Cette année, pour fédérer un peu plus le club lecture et faire en sorte qu'il ne parte pas en sucette, j'ai proposé aux élèves la sélection 5°/4° des Incorruptibles. Comme elle est d'une noirceur absolue, le pari que nous nous lançons est d'essayer de ranimer, pour chaque roman, quelques papillons d'optimisme visiblement passés trop près du grille moustique...
Au programme :
A la folie : une ado hantée par le fantôme sanguinolent d'une petite fille croit devenir folle, jusqu'au jour où elle rencontre un garçon de SEGPA capable de voir la même chose qu'elle...
Le Manoir 1 : Liam, 15 ans, entre dans une maison de repos après s'être tiré d'une maladie grave ; le lieu en question, un manoir, n'est pas plus rassurant que les pensionnaires qu'il abrite.
Western girl : les parents d'Elise croient l'envoyer au paradis en lui offrant un stage d'équitation dans un ranch, sans se douter qu'elle va juste se faire harceler par d'autres adolescents. Fun !
La tête dans les choux : une famille citadine s'auto-condamne à mourir d'ennui aux fins fonds de l'Ardèche _c'est de loin le roman le plus léger de la sélection...
Les Sentinelles du futur : la Terre est mal en point ; pour les hommes, le seul espoir d'accéder à un avenir meilleur est de faire un grand pas dans le Futur, qu'on dit prometteur...
Reborn : la Terre se meurt là aussi. Les hommes se battent pour fuir sur Reborn, une planète habitable récemment découverte. Tous sont conscients que beaucoup d'entre eux ne pourront pas réaliser leur projet.
Reborn, le nouveau monde
Imaginons la Terre dans une cinquantaine d'années. Elle pourrait bien être devenue une planète ravagée par les ouragans, portant des continents noyés sous l'eau des océans et des populations aux abois. C'est ainsi, du moins, que Thierry Robberecht nous la présente dans son roman. Chuong et ses parents sont à la fois témoins et victimes du déclin de cet environnement qui leur est familier ; et comme bien d'autres, ils n'ont qu'une seule solution pour ne pas être engloutis par les eaux montantes : fuir la Terre et rejoindre Reborn, une planète habitable récemment découverte. On est alors en 2064.
Mais sur Reborn comme sur Terre, tout a un prix, y compris l'accès à une vie meilleure. Une fois bien installés, les "Reborniens" se sont empressés de limiter les entrées des Terriens dans leur nouvel espace vital, et ont distingué l'"élite" assez riche pour se payer le voyage des autres, à qui ont dit qu'il n'y a "plus assez de place" pour les accueillir. Evidemment, personne n'est assez con ni pour croire cette aberration, ni pour se laisser mourir de son plein gré sur une planète qui part en lambeaux. Les habitants de Reborn se scindent rapidement en deux catégories : d'une part les "identifiables", pourvus d'une puce au nombril, et d'autre part les "invasifs", arrivés clandestinement sur la nouvelle planète.
La famille de Chuong fait partie de cette seconde catégorie d'arrivants ; ses parents auraient accepté l'idée de terminer leur vie sur Terre s'ils n'avaient pas eu ce fils de 15 ans qui méritait bien tout autant qu'un autre d'avoir une existence digne de ce nom. Mais leur atterrissage sur Reborn à l'aide d'un passeur ne se se déroule pas comme prévu ; tous trois sont enfermés dans un camp d'invasifs. Ils y végèteront pendant un an. Par la suite, leur tentative d'évasion n'aura qu'un succès partiel puisque les parents seront rattrapés et renvoyés sur Terre. Livré à lui-même, Chuong va devoir assurer sa survie tout en se cachant de la milice locale.
Parce que bon, faut bien rigoler un peu quand même.
Tant pis pour les fautes !
Environnement saccagé, liberté carottée, connerie humaine et autres réjouissances
Comment un adolescent lambda peut-il successivement endosser un statut d'immigré clandestin, comprendre que sa vie n'a plus d'importance que pour lui-même et que, par conséquent, il n'a pas le loisir de refuser le pire des boulots et le mépris des autres ? Il est évident que, par le biais de l'univers qu'il crée et des personnages qu'il articule, Thierry Robberecht critique la société actuelle et son devenir. Les jeunes lecteurs ne manqueront pas d'entendre l'écho :
- La Terre part en vrille à cause du réchauffement climatique : les tsunamis et ouragans qui ont marqué nos esprits au cours des dernières années sont devenus quotidiens. La fonte des glaciers a fait des Atlantides partout. Certains pays ne sont plus viables pour les humains. La question à se poser est celle-ci : n'est-ce pas ce qui nous attend d'ici quelques décennies ?
