samedi 31 août 2013

Rencontre improbable à Aulnay-sous-Bois


Même si je ne vis pas encore pour de bon dans cette ville, une urgence matelas (ça arrive...) m'a poussée à me rendre à Aulnay en fin de matinée. Autant dire que l'affaire a été conclue en deux minutes, car j'avais bien envie de profiter de mon après-midi pour me fixer quelques repères avant la rentrée. Le petit parc dans lequel Bubulle et moi nous étions posées il y a une quinzaine de jours me parut être un bon point de départ, d'autant plus qu'il avoisinait une charmante bibliothèque de quartier. 

La bibliothèque Dumont : la classe !

Comme la salle de lecture ouvrait au public à partir de 14h, j'avais un peu de temps pour m'accaparer un banc, prendre des nouvelles du sud en passant quelques coups de fil, et continuer ma lecture poussive quoique intéressée des Aventuriers de la Mer T.6, "L'éveil des eaux dormantes". C'était sans compter la visite de courtoisie d'une Aulnaysienne d'un certain âge, abondamment fardée et passablement enrhumée. Plongée dans ma lecture, je ne l'avais pas entendu arriver.

"Vous lisez, mademoiselle ?

Non, je fais un bowling !

_ Oui...

J'adopte toujours une attitude de méfiance envers les gens qui viennent me parler comme à leur meilleur pote alors qu'ils ne m'ont jamais vue. Après tout, on me répète bien souvent que dans le 93, tout peut arriver... Cela dit, la dame en question n'a pas l'air bien dangereuse. Vêtue d'une veste cintrée noire et d'une mini jupe dans la même teinte, elle exhibe ses mollets pleins de crevasses et ses cheveux grillés d'une drôle de coloration.

_ Qu'est-ce que vous lisez ?

Elle a souligné ses paupières avec un crayon d'une couleur semblable à la couverture de "L'éveil des eaux dormantes" et à celle de beaucoup d'autres livres de poche de science fiction ou de fantasy. Afin de la dissuader de toute envie de converser, je lui parle de mon goût pour les Aventuriers de la Mer, pour l'Assassin Royal, de cette euphorie qui pourrait me rendre capable d'aller faire du hip hop en solo dans une arène vide telle un Maître Gims, lorsque l'un des tomes arrive dans ma boîte aux lettres.


Maître Gims - Bella - 2013
De gré ou de force, vous avez inévitablement entendu cette chanson au moins dix fois cet été.

Mais Robin Hobb et la littérature de jeunesse ne suffisent pas à la décourager. Elle a trop envie de me raconter sa vie, et la vie à Aulnay en général. 

_ Il n'est pas encore 14h ? J'attends quelqu'un pour 14h, mais j'ai peur qu'il ne vienne pas. A vrai dire, j'attends un groupe de personnes. Vous attendez quelqu'un, vous ? 

_ Non, je n'attends personne, et il n'est que 13h30. Mais ne vous en faites pas, ils vont arriver. 

_ Oh je ne sais pas. Ils doivent venir, normalement. Ils viennent toujours, là, sur ce banc où vous êtes. Mais ils n'y sont pas aujourd'hui. C'est un groupe d'amis, et parmi eux, il y en a un qui me plaît. 

_ ... 

_ Vous pensez qu'il va pleuvoir ? Parce qu'il m'a dit qu'il viendrait sûrement, sauf en cas de pluie. 

_ C'est couvert, mais ça l'est depuis ce matin, et il n'est pas tombé une goutte...

_ Vous êtes gentille. Mais j'ai quand même peur qu'il me pose un lapin. Vous savez, sa femme sait que je lui tourne autour, alors elle l'aura sans doute empêché de sortir cet après-midi. 

_ Il ne vous a pas donné son numéro ? 

_ Non, mais il a le mien. Vous savez, il n'est pas très entreprenant. C'est le genre d'homme qui se fait dominer par sa femme. Elle le surveille tout le temps. Vous savez, à notre âge, quand on a un homme, on fait tout pour le garder... 

