mercredi 17 août 2016

L'assassin royal - 11 - Le dragon des glaces - Robin Hobb (2003)


Oui oui, vous avez bien compris : vous allez vous bouffer toute la série ! :)  

"C'est encore loin ?
_ Ta gueule !" 

Où est-ce qu'on en était ? 

A la fin de "Serments et deuils", Fitz et son drôle de clan d'Art étaient sur le point de partir vers les contrées d'Outre Mer afin d'accompagner le prince Devoir dans sa quête. Souvenez-vous : lors de leurs fiançailles calamiteuses organisées à Castelcerf, la narcheska Elliania* lui avait lancé le défi d'aller sur l'île d'Aslevjal** pour y couper la tête de Glasfeu, un dragon prisonnier des glaces.

Ce onzième tome s'ouvre sur les appréhensions de notre bâtard royal préféré à l'aube de son grand départ, et se poursuit avec le très long et fastidieux voyage en mer jusqu'aux terres de la fiancée du prince _si tant est qu'on puisse l'appeler ainsi. Seuls les derniers chapitres du "Dragon des glaces" auront pour décor les paysages outrîliens... Comme le laisse entendre Fitz à plusieurs reprises, rien n'est plus triste et ennuyeux que chevaucher les vagues des jours durant ; à plus forte raison lorsqu'on est ballotté au fond d'une cale. Ce n'est pas Lourd qui dira le contraire : malgré sa difficulté à comprendre l'environnement dans lequel il vit, l'homme fait partie du convoi exceptionnel car la puissance de son Art le rend indispensable au clan. Son importance est telle qu'on ne prête nulle attention à ses angoisses et à son mal de mer, pour son plus grand malheur ; aussi Fitz devra-t-il jouer les garde-malades en mer comme sur terre. Cloué à la cabine du jeune homme simple d'esprit comme une chèvre à son piquet, il aura tout le temps de se morfondre, de s'inquiéter pour tous ceux qu'il laisse derrière lui : Heur, Ortie, et surtout le Fou, mesquinement exclu du voyage par Umbre. Une fois à terre, d'autres sources de préoccupation s'ajouteront aux siennes ; les îles d'Outre Mer ne sont pas les Six-Duchés ! Les clans se tirent tous dans les pattes et la délégation de Castelcerf n'est la bienvenue que pour celui du Narval, représenté par la grand-mère de la jeune Elliania. Personne ne s'attendait à poser le pied sur des côtes clairement hostiles, et ce nouveau paramètre change la donne pour tout le monde, y compris pour ce "vieux renard" calculateur d'Umbre.

Pas de doute, ce n'est pas dans cet avant-avant dernier épisode de la série que vous perdrez le souffle en lisant des scènes de baston, des courses poursuites dans les combles du château ou autres attaques des pirates. Place à l'espionnage, à la force mentale et au pouvoir des rêves ! 

Après on s'étonne qu'Elliania soit piquante ! 


ATTENTION SPOILER ! 


Vis tes rêves, mais pas trop quand même !  

Fitz a du faire bien des concessions dans sa vie pour défendre les intérêts du trône des Loinvoyant ; mais lorsqu'il s'agit de sa fille, il reste intraitable. Bien sûr que la jeune Ortie, dotée d'une magie d'Art aussi puissante que celle de son "cousin" Devoir, pourrait apporter toute sa force au clan du prince ; mais elle perdrait gros : sa vie tranquille loin des dangers de la cour, et surtout sa famille. Est-il souhaitable qu'elle découvre que Burrich n'est pas son vrai père ? Rien n'est moins sûr. Pourtant, sans avoir jamais appris à gérer ses dons, Ortie a développé un pouvoir bien précis : celui de modifier les rêves des autres ; et devinez quoi ! elle va sauver Lourd du désespoir, à la demande de Fitz, et le débarrasser de son mal de mer en intervenant sur son sommeil, à travers la rêverie.

Est-ce que je vous ai dit que les scènes d'actions manquaient, dans "Le dragon des glaces" ? C'est faux : il y en a dans les rêves qu'Ortie et son "vrai" père partagent. Mais à trop la solliciter, celui qu'elle appelle "Fantôme de Loup", et dont elle n'a qu'une image onirique faussée, pourrait bien l'entraîner sans le vouloir au devant des pires dangers...  Les dernières scènes de ce tome mettront d'ailleurs Fitz au pied du mur et son prince lui demandera des comptes sur cette fille qui, en sauvant Lourd, s'est faite remarquer par tous les membres du clan. Si seulement le petit homme savait tenir un minimum sa langue ?


"Mais quel con !"

Des baffes !! 


Même si la toute jeune Malta et le Gouverneur Cosgo avaient suscité, pour ma part, une violente aversion dans Les Aventuriers de la Mer, jamais je n'avais été autant agacée par certains personnages dans L'Assassin Royal. Ah, si : Royal et Galen ! Mais ça date. Robin Hobb traite tellement bien son "huis clos sur navire" _après la partie de Cluedo à la cour, dans "Serments et deuils", qu'elle nous transmet les envies de meurtres qui nous passent par la tête lorsque traîne quelques semaines durant aux côtés de trois mêmes pelés qu'on n'a pas forcément choisis. Dans l'ordre, j'ai eu envie de baffer Leste, le fils mythomane de Burrich, insolent et fourbe comme pas deux. Fier à outrance de sa magie du Vif, on a presque envie de re-légitimer l'assassinat des vifiers à Castelcerf rien que pour lui. Maintenant habitué à son rôle de prof, Fitz saura garder son calme.  