- Les inégalités entre l'"élite" forcément construite de toutes pièces (et de billets) et les "invasifs", coupables d'être venus alors qu'on était si bien entre riches ! Quelles formes prennent les inégalités en Europe, par exemple ? Qui lutte contre, et comment ? A noter que Chuong doit son salut à des femmes et à des hommes capables d'aller à l'encontre des lois définies sur Reborn. Car il y en a !
- La difficile condition du Rebornien clandestin est, bizarrement, proche de celle du sans-papiers dans nos sociétés : condamné à se cacher, à accepter le travail dont personne ne veut, le salaire dérisoire, et à remercier ; et parfois-même à passer les frontières de l'honnêteté pour survivre. Le vol est-il acceptable quand on a faim ?
As-tu bien compris le message subliminal ??
L'écriture de Thierry Robberecht est aussi simple et efficace que l'intrigue, que beaucoup trouveront sans doute très intéressante mais pas très bien exploitée, car trop peu approfondie. En disant cela, je pense à une collègue venue au CDI en quête d'un livre susceptible de lui éviter de se faire chier dans les transports, et à qui j'ai prêté Les Sentinelles du futur, déjà cité plus haut.
Forcément, j'ai cru comprendre qu'elle avait trouvé l'oeuvre quelque peu neuneu, elle qui est une grande lectrice de SF. Mais EVIDEMMENT meuf ! T'es drôle, toi ! D'autant plus que tu m'avais demandé si je n'avais pas Des Fleurs pour Algernon "dans mon CDI" juste avant ! Je conçois le choc thermique entre tes attentes et ce que tu as reçu ! Or, on est au collège, et tous les enfants n'accrochent pas forcément aux grands classiques dès le début ; il n'y a d'ailleurs aucune obligation à cela. Alors, pour ceux qui n'ont pas cette chance, il faut bien être en mesure de proposer des intermédiaires, afin d'éviter qu'ils ne soient dégoûtés des livres avant-même d'avoir commencé. La littérature de jeunesse peut être une passerelle parmi d'autres vers des horizons culturels inconnus _bien qu'elle puisse aussi se suffire à elle-même.
Bon, cela dit, je ne l'ai pas remballée aussi vertement : elle a bien le droit d'avoir son avis et de l'exprimer, après tout !
Alors parfois, oui, les personnages sont simplets ; l'intrigue aussi, et la manière de l'amener encore plus ! Un peu de simplicité ne tue pas, du moment qu'on se s'y limite pas. Dans Reborn, c'est un peu le cas. Liberté, immigration, développement, usages contestables des nouvelles technologies, relations parents - enfants : tous les thèmes soulevés génèrent immanquablement le débat et la réflexion. Mais pour nous, qui sommes dans sa tête, Chuong est trop direct et trop clairvoyant : le moindre sous-entendu est tout de suite interprété et éclairci. L'auteur ne nous laisse pas tâtonner pour tirer nos propres déductions de l'attitude des personnages et de leurs actes. Dommage, il nous mâche un peu trop le travail et ne laisse plus beaucoup de place à la réflexion du lecteur. Du coup, ce dernier sera moins durablement marqué par Reborn, le nouveau monde, un roman de science-fiction pourtant très agréable à lire.
Enfin, c'est facile de critiquer, hein ! N'oublions pas qu'il s'agit, comme je l'ai déjà dit plus haut, de la sélection 5°/4° des Incorruptibles pour l'année scolaire 2014-2015 : sont visés en priorité des élèves d'une tranche d'âge comprise entre 12 et 14 ans.
Analyse documentaire _et pour tout le reste, il y a Moccam !
Résumé
Depuis que la Terre meurt à petit feu, tous les humains poursuivent le même rêve : aller sur Reborn, la nouvelle planète habitable. Malheureusement, seuls les plus riches peuvent se payer le voyage vers la survie. D’autres tentent leur chance en faisant appel à des passeurs et accèdent clandestinement à Reborn : c’est le cas de Chuong et de ses parents. Ils deviennent alors des “invasifs” obligés de se cacher pour ne pas être renvoyés sur Terre.
Descripteurs
IMMIGRATION CLANDESTINE / EXCLUSION SOCIALE / TERRE : PLANETE / VIE EXTRATERRESTRE / GESTION DE L’ENVIRONNEMENT /
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