Je ne crois pas une seconde en l'existence de cette personne ; mais je n'ai pas envie de la contrarier alors je joue le jeu. La réalité est bien assez dure comme ça. Deux papys entrent dans le parc, promenant leur chien. 

_ C'est peut-être lui... 

Elle s'avance de quelques pas, comme pour aller à leur rencontre. "Ah non. Je croyais." Il serait bien fâcheux de se tromper d'amant. Elle se rassoit à côté de moi et reprend l'interrogatoire : "d'où vient votre accent ?", "c'est bourgeois, Bordeaux, non ?", "Juppé, il est bien comme maire?", "est-ce que vous vivez ici ?"

_ Oui, vous avez raison de vous promener de ce côté de la ville, y a moins de racaille. Il vaut mieux que vous habitiez ici plutôt que plus haut, dans la cité. Quoique lorsque la nuit tombe, il ne faut plus se promener nulle part, et éviter au maximum de mettre des minijupes. Parce que vous êtes jeunes, et que votre petit sac, là, ils vont essayer de vous le piquer. Vous savez qu'une jeune fille s'est faite violer ici-même l'année dernière, un soir ? Elle faisait son jogging... Evitez de trop aller du côté de la gare RER le soir aussi, c'est mal fréquenté... 

En même temps, la ville où le quartier de la gare est idyllique, où on peut courir dans la nuit en toute sécurité et où les vols à la tire ne se sont jamais produits n'existe pas. C'est du moins ce que j'essaie de me dire tandis qu'elle me déballe un catalogue d'événements plus ou moins louches. Par chance, un retraité bedonnant en polo de rugby passe derrière nous, l'air décidé. 

_ C'est lui ! 

L'homme se retourne et se reconnaît dans l'exclamation de l'Aulnaysienne. C'était donc vrai ! 

_ J'ai bien cru que tu allais me poser un lapin ! 

_ Non, je t'avais dit que je viendrais. J'ai essayé de t'appeler mais je n'ai pas réussi à t'avoir ! 

_ Oui, il y a un problème avec ma box, ça marche une fois sur deux. Mais je n'ai pas trouvé le temps long, car j'ai discuté avec une jeune fille en t'attendant. Comment vous appelez-vous, mademoiselle ? 

_ Adeline. 

_ Oh, c'est mignon ! Venez boire un café avec nous, Adeline ! 

L'idée m'a tentée une seconde, ça aurait pu être drôle. Puis le remords m'a pris : si c'était pour me moquer d'eux plus qu'autre chose, ce n'était pas la peine.  

_ Non, je préfère vous laisser tranquilles ! 

_ Comme vous voudrez, Adeline ! Si vous passez par là, on se reverra sûrement ! Alors à bientôt... 

Surexcitée comme une gamine, la femme tournait autour du papy de ses rêves en le guidant vers le bar qui se dessinait derrière les grilles du parc.  
     






lundi 19 août 2013

Petit D'Artagnan


mercredi 31 juillet 2013

Pavés en perspective

Photo de 20minutes.fr, les travaux de rénovation place de la Victoire à Bordeaux


En ce moment je ne peux pas trop écrire ici car je suis trop occupée, mais attendez-vous à une explosion de billets-pavés dès que l'occasion se présentera !

jeudi 11 juillet 2013

Les Aventuriers de la Mer - 5 - Prisons d'eau et de bois - Robin Hobb (2005)


La période des grandes émotions étant terminée (ou presque), reprenons le cours de nos lectures préférées avec le tome 5 des Aventuriers de la mer de Robin Hobb : "Prisons d'eau et de bois". Si ce volume approfondit la psychologie et l'évolution des personnages, je crains que l'action y ait un peu trop stagné pour que je parvienne à le synthétiser clairement. Essayons tout de même.   

Les illustrations de Gilles Francescano sont vraiment  agréables à regarder ; c'est exactement sous ces traits que j'imaginais Parangon. 

Où est-ce qu'on en était ? 

