Phobiques des insectes, attention : un cafard s'est glissé dans cet article !
Un jour, en écoutant la joyeuse bande d'Homomicro, j'ai entendu parler de ce roman de science-fiction écrit par Daniel Keyes dans les années 60. Le chroniqueur _ sans doute Eric Garnier, je ne sais plus..._ nous l'a présenté comme un classique du genre.
Charlie Gordon, un jeune handicapé mental, mène une existence sans joie ni peine ni sens, entre son emploi d'homme à tout faire dans une boulangerie et son pénible apprentissage de la lecture à l'école des adultes attardés. Sa bonté d'âme et la volonté d'être "plus intelligent" qu'il manifeste lors des cours de Miss Kinnian l'amènent à être sélectionnés par deux psychiatres pour mener une expérience à risques : permettre de faire grimper le Q.I d'un "arriéré" par le biais d'une intervention chirurgicale.
Alice Kinnian émet des réserves, mais le Dr Strauss et le Professeur Nemur lui assurent que l'opération ne présent aucun risque, puisqu'ils ont déjà testé leurs hypothèses sur une souris et que c'est une vraie réussite : Algernon _ladite souris_ a largement dépassé les capacités mentales de n'importe quel rongeur de son espèce, et parvient à se dépêtrer à une vitesse folle de labyrinthes toujours plus complexes. Du reste, elle se porte bien.
Charlie est surexcité à l'idée d'être enfin "normal" ; il ne sait pas en quoi ça consiste, mais il sait qu'être "intelligent", c'est bien. Vivement que son hospitalisation se termine, et qu'il puisse retourner laver les chiottes de la boulangerie et rire avec Frank et Joe, ses collègues-amis. En attendant, il suit à la lettre les consignes du Dr Strauss : consigner dans un carnet tout ce qui lui passe par la tête, afin qu'on puisse évaluer sa progression mentale au fil des textes.
Voilà pourquoi Des fleurs pour Algernon se présente sous la forme d'un journal de bord tenu quasi quotidiennement par le héros.
Effectivement, tout se passe bien ; à son réveil, c'est une nouvelle vie qui commence pour Charlie, même s'il ne s'en rend pas compte tout de suite. Le brouillard se lève sur le monde qui l'entoure, dévoilant une ville dont il ne soupçonnait pas l'existence, des hommes dont il ne mesurait pas les multiples facettes et la cruauté. Les souvenirs reviennent, comme des coups de massue sur l'"idiot" qu'il était. Pour son bonheur _et son malheur, il comprend tout, enfin.
Attention spoiler !
N'allez pas plus loin si vous voulez lire ce livre.
(Mais sinon, vous pouvez.)
Charlie, Charlie et Algernon
Au fur et à mesure que ses capacités augmentent, Charlie Gordon prend conscience de son humanité et découvre des sentiments qu'il n'avait jamais éprouvés : la joie, la curiosité, l'amour, mais aussi la honte et la colère.
Il ressent la joie d'être enfin ce que sa famille a toujours voulu qu'il soit, avant de l'abandonner et de le faire passer pour mort : un garçon aux facultés mentales normales.
La curiosité d'apprendre, forcément insatiable, mais aussi incontrôlable ; Charlie doit composer avec deux difficultés, puisqu'il doit d'une part rattraper son retard par la culture, et d'autre part canaliser un cerveau dont les capacités ne cessent d'augmenter. Il devient "une éponge" à savoir, apprend plusieurs langues en quelques jours, et ne conçoit pas que tout le monde ne puisse en faire de même. Mais l'homme n'aime pas se sentir inférieur : complexés, ses collègues s'écartent de lui car il est trop intelligent pour eux et il finit par se faire jeter de la boulangerie. Tout porte à croire que Charlie Gordon est fait pour vivre dans l'isolement, quel qu'il soit.
Même Alice Kinnian ne se risque pas à sortir avec lui : elle se sent tellement bête à côté de lui ! Pourtant, il sait qu'il l'aime, et qu'elle pourrait céder à la tentation ; mais il se révèle incapable de la baiser, à cause d'un blocage causé par les maltraitances d'une mère tyrannique.
