Allons faire un tour chez les Anglois !
Le Mystère du temple disparu, écrit par Caroline Lawrence et publié en 2020, fait partie de la sélection 4°/3° du Prix de Littérature Jeunesse et Antiquité.
L'histoire
Alexandre Papas est un collégien anglais tout à fait ordinaire. Enfin non, justement, pas tout à fait : trop petit pour ses treize ans, il a un goût assumé pour la mythologie en général et les cours de latin en particulier. Depuis la mort de ses parents, sa seule famille est une grand-mère grecque, hippie et pauvre, et sa vie sociale n'est pas beaucoup plus fournie puisqu'elle se résume aux assauts du terrible Dinu, toujours prompt à lui racketter ses chips au vinaigre à la sortie des cours. A première vue, tous les ingrédients nécessaires à la concoction d'une belle gélule de Prozac sont réunis... mais non, rassurez-vous : Le mystère du temple disparu n'a rien d'un roman jeunesse larmoyant !
Quand Alex est convoqué dans le bureau de la principale un beau matin, en plein milieu d'un cours, il est surpris mais pas inquiet outre-mesure : bien qu'il soit vif d'esprit et débrouillard, il n'est pas du genre à se faire remarquer par ses conneries. La cheffe d'établissement reste évasive sur les raisons de leur entrevue, et se contente de lui demander des renseignements WTF sur sa vie, du style : "est-ce que tu vas toujours au club de latin ?" avant de lui fourguer les coordonnées d'un homme d'affaires tout en lui assurant qu'une "occasion extraordinaire" l'attend à son adresse. Autant dire qu'Alex repart avec plus de questions que de réponses, mais ce n'est pas pour lui déplaire, au fond : moins on a d'infos, plus on peut rêver. Il s'imagine déjà sur le tournage d'un peplum.
Il n'en sera rien. L'homme en question s'appelle Solomon Dahlia. On ne sait pas trop ce qu'il fait de ses dix doigts, mais il est manifestement riche et confie à Alex une mission aussi périlleuse qu'insolite : se téléporter au III° siècle de notre ère et arpenter les rues de Londinium, nom de la "Londres antique", afin d'y retrouver une jeune fille vivant à cette époque.
Signes particuliers de la demoiselle en question ? Des yeux bleus, un couteau en ivoire accroché à la ceinture, et... c'est tout. Autant chercher une aiguille dans une botte de foin _en supposant que tout cela ne soit pas une vaste plaisanterie. Le collégien est sceptique, mais Dahlia a l'air sérieux. Lorsqu'il l'amène à proximité du portail temporel censé le faire atterrir dans un temple consacré au dieu Mithras, Alex commence à croire à cette folle histoire, et à paniquer. Va-t-il accepter ?
Oui, car c'est très bien payé !
Bientôt, Alexandre Papas traverse le portail à la Stargate dans les règles de l'art _à savoir : à poil et à jeun depuis deux jours_ et se retrouve, comme prévu, en l'an 260 à Londinium.
La jeune fille aux yeux bleus et à l'haleine pestilentielle
On pouvait s'y attendre : Caroline Lawrence a voulu faire en sorte que la découverte de la vie quotidienne dans les terres conquises par les Romains soit parsemée de désillusions pour le jeune Alex. Pas le temps pour le héros de déambuler en toge sous le soleil, une grappe de raisin à la main : il lui faut d'abord trouver de quoi se vêtir de façon à ne pas être assimilé à un pouilleux qu'on chasse sans ménagement, des chaussures pour ne pas patauger dans la merde H24 (puisqu'il n'y a pas d'égouts), un endroit pour dormir... Le moins qu'on puisse dire, c'est que les braves citoyens de Londinium ne font ni dans le social, ni dans la tolérance et méprisent ouvertement ceux qui n'ont pas leur statut, qu'ils soient esclaves ou juste pauvres.
