Entre deux tomes des Aventuriers de la mer et trois épisodes de Xéna la guerrière (oui oui, dans quelques jours, vous comprendrez pourquoi...), faisons une parenthèse romans jeunesse avec deux électrons libres tout aussi surprenants l'un que l'autre : Route 225 de Chiya Fujino, trouvé au Quai des livres à Bordeaux en même temps que Adieu la chair, il y a fort longtemps donc... et Mon chien est raciste d'Audren, découvert à Périgueux le même jour que Brainless. Les deux étaient des "seconds choix" dans mes craquages livresques, les deux ne m'ont pas déçue... même s'ils peuvent être tous deux assez déconcertants, à leur manière !
Route 225 - Chiya Fujino (2003)
Eriko a quatorze ans, des copines aussi frivoles qu'elle, des parents lourds, un petit frère de treize ans pré-pubère et immature (vivement qu'il ait des poils et qu'il arrête de pleurnicher !) ; en trois mots, une vie ordinaire de collégienne au Japon. Un soir, Daigo le petit frère ne rentre pas de l'école. Eriko ne s'inquiète pas outre-mesure, mais elle part tout de même à sa recherche pour éviter que leur mère ne se ronge trop les sangs. Elle avait bien raison : il n'y avait pas de quoi s'en faire ! Après avoir traversé la route nationale qui passe près de chez eux _la fameuse Route 225_, elle le trouve en train de rêvasser sur une balançoire du parc pour enfants. Tout va bien ! Mais au moment de rentrer à la maison, ils ne parviennent plus à retrouver leur chemin dans ce quartier qu'ils connaissent pourtant par coeur : tout a changé : les rues, les commerces, les personnes...
Quelle est cette ville inconnue ? Comment sont-ils arrivés là ?
Quelques heures plus tard, ils regagnent enfin le cocon familial... et constatent que les parents l'ont déserté.
Le sens du détail
Daigo "le trouillard" prend peur et évoque assez rapidement la possibilité d'être passé dans un monde parallèle en sortant du parc. Eriko cherche une explication rationnelle à cette drôle de situation, car il y en a forcément une ! En vain... Entre angoisse et humour, les enfants cherchent à tâtons les frontières entre leur "nouvel" univers familier, si l'on peut dire, et ce qu'ils appellent déjà "leur vie d'avant". Oh, les différences se jouent à des détails tellement insignifiants qu'ils n'y prêteraient sans doute même pas attention si l'absence de leur parents ne venait pas leur rappeler l'incongruité de la situation : le joueur de baseball préféré de Daigo a pris de l’embonpoint, une prof sort du magasin discount du coin alors qu'elle va habituellement faire ses courses ailleurs... D'autres situations sont plus troublantes : Daigo rencontre une camarade de classe morte quelques mois plus tôt ; après un cours, Eriko est chaleureusement invitée à sortir par une copine avec qui elle était brouillée depuis longtemps. Plus tard, elle trouve dans sa chambre une lettre de réconciliation écrite par cette fille, lettre qu'elle est sûre de n'avoir jamais lue. Si bien que même Eriko la fière, la dure, l'espiègle grande soeur qui aime tant torturer son petit frère a quelques difficultés à faire belle figure.
Nous n'en saurons pas plus...
Mise à part l'incompréhensible absence des parents, les enfants souffrent surtout de ne pas pouvoir partager leur angoisse : ils savent d'instinct qu'ils seront pris pour des fous et ne tiennent pas à dévoiler leurs émotions _eh, on est quand même au Japon ! Du coup, ils vont même jusqu'à mentir à la voisine et aux proches pour masquer la désertion des adultes, et se replient sur eux-même ; ça aura au moins le mérite de les rapprocher.