Tout comme sa mère, Charlie a honte de Charlie, l'ancien Charlie ; où qu'il aille, quoi qu'il fasse, l'hallucination de Charlie l'idiot bienheureux le scrute de ses yeux ahuris. Au fil de ses comptes-rendus, le jeune homme note ses souvenirs d'enfance en parlant de lui-même à la troisième personne, comme s'il rêvait le passé d'un autre. Il ne comprend pas que ce gamin qui se chiait dessus de peur que sa mère le fouette, sachant qu'elle le fouettait systématiquement quand il se chiait dessus (ouais, c'est le serpent qui se mord la queue) ait pu être lui, un jour. Chacun de ses comportements saugrenus le couvre de gêne à présent ; il aimerait se débarrasser de cet "attardé" qu'il n'est plus, et dont il serait capable de se moquer lui-même. Le seul moyen qu'il a d'y échapper, c'est de s'en distinguer sciemment clairement via ses écrits.
La moquerie, il l'a vécue durant des années sans en souffrir, puisqu'il ne la percevait pas. "N'était-ce pas mieux ainsi ?" se dira plus tard l'homme devenu "un télijan". Lorsqu'il réalise enfin que ses amis Frank et Joe, ont passé des années à lui jouer des sales tours et à rire sur son dos, la colère le saisit enfin, sans qu'il puisse rien en faire : il lui manque l'expérience et la prise d'initiative, qui ne s'apprennent ni dans les livres, ni pendant les séances de psychothérapie.
En effet, Charlie Gordon demeure un simple cobaye pour ses médecins, au même titre que la souris Algernon. Il se prend d'ailleurs rapidement d'affection pour elle, en se disant que la destinée les a rapproche un peu. Mais il sait aussi que l'avenir d'Algernon en dira beaucoup sur le sien, étant donné qu'ils ont subi le même traitement : si un jour elle décline et meurt, il ne pourra plus donner cher de sa propre peau. L'homme revendiquera inlassablement sont statut d'humain dans l'expérimentation. Après ET avant l'opération. Il ne sera pas vraiment entendu, mais plutôt exhorté à la gratitude envers ceux qui l'ont "sauvé" de son engourdissement mental.
Chacun ses références souristiques ! (Minus et Cortex) C'est quand même autre chose que Hermux Tantamoq ! |
Perturbant
Présenté comme une oeuvre majeure de la S.F, Des fleurs pour Algernon est particulièrement accessible à ceux qui en lisent peu. Hormis les indications scientifiques données par Charlie au sujet de l'intervention qu'il a suivie, et des effets positifs et négatifs qui en résultent, on n'est pas noyés dans le jargon médical. J'avoue avoir eu une crainte à ce sujet. Les connaissances de l'auteur en psychologie sont par contre bien visibles, et on devine à travers la peinture du héros une bonne connaissance des "simples d'esprit", comme on se plaisait à les appeler, avant. J'avais aussi peur de lire une suite de d'idées reçues agglomérées en un même personnage, mais pas du tout. Mais ce roman de Daniel Keyes (mort en 2014) est avant tout une réflexion sur la difficulté des rapports humains, sans cesse déterminés par la facilité qu'on a _ou pas_ à rentrer dans les clous.
Des fleurs pour Algernon est largement pressenti pour gagner le trophée du Cafard de Plomb spécial Rentrée Scolaire Pluvieuse, et peut-être même, qui sait ! Le prozac d'or !
Même si certaines incohérences dans la rapidité d'évolution de Charlie font qu'on a bien conscience de lire de la fiction, ce récit est bouleversant, voire perturbant. L'histoire vaut le détour, mais pas si vous êtes dans une période de déprime, car elle pourrait bien vous achever !
KEYES, Daniel. Des fleurs pour Algernon. Trad. de l'anglais par Georges H. Gallet. Editions J'ai lu. 2002. Coll."Science Fiction". 252 p. ISBN 2-290-31295-9
4 commentaires:
Il est génial ce bouquin :) Tu as lu quelle version ? Celle augmentée est très bien, avec une bio de l'auteur et les différentes versions du texte, ça donne une idée de son travail.
Oui c'est vrai :-)Je l'ai trouvé en livre de poche (J'ai Lu, 2002), avec "juste" le texte, si l'on peut dire. Je serais curieuse de lire la version augmentée ! Merci pour l'info ! Tu sais de quelle édition il s'agit ?
Mmh, mon comm de ce matin n'est pas passé. Donc, la version augmentée c'est aussi en J'ai Lu, elle date de 2012 (http://www.noosfere.com/icarus/livres/niourf.asp?numlivre=2146583576)
Voilà !
Oh super !! merci !! Je vais aller voir ça :-D
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