Les personnages principaux sont bien ancrés dans ce système que Lollia défend vivement. Lollia, c'est la fameuse fille aux yeux bleus, dont le squelette retrouvé dans des fouilles archéologiques fascine tant Solomon Dahlia. Eh bien, derrière sa prestance et ses cheveux blonds qui vont faire tourner la tête des deux collégiens du futur, la demoiselle est une sacrée peau de vache. Non seulement elle se la pète, mais en plus de cela, elle évacue ses frustrations d'adolescente du troisième siècle sur Plecta, sa petite esclave. Pour couronner le tout, la belle pue de la gueule _mais ça, bien sûr, faut pas en parler ! et tourne à l'huile de girofle pour atténuer la douleur et cacher la misère. Bref, l'autrice a voulu faire d'elle un personnage détestable bien loin du fantasme de Dahlia, et c'est tout à fait réussi.
Bien entendu, ce n'est pas spoiler que dire qu'Alex va localiser assez rapidement la jeune fille introuvable ; seulement, je ne préciserai pas comment. Car ça, ce serait spoiler.
Malgré ses airs de princesse sûre de ses atouts, Lollia est le jouet du destin et des prétentions familiales, comme toutes les filles de son époque ; et lorsqu'elle essaiera de s'en affranchir, ce sera épique, haletant... et dangereux pour tout le monde. La sage et aimable Plecta de Pergame_ a-t-elle bien d'autre choix que celui d'être agréable ? vient contrebalancer les humeurs de sa maîtresse. Bientôt, Alex verra en elle des qualités que l'exubérance de Lollia avait tendance à masquer, et il trouvera en elle une alliée fiable.
Ainsi, un quatuor équilibré en tous points se dessine : Alex le leader, Lollia la star, Plecta la réfléchie, et Dinu le musclé pas très vif d'esprit. Cela m'amène à réexaminer l'illustration de la couverture, qui dans un premiers temps m'avait plutôt séduite...
Nom de Zeus ! Mais où est Plecta ? Vous n'avez tout de même pas squeezé l'esclave ?! |
L'important, c'est de communiquer
Laissons de côté cette observation sur la couverture, qui est du reste très réussie ; mais je reconnais que ce choix éditorial me chiffonne.
Un élément de l'histoire, un seul, ne me semble pas réussi dans Le mystère du temple disparu : la relation harceleur / harcelé qu'entretiennent Alex et Dinu n'évolue pas de façon crédible, à mon sens. Bien qu'elle soit, à la base, assez caricaturale _le colosse un peu bête qui pique le casse-croûte du petit futé_ elle avait au moins le mérite de servir de catalyseur à l'action, puisque c'est après avoir subi "le vol de trop" qu'Alex décide de relever le défi lancé par Solomon Dahlia. L'aventure amène les deux garçons à collaborer, bien sûr, et petit à petit le rapport de force s'inverse car en terme de culture antique et de pratique du "latin courant", la victime a plusieurs longueurs d'avance sur son bourreau. Ok, c'était prévisible, mais ça se tient !
Par contre, lorsque vient le moment où Alex reproche à son compagnon de fortune de ne cesser de le spolier au quotidien, la réponse de Dinu sonne faux : niant tout racket ou vol, il prétexte une mauvaise interprétation de l'attitude du latiniste, et joue la carte de la faim.
"Nous ne sommes pas amis. Tu es un voleur. Tu me voles mes chips.
Du coin de l'oeil, je le vis secouer la tête.
_Non. Tu me les apportes parce que tu es gentil.
_Tu plaisantes ? Je les apporte pour moi. Je te les donne seulement pour que tu ne me tapes pas dessus !
_ Te taper dessus ? Tu m'as déjà vu taper quelqu'un ?
J'y réfléchis.
_ Non, dus-je admettre. Mais tu viens me voir, alors que tu fais une tête de plus que moi et le double de mon poids, et tu me dis : "Donne-moi tes chips"...
_Et toi, tu me les donnes parce que tu sais que ma mère ne peut pas me payer un petit déjeuner, non ?"
Dinu est-il sincère ? N'assume-t-il plus ses actes et son passé de brute, une fois en terre hostile ? Libre à nous de nous faire une idée à ce sujet. En tous cas, cette mise au point m'a déroutée.