Alors que le Gouverneur Cosgo s'apprête à rejoindre Terrilville pour mieux y asseoir son pouvoir, la ville se laisse peu à peu gagner par une fièvre mêlée de colère, de peur et d'angoisse du lendemain. Aux querelles intestines opposant les "Premiers" Marchands aux "Nouveaux", moins soucieux des protocoles et plus prompts à se salir les mains, s'ajoutent les mauvaises nouvelles apportées par ceux qui viennent d'entrer au port. Tenira est furieux d'avoir été attaqué par une galère chalcède pour avoir refusé de payer une taxe infligée pour un motif pas clair ; Brashen vient annoncer aux Vestrit que leur vivenef a été capturée par les pirates, et que personne ne sait ce qu'est devenu l'équipage. A la demande générale, le Conseil des Marchands se réunit pour prendre des décisions et rétablir le calme dans la contrée, mais il provoquera un effet inverse ! 

Le quotidien à bord de la Vivacia en serait presque idyllique ! Pourtant, le futur est en train de s'y jouer de fort belle manière pour le capitaine Kennit qui tient toutes les ficelles : il vient de convaincre la vivenef de se rallier à la cause des pirates massacreurs de navires esclavagistes. Le forban sait que la figure de proue est assez éprise de lui pour l'emmener où il le souhaite, sans poser trop de questions. Parce qu'il sait aussi qu'on peut obtenir beaucoup en jouant avec les sentiments des hommes, il entretient la rivalité entre Etta et Vivacia tout en essayant de modifier les rapports que Hiémain entretient avec l'une et l'autre. Tordu, n'est-ce pas ?     

Avec l'accord des Vestrit, Ambre, Brashen et Althéa se lancent dans la rénovation du Parangon, le navire maudit abandonné par les Ludchance, pour le remettre à flot : ils comptent l'utiliser pour partir à la recherche de la Vivacia.  


Dans la tête 

La série des Aventuriers de la Mer prend donc une dimension psychologique d'autant plus flagrante qu'à Terrilville, l'action laisse place aux discours, aux débats et aux prises de bec plus ou moins plus ou moins stériles. Certains pourraient s'ennuyer et se perdre dans les réunions de famille et les rassemblements de marchands si l'ensemble n'était pas aussi agréable à lire : chapeau à l'auteur et au traducteur encore une fois ! Cela dit, j'ai bizarrement moins apprécié cette cinquième partie _ et deuxième partie de Mad Ship, deuxième volet dans l'édition originale. Sans doute est-ce parce que je n'arrive décidément pas à m'attacher à Althéa ; pourtant, une héroïne à la fois forte, torturée et si peu soucieuse des représentations sociales de la féminité ne   peut que plaire ! On notera cependant l'intention louable de Robin Hobb dans la valorisation de ce personnage de plus en plus discriminé pour ses allures trop prononcées de mec, et qui pourtant s'y accroche et les revendique. Car si Althéa refuse constamment les avances de Grag, c'est bien sûr parce qu'elle espère bien se récupérer Brashen un jour, mais aussi parce qu'elle sait très bien que le futur capitaine de l'Ophélie la considérera toujours comme une femme telle qu'elle est définie à Terrilville : faible, vêtue de robes et ornée de bijoux et faite pour la vie à terre par dessus tout.

Althéa voudrait une vie de ce type ...
... mais Grag Tenira préférerait ça !
Parlons-en, de Brashen ! Le jeu du chat et de la souris entre Althéa et lui devient un peu lassant ! J'espère que la suite des événements justifiera qu'on en ait laissé autant de place à leurs fières âmes torturées ! A moins que ma relecture de Beaucoup de bruit pour rien (Shakespeare) m'ait rendue plus exigeante en matière de dissimulation de sentiments ?

Entre Parangon qui chouine en sabotant ses travaux de rénovation, sa propriétaire Amis Ludchance qui vient l'insulter comme un poisson pourri _ à tort ou à raison ? on ne le sait pas encore.., Brashen qui pique ses crises de jalousie, Althéa qui fait du boudin et Ambre qui passe ton temps à calmer le jeu, on ne s'en sort plus !