Par trois fois, Eriko et Daigo auront l'opportunité d'être en contact téléphonique avec leur mère, joignable seulement lorsqu'ils utilisent la carte téléphonique de Daigo (!), et encore... Par trois fois, pressés par le peu d'unités restantes, et par manque d'écoute réciproque, ils gâcheront leurs possibilités de dialoguer clairement et d'avoir des réponses aux questions qui les taraudent. On se croirait presque dans une histoire de Kafka... J'ai essayé dans un premier temps de quitter les yeux d'Eriko, narratrice de Route 225, pour lire avec les miens : est-ce un roman qui file la métaphore du détachement des parents que les enfants expérimentent à l'adolescence ? Parle-t-on du deuil de quelque chose ? d'une culpabilité ? mais laquelle ? Mais finalement, ces pistes ne m'ont amené à rien de convaincant _ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a rien à voir, d'ailleurs. Je crois que Chiya Fujino a surtout voulu écrire un texte étrange, fantastique et drôle sur la relation frère/soeur éventuellement, dans lequel on se résigne à accepter l'inexplicable pour composer avec.
Visiblement peu connu, classé littérature jeunesse mais destiné aux plus de 15 ans, sans doute parce que le côté fantastique de l'histoire pourrait dérouter les plus jeunes, Route 225 est captivant jusqu'aux dernières pages ; on en espérerait presque une suite...
FUJINO Chiya. Route 225. 2003, Editions Thierry Magnier. Trad. Silvain Chupin. 254 p. ISBN 2-84420-240-3
Mon chien est raciste - Audren ; dessins de Clément Oubrerie (2015)
Une telle couverture ne peut que vous faire de l'oeil quand vous passez devant le présentoir : un titre qui suscite l'interrogation, une illustration mettant en scène un petit chien blanc lorgné de près par quelques bestioles plus imposantes et colorées dans des teintes gris-noir. Cette petite boule de poils qui crève l'image, c'est Minou, le chien abandonné que Maël et ses parents ont recueilli. Bon, son arrivée n'était pas vraiment prévue : au début, lorsqu'ils l'ont trouvé, ils ont fait du porte à porte dans l'immeuble pour savoir si quelqu'un le connaissait et/ou en voulait. Si tout le monde s'est accordé à dire que la bestiole était adorable, personne ne s'est proposée pour l'accueillir. Maël, 10 ans, a donc hérité du paquet pour son plus grand bonheur. Effectivement, les deux se sont tout de suite entendus à merveille et en quelques mois, ils sont devenus très attachés l'un à l'autre.
Pourtant, un jour, Minou montre les dents à Laurent, un camarade de classe de Maël et tente de le mordre. L'oncle et les cousins de Maël feront eux aussi les frais de ses montées d'agressivité insoupçonnées. Tout le monde est très étonné, car habituellement le chien est doux comme un agneau... En l'observant mieux, ses maîtres remarquent que Minou ne s'en prend qu'aux Noirs : pas de doute, leur chien est raciste. Mais comment est-ce arrivé ? Et que faire pour le "guérir" ?
Pourquoi et comment un chien devient-il raciste ? Maël n'en saura rien, malgré ses recherches et son introspection. Car comme on dit, tel maître, tel chien... est-ce que lui-même ne serait pas un peu raciste sans le savoir ? Comment lui faire comprendre à Minou que sa conduite est stupide ? Sa haine des Noirs est-elle comparable à celle éprouvée par le père de sa copine Emma ? Ce type exprime ouvertement sa connerie à qui veut l'entendre et personne ne le contredit vraiment ; au pire, on l'évite. Loin de vouloir créer une atmosphère d'angoisse et d'incompréhension comme ce fut le cas dans Route 225 de Chiya Fujino, Audren et Clément Oubrerie ont cherché à aborder une question grave par le biais d'une situation cocasse, histoire de révéler toute l'absurdité du racisme. En effet, rien n'explique concrètement les comportements de l'animal... car c'est un animal ! Cela sous-entendrait que ceux du père d'Emma peuvent se justifier rationnellement ? Pas forcément ! On n'aura pas de réponses...mais on aura de quoi ouvrir le débat et se poser d'autres questions : que faire face au racisme ? Comment le prévenir ? Est-il efficace de le punir ? Le psy peut-il soigner cette drôle de maladie ?