Adultes en carton
Comme c'est fréquemment le cas dans les romans écrit pour les jeunes, les adultes du Mystère du temple disparu ont rarement valeur d'exemple. Hormis la grand-mère d'Alex, qu'il nous présente comme carrée mais bienveillante, les majeurs et vaccinés sont tous soit à l'ouest, soit violents, soit réacs, soit toxiques... et ce, aussi bien en 2020 qu'en 260. Mme Okonmah, la principale, autrement dit la responsable de centaines de gamins, ne voit pas d'inconvénients à jeter un des ses élèves dans les griffes d'un milliardaire random aux projets insensés.
Une fois à Londinium, la vie d'Alex sera sans cesse menacée par des hommes et des femmes disposés à le chasser, à l'insulter, à lui voler ses maigres effets. Dinu n'est pas en reste, puisqu'il est tout de suite repéré et enrôlé comme gladiateur, sans avoir vraiment pu exprimer son avis. Le père de Lollia veut la marier de force à un brasseur qu'on devine beaucoup plus âgé qu'elle, et Plecta a été vendue à un marchand d'esclaves par son cousin, après que sa famille a été décimée par la peste.
Et encore, on ne jugera point les rituels particuliers des bonhommes qui vénèrent le dieu Mithras.
Le culte de Mithras
Le portail temporel qui permet de passer d'une époque à une autre à certaines conditions se situe dans un mithraeum, c'est à dire une sorte de temple dédié au dieu Mithras, aussi appelé Mithra. Pour ma part, je n'avais jamais entendu parler de cette figure mythologique, et il m'a fallu faire quelques recherches sur lui.
Il s'agit donc d'une divinité des Perses (les ancêtres des Iraniens) vénérée depuis 500 avant JC. Représentant de la justice, de l'ordre des choses, son culte s'est exporté partout où les vagues pouvaient l'amener, bizarrement : dans les villes portuaires de l'Empire romain, près du Danube et du Rhin.
Les prêtres de Mithra participaient à des cérémonies censées les rendre immortels et rejouaient la scène clé du sacrifice d'un taureau par le dieu. Les rituels ne se déroulaient jamais à la vue des autres hommes, tout doit rester secret ; dans Le mystère du temple disparu, on ressent bien le mystère, justement, qui entoure les faits et gestes des religieux.
Le dieu indo-iranien a tellement bien fait sa place dans l'univers des Grecs et des Romains qu'on a fini par l'"assimiler" à l'Hélios.
Sources : Encyclopédie Larousse, article "Mithra" et Odysseum, article Mithra à Rome. Et un peu Wikipédia, aussi, cela va de soi.
Caroline à Londres
L'attachement de l'autrice à cette ville qu'elle connaît bien est perceptible : Caroline Lawrence ne perd jamais une occasion de faire le lien entre Londinium et Londres, en parlant de ce qui a perduré, comme la Tamise, et de ce qui a évolué, comme la Walbrook, une rivière qui s'est asséchée avec le temps. D'autres lieux-clés de la ville sont évoqués, comme la Tate Modern et le théâtre du Globe.
On pourrait croire ces allers-retours fastidieux, mais ce serait oublier que l'écrivaine pour enfants connaît toutes les combines pour faire un page-turner sympa : des personnages attachants mais pas trop parfaits, auxquels on peut s'identifier, une action qui ne ralentit jamais, des chapitres courts qui permettent de segmenter la lecture facilement _pour ceux qui en auraient besoin.
Le mystère du temple disparu est une belle surprise et occupe une place de choix dans la sélection du PLJA, à mon avis. Il nous amène dans une contrée relativement peu exploitée en littérature, en comparaison de Rome ou d'Athènes, par exemple. Ce roman nous apporte pas mal de références culturelles, et il a l'avantage de ne pas être plombant. Les collégiens apprécieront les phrases de "latin courant" parfois balancées au détour de dialogues plus ou moins houleux.
Accessible à partir de 12 ans, selon moi, mais tout est relatif !
Caroline LAWRENCE. Le mystère du temple disparu. Gallimard Jeunesse, 2020. 310 p. ISBN 978-2-07-514151-2
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