Autant aller sur la Vivacia, ils sont plus pervers mais moins agaçants. On décèle chez le capitaine Kennit les étonnantes qualités d'un manipulateur qu'on ne peut détester _ mais n'est-ce pas là, justement, l'un des gages d'efficacité d'un manipulateur ? Folle de lui, la vivenef plonge bien volontiers dans la piraterie ; Sorcor est toujours aussi pétrifié d'admiration. Etta l'aime d'autant plus qu'il feint la tendresse en sa présence. Seul Hiémain lui résiste, mais pour combien de temps ? Le rallier à sa cause pour mener à bien ses projets personnels est sans doute pour Kennit un jeu de patience comme un autre. Pour l'instant on ne peut que le supposer, car toutes les clefs de lecture du pirate ne sont pas encore en notre possession.      


Hobb, Robin. Les aventuriers de la mer. "Prisons d'eau et de bois". Paris. France Loisirs. Coll. "Piment". 2005. 365 p. ISBN 2-7441-7725-3 


mardi 9 juillet 2013

Ambre au Conseil des Marchands


"Son expression n'était pas aimable, mais elle ne regardait ni Althéa ni Brashen : elle foudroyait Davad Restart de ses yeux jaunes de chat." Robin Hobb, trad. Véronique David-Marescot, Les Aventuriers de la mer 5 : Prisons d'eau et de bois.
Comme vous pouvez le voir, je n'avais pas de jaune. 

jeudi 4 juillet 2013

Du jour au lendemain (18 mai 2012) : François Boddaert


Voici un résumé de l'entretien entre le journaliste Alain Vinstein et l'auteur François Boddaert, pour le compte de l'émission Du jour au lendemain, diffusée sur France Culture. Le numéro du 18 mai 2012, que vous pouvez écouter sur le site de la radio, met à l'honneur le premier roman d'un éditeur plutôt habitué à publier des essais et des recueils de poèmes. Parfois proche de la chronique, Dans la ville ceinte peint la vie déclinante d'une petite ville à travers l'oeil d'un narrateur qui la redécouvre après plusieurs années d'absence.  

Fini de rigoler ! D'ailleurs, ce logo entraîne inévitablement ....
celui-là ! Soyons sérieux ! 

En écrivant Dans la ville ceinte, François Boddaert a voulu laisser une trace écrite de Sens, sa ville natale : après tout, Mallarmé n'est pas le seul à y être passé ! Si le poète-éditeur contemporain s'est depuis exilé à Paris pour ses études, il a pris soin de revenir de l'Yonne et de s'installer à proximité de sa bourgade d'origine.

Alain Vinstein l'interroge rapidement sur la relation entre la poésie et l'édition, qu'on devine difficile : les recueils de poèmes sont souvent moins diffusés, moins achetés, ils ne représentent pas une priorité pour les éditeurs. Or, François Boddaert est un ardent défenseur de la poésie, car elle joue, à son avis, un rôle social et économique sous-estimé et peu exploité. Quant à sa fonction d'éditeur, elle n'est rien moins pour lui qu'un second travail d'écrivain puisqu'elle appelle un dialogue constant avec les auteurs et une remise en question perpétuelle de son propre travail d'écriture.

Peu aguerri à ce nouvel exercice, le poète a composé son premier roman dans la douleur, si j'ai bien compris. Lui qui était plutôt connu pour ses recueils et pour la publication d'un Essai sur la littérature a du se trouver de nouvelles méthodes de travail. Dans la ville ceinte lui trotte dans la tête depuis 1978, et il l'a réécrit trois fois. Si François Boddaert écrit vite, il aime « laisser reposer » ses oeuvres quelques temps pour les retoucher ensuite.


