : une veuve dont le pacemaker ne veut pas s'user, une souris prise au piège.. Elle accepte la fatalité mais peste contre la lenteur avec laquelle le destin se réalise : quand cela va-t-il finir ? La femme d'Ulysse avait au moins l'espoir de son côté, elle ! La chape de plomb qui s'écrase sur les personnages nés de l'imagination de Carol Vanni n'épargne pas ceux de Véronique Decoster, dont les peintures font échos à toutes ces Pénélopes qu'on a prises en photo à un intant "T" de leur vie. 


Ne croyez pas cependant que Mes Pénélopes soit seulement un recueil de textes déprimants à vous faire une belle tête de cafard ; au contraire, vous aurez une joie enfantine à déceler derrière le pseudonyme de Pénélope une figure populaire, un lieu, un objet, et à lire les échos que se renvoient les personnages au fil des pages... Vous découvrirez dans un rire jaune, vers la fin de cet astucieux tissage humain, une réécriture fort originale des années de solitude vécues par la "vraie" Pénélope (_enfin celle d'Ulysse, quoi)... 

Mes Pénélopes vaut le détour si vous aimez les livres qui se lisent aussi vite qu'on mange une crêpe, et si ça ne vous déprime pas de cogiter sur l'absurdité de la vie... 

Merci à Babelio et aux éditions Esperluète pour l'envoi de ce livre, accompagné d'une petite lettre sympa, c'est cool !! 

tous les livres sur Babelio.com

VANNI, Carol ; DECOSTER, Véronique. Mes Pénélopes. Espèrluete Editions, 2015. 104 p. ISBN 978-2-35984-062-9

Ma vision de Pénélope (aujourd'hui)