Pas très loin derrière lui, Umbre joue les connards de première et se gausse du malaise de l'assassin royal lorsqu'il doit se résoudre à révéler à son prince l'identité d'Ortie. Insupportable. 

Lourd porte particulièrement bien son nom dans cette tranche de l'histoire : pris de mal de mer, il passera la première partie du voyage sur le pont... et y chopera une bonne crève, forcément. Alors il passera ses nerfs sur Fitz, parce que c'est forcément sa faute tout ça ; et entre deux reniflements, il lui mettra les bâtons dans les roues autant que faire ce peut. Des baffes, tiens ! 

Enfin, Trame. "Bah, mais il est tout gentil !". Oui, justement, il en fait trop alors qu'on lui demande absolument rien. A chaque fois, le vifier et sa mouette réussissent à se mettre ces grincheux de Leste et de Lourd dans leur poche en moins de trente secondes, et c'est terriblement énervant au regard des efforts du héros qui ne parvient pas à se faire respecter d'eux. A trop jouer le père de tout le monde, Trame en devient pénible, sinon douteux. Allez, des baffes aussi ! C'est gratuit ! 



Une société matriarcale


Attention, la délégation de Castelcerf débarque en terre inconnue, avec des valises de préjugés et des fantasmes exotiques bien précis : ça ne va pas être triste. Déjà, Zylig est une ville aussi dégueulasse que sa bouffe _essentiellement basée sur le pâté de poisson. Ensuite, Devoir et ses proches comprennent vite qu'ils ne sont pas en totale sécurité étant donné qu'on les a logés dans la maison forte avec la surveillance qui s'impose. Enfin, ces gens n'ont pas le même sens de l'accueil que les gens des Six-Duchés : selon eux, fournir la bouffe à des invités revient à les considérer comme faibles et incapables de se nourrir seul. Par conséquent, chaque arrivant prévoit sa gamelle, parce que c'est ça aussi, le respect ! 

Mais surtout, la grande différence entre les îles d'Outre Mer et les Duchés réside dans l'organisation hiérarchique de la société : puisque les hommes font les marioles en mer toute l'année, ce sont les femmes qui détiennent le pouvoir sur terre, et pas qu'un peu. Si Robin Hobb avait déjà laissé entendre la pertinence d'une société matriarcale lorsqu'elle nous racontait Terrilville dans Les Aventuriers de la Mer, elle la met en scène sans rien laisser au hasard dans L'Assassin Royal. Bien qu'elle n'invente rien _ le mythe des Amazones (les copines de Xéna) ne date pas d'hier, elle recrée ,sans s'appesantir sur les détails, une société où les femmes ont acquis un ascendant sur les hommes ; de plus, elle parvient à traduire avec justesse le regard des hommes de Castelcerf sur ce "monde à l'envers". Cerise sur le gâteau, elle s'éclate en attribuant exclusivement la liberté sexuelle aux femmes, dès lors tout à fait libres de choisir le partenaire qu'elles souhaitent sans que l'homme ait clairement son mot à dire. Fitz ne se sortira de ce dangereux guêpier qu'en faisant croire à une demoiselle qu'il a trop envie de chier pour lui faire l'honneur de coucher avec _argument simple et efficace, tandis que le vieil Umbre se pliera sans broncher aux mœurs des îles. 

Notre seul regret sera que Robin Hobb ne nous ait pas dessiné une petite cartographie des îles d'Outre Mer, dans le style de celle des Six-Duchés, que l'ont peut lire à l'ouverture de chaque volume. Elle nous a été bien utile par le passé ! Enfin, c'est plus facile à dire qu'à faire, et j'ai qu'a la tracer moi-même si ça me manque tant, me direz-vous.

"Le dragon des glaces" plaira aux fans de la première heure, mais pourra se révéler ennuyeux pour les lecteurs qui n'apprécient pas la branlette de méninges _mais est-ce qu'on arrive au tome 11 de L'Assassin Royal si on n'aime pas ça, ne serait-ce qu'un peu ?... Le meilleur moment de ce livre ? La dernière phrase, tout simplement. Sachez-le, ça vaut la peine de bien lire jusqu'au bout ! 


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*Gnagnagna, c'est un peu chiant à prononcer ! Voilà, c'était la note de pas de page foireuse, désolée ! 
** Bon bah j'ai perdu une dent ! 


Edition utilisée ici : 
ROBIN HOBB. L'Assassin Royal 11 - "Le dragon des glaces". Trad. A. Moustier-Lompré. Editions France Loisirs, 2007. Coll. Piment. 404 p. ISBN 2-7441-8735-6

Illustration couverture : John Howe. 
Site de l'illustrateur : http://www.john-howe.com/blog/ 

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