Comme pour le pain !
A la question « Qu'est-ce qui entre dans la composition d'un livre ? », l'auteur répond : « Tout ce qui m'a concerné. » Contrairement à ce que l'on pourrait croire à la lecture de cette réponse, l'habitant de Sens n'a pas souhaité publier une autobiographie. Si beaucoup de personnages de Dans la ville ceinte sont empreints des traits de caractères de personnalités locales ayant vraiment existé, Boddaert veut à tous prix se détacher de son village natal. Transformer la réalité, créer une « ville parallèle » à Sens qu'il baptise « Icaune », donne lieu à une introspection mêlée à la création. C'est une manière de se retrouver à travers des lieux traversés sans pour autant parler de lui, avant de définitivement tirer un trait sur son passé. Dans le roman, le retour aux sources du narrateur douze ans après son départ aboutit inévitablement sur un constat : la ville a changé, la maison familiale va être vendue, il a évolué, et par conséquent plus rien ne le rattache à son passé. La ville telle qu'il la voyait est morte.

Les personnages, partiellement imaginaires donc, connaissent tous une forme de déchéance, à laquelle l'auteur remédie par l'ironie et par l'humour en prenant soin de laisser le pessimisme derrière lui ; ses références sont d'ailleurs Diderot et Balzac. Les figures d'Icaune (et non pas de Sens) sortent des normes. Léon, le médecin, fait partie de l'histoire d'une ville sur le déclin, dont il est prisonnier. Cet alcoolique admirateur de Céline est à la fois attachant et redoutable ; il a un statut bien particulier dans l'ouvrage, puisqu'il représente la vie, la science, tout en manifestant une grande amitié pour les artistes locaux que sont le poète _ inspiré du cordonnier de Sens, et le peintre. A l'équipe s'ajoute le libraire, un homme convaincu que le livre n'est pas un objet parmi d'autres, dans un temps où le métier ne donnait pas lieu à autant de pression économique qu'aujourd'hui ; il vend aussi des BD, et fait référence à Astérix.

Le temps est un autre personnage principal ; ici, il sera question du temps « qui est passé » plus que du temps « qui passe ». La cathédrale, par exemple, n'a pas changé malgré l'évolution globale du lieu ; pourtant, le narrateur la contemple et se rend compte qu'il ne la connaît pas. En fait, il serait plus juste de dire qu'il la contemple avec des yeux différents.


Bon, c'est bien la première fois que j'écris un billet sur un ouvrage que je n'ai pas lu ! Qu'est-ce qui est le plus désagréable ? La sensation de frustration de n'avoir pas lu un livre sans doute intéressant mais relativement introuvable, ou l'impression d'avoir mal interprété un ouvrage et un auteur qui me sont inconnus ? La seconde option, sans doute, car parler d'un sujet qu'on ne maîtrise pas amène à des erreurs grossières, forcément. Il parait que Pierre Bayard donne des clés pour réussir cet exercice difficile dans Comment parler des livres que l'on n'a pas lus... mais je l'ai pas lu !! :-)

La fiche du roman sur le site de la maison d'édition Le temps qu'il fait

BODAERT, François. Dans la ville ceinte. Bazas, Le temps qu'il fait. 2012. 297 p. ISBN 978-2-86853-567-2

dimanche 30 juin 2013

Cenon, le soir venu ...



A Cenon, une association propose un accompagnement à la scolarité pour les enfants scolarisés dans la commune. Ils sont répartis sur différents "sites", en fonction de leur situation géographique, dans des locaux mis à disposition par la municipalité _ si j'ai bien compris. Il faut compter une trentaine de gosses par site, les cohortes étant elles-même divisées en deux groupes de 15 environ. Vous suivez ? Chaque groupe se rend à "l'aide aux devoirs" deux fois par semaine, le lundi et le jeudi, ou le mardi et le vendredi, entre 17h30 et 19h.

Au passage, prenons en considération un paramètre important pour la réalisation des missions éducatives confiées aux salariés et aux bénévoles ! Etant donné que la structure* ne manque pas trop de sous, les intervenants et animateurs peuvent travailler dans de bonnes conditions : 4 ou 5 adultes pour 15 élèves, carte blanche pour des sorties au ciné, au musée... 

Qu'on soit bien d'accord : les petits, qui ont entre 6 et 12 ans, ne font pas "que" leurs devoirs pendant une heure et demie ! Tout monde est bien conscient qu'ils ont déjà une journée d'école dans les jambes, avec son lot de contraintes et d'efforts : se concentrer de nouveau pour lire, écrire et apprendre ses tables de multiplications alors qu'on a dit au revoir à ses potes et qu'on a bouffé un goûter massif, c'est vraiment pas simple ! Alors les séances s'organisent en trois temps, adaptés au mieux au rythme de l'enfant :

Le goûter : 10 - 15 minutes 

On ne saute pas le goûter ! C'est un moment épique où les monstres arrivent en meute et passent la porte en chantant Gangnam Style, suivis des mamans qui se trimbalent les vivres et les cartables de la sortie de l'école au local. Notons cependant que la majorité des enfants viennent seuls ; quant aux pères, à une ou deux exceptions près, leur visite est occasionnelle... Généralement, on profite de l'installation des gosses et de la grande exhibition de bouffe qui s'ensuit pour confisquer les ballons ou les toupies, sources intarissables de disputes. Au fil des soirées, d'autres interdits se sont dressés pour éviter les psychodrames : par conséquent, aucun échange partiel ou total de goûter n'est autorisé ; aucune pitié pour les sucettes qui collent aux cahiers, et surtout tolérance zéro pour CES MERDOUILLES DE PIPAS, car même le plus soigneux ne peut s'empêcher de FOUTRE DES COQUILLES PARTOUT. Bien évidemment, l'heureux propriétaire de la POCHE DE DEUX KILOS refuse catégoriquement de nettoyer ses déchets puisque "c'est pas lui, il en a pas mangé, il en a juste donné à TOUT LE MONDE !" L'enquête est d'autant plus difficile à mener que pendant le temps du goûter, les intervenants et les bénévoles sont trop occupés à se dire BONJOUR !!!!** et à se raconter leur journée pour avoir l'oeil sur le trafic de Monster Munch de la table du fond. Oui oui, beaucoup font quatre heures avec des biscuits apéro... Petite pensée émue pour Houari, qui à cause de notre inattention s'est fait racketter tous les soirs d'octobre à juin par sa tyrannique et vorace grande soeur Kenza.

L'horreur en pochette...

Les devoirs : 45 - 60 minutes 

Hormis l'impératif de faire grignoter les enfants avant de les faire bosser, nos coordinatrices nous ont plus ou moins aimablement donné quelques consignes de travail nécessaires au bon déroulement des séances. Tout d'abord, on doit constituer les groupes de façon à ce que les gosses ne fassent pas toujours leurs devoirs avec le même intervenant : les affinités _ou l'absence d'affinités_ ne se commande pas, et il n'est pas conseillé de les cultiver parce qu'on risque de perdre la notion d'équité en route. A l'issue du goûter, les intervenants constituent les groupes ; en effet, nous avons pris le parti de "faire bouger" les associations d'enfants pour mieux gérer les désaccords ou trop grandes complicités qui pourraient mettre en péril l'ambiance studieuse. A nous de séparer les fratries, les meilleurs potes et les harpies en herbe, malgré les supplications. C'est parti pour 45 minutes minimum ! Pour ceux qui auraient fini avant, les chanceux, une malle de cahiers d'exercices et de jeux éducatifs est à la disposition des intervenants.

Chaque intervenant a donc pour mission de gérer un confortable effectif de 3 ou 4 élèves, dans l'idéal de niveaux différents afin de réduire leurs possibilités de se copier dessus. Malgré notre attachement à repérer les tensions et les copinages avant de former les groupes, des échanges houleux ont souvent lieu d'un bout à l'autre de la table, accompagnés de coups de pieds, de mots doux et de boulettes de papier poétiques... Entre Riyad et Nadia, par exemple, l'aide aux devoirs fut le théâtre d'un amour vache immodéré digne de la première scène de Beaucoup de bruit pour rien (Shakespeare)...


"BEATRICE : _Je m'étonne que vous jasiez toujours, signor Benedict : personne ne vous écoute"***

"BENEDICT : _Eh quoi ! chère madame Dédain ! vous êtes encore vivante ?"

"BEATRICE : _Est-il possible que Dédain meure, ayant pour se nourrir un aliment aussi inépuisable que le signor Benedict ?"

"BENEDICT : _En vérité, vous feriez un perroquet modèle."

Hormis les grandes conspiratrices de CM2 qui effacent très discrètement des lignes entières de leurs agendas au blanco, ou qui rayent un exercice de maths sur deux en nous assurant que "la maîtresse s'est trompée", les enfants se débarrassent de leur corvée sans trop souffrir, visiblement.

Au bout d'une heure, tout le monde s'arrête même si les devoirs ne sont pas terminés. Il arrive que certains _ comme Houari par exemple _ soient obligé de déborder sur le temps imparti pour terminer la lecture, vu qu'ils ont oublié leur cahier à l'école et qu'il ont du attendre que Halima veuille bien leur prêter le sien !

Le temps ludique : 30 - 45 minutes


Autre consigne donnée aux équipes d'encadrement : le temps ludique est nécessaire à l'épanouissement de l'enfant. Chacun peut emprunter un jeu de société dans la malle prévue à cet effet, faire des dessins ou rejoindre une activité proposée par les intervenants. Une de mes coéquipières (ça sonne un peu pas un trop MacDo, comme terme ?) avait proposé d'initier les plus motivés au hip-hop en vue d'un spectacle en fin d'année : ce fut un grand succès, bien qu'une poignée de danseurs aient quitté le navire pour aller jouer à la boxe thaï dans un coin ou chourer les billets du Monopoly. ?!? On n'aura d'ailleurs jamais démasqué notre collectionneur de petits chevaux qui, l'un après l'autre, les a kidnappés dans leur étui... Quand on voulait avoir la paix, on leur branchait le poste sur Skyrock ou Blackbox et ALLEZ HOP CHAISES MUSICALES !!!! Les jeux les plus simples sont parfois les plus efficaces... A part quelques gamelles spectaculaires et une vitre cassée (toujours pas réparée à ce jour, pourtant on aurait pu colmater l'ouverture après toutes les lattes qu'on s'est pris dans la gueule par l'asso à l'occasion), on n'aura pas eu trop de sueurs froides.

En bonus, voici la playlist du temps ludique ; elle sera complétée quand les souvenirs voudront bien rentrer à la maison.

Cinq minutes avant la fin, les enfants rangent les jeux, sous l'oeil attentif d'un "responsable de la malle" nommé chaque semaine dans le groupe. Ce moment de la séance concorde souvent avec celui où Houari, tout content, annonce qu'il se ferait bien un jeu de l'oie avec Halima, maintenant qu'il a plié ses affaires de classe... Sauf qu'il est trop tard !

"Ah bon, tant pis !"

Houari n'est pas contrariant. Il est possible que je vous parle plus longtemps de l'énergumène dans les prochains jours.

Cenon by night

La porte du local s'ouvre sur l'obscurité. Les enfants qui sont autorisés à rentrer seuls, c'est à dire presque tous, vident les lieux et regagnent leurs immeubles respectifs. Si eux n'ont pas du tout peur, voir partir des gosses de six ans dans la rue m'effraie toujours : c'est sûrement mon côté vieux jeu, tout le monde en a un ! Bientôt, quand les derniers seront partis, ce sera à nous de regagner la station de tram et sa Ligne A remplie de fous furieux ! Pour ceux qui préfèrent le bus, la Corol 32 vous accueille les bras ouverts !

Dans la série : "on habite la même ville, mais on va pas au même collège "
"Oh tu sais que j't'apprécie, toi ?"
Jules B. petit Cenonnais scolarisé dans le privé...
Copines collègues, si vous avez des anecdotes, des impressions à ajouter, des remarques à faire, surtout n'hésitez pas !

* Je ne dis pas le nom de cette association car certains de mes propos peuvent contenir des inexactitudes.
** Spéciale dédicace à Monique ! Deux qui la tiennent trois qui la .... Ahhh noonnn baahhh
***Beaucoup de bruit pour rien, Acte I, Scène 1. William Shakespeare