Ce petit roman, accessible dès 9-10 ans à mon avis, mais largement exploitable en 6°, est décidément une très bonne idée. Il a été écrit par Audren et illustré par Clément Oubrerie, auteure et illustrateur dont je connais la renommé mais pas l'oeuvre _enfin pas encore, merci de ne pas me brûler vive ! et il peut être lu pour lui-même ou servir de support à un débat en classe. Les personnages sont attachants, la fin est mignonne et il ne fera pas pleurer dans les chaumières _et ça c'est appréciable, de nos jours. En bref, ce livre pour enfants vaut le détour.
Audren ; OUBRERIE, Clément. Mon chien est raciste. 2015, Albin Michel Jeunesse. Ill. 112 p. ISBN 978-2-226-315555-7
Eriko a quatorze ans, des copines aussi frivoles qu'elle, des parents lourds, un petit frère de treize ans pré-pubère et immature (vivement qu'il ait des poils et qu'il arrête de pleurnicher !) ; en trois mots, une vie ordinaire de collégienne au Japon. Un soir, Daigo le petit frère ne rentre pas de l'école. Eriko ne s'inquiète pas outre-mesure, mais elle part tout de même à sa recherche pour éviter que leur mère ne se ronge trop les sangs. Elle avait bien raison : il n'y avait pas de quoi s'en faire ! Après avoir traversé la route nationale qui passe près de chez eux _la fameuse Route 225_, elle le trouve en train de rêvasser sur une balançoire du parc pour enfants. Tout va bien ! Mais au moment de rentrer à la maison, ils ne parviennent plus à retrouver leur chemin dans ce quartier qu'ils connaissent pourtant par coeur : tout a changé : les rues, les commerces, les personnes...
Quelle est cette ville inconnue ? Comment sont-ils arrivés là ?
Quelques heures plus tard, ils regagnent enfin le cocon familial... et constatent que les parents l'ont déserté.
Le sens du détail
Daigo "le trouillard" prend peur et évoque assez rapidement la possibilité d'être passé dans un monde parallèle en sortant du parc. Eriko cherche une explication rationnelle à cette drôle de situation, car il y en a forcément une ! En vain... Entre angoisse et humour, les enfants cherchent à tâtons les frontières entre leur "nouvel" univers familier, si l'on peut dire, et ce qu'ils appellent déjà "leur vie d'avant". Oh, les différences se jouent à des détails tellement insignifiants qu'ils n'y prêteraient sans doute même pas attention si l'absence de leur parents ne venait pas leur rappeler l'incongruité de la situation : le joueur de baseball préféré de Daigo a pris de l’embonpoint, une prof sort du magasin discount du coin alors qu'elle va habituellement faire ses courses ailleurs... D'autres situations sont plus troublantes : Daigo rencontre une camarade de classe morte quelques mois plus tôt ; après un cours, Eriko est chaleureusement invitée à sortir par une copine avec qui elle était brouillée depuis longtemps. Plus tard, elle trouve dans sa chambre une lettre de réconciliation écrite par cette fille, lettre qu'elle est sûre de n'avoir jamais lue. Si bien que même Eriko la fière, la dure, l'espiègle grande soeur qui aime tant torturer son petit frère a quelques difficultés à faire belle figure.
Nous n'en saurons pas plus...
Mise à part l'incompréhensible absence des parents, les enfants souffrent surtout de ne pas pouvoir partager leur angoisse : ils savent d'instinct qu'ils seront pris pour des fous et ne tiennent pas à dévoiler leurs émotions _eh, on est quand même au Japon ! Du coup, ils vont même jusqu'à mentir à la voisine et aux proches pour masquer la désertion des adultes, et se replient sur eux-même ; ça aura au moins le mérite de les rapprocher.
Par trois fois, Eriko et Daigo auront l'opportunité d'être en contact téléphonique avec leur mère, joignable seulement lorsqu'ils utilisent la carte téléphonique de Daigo (!), et encore... Par trois fois, pressés par le peu d'unités restantes, et par manque d'écoute réciproque, ils gâcheront leurs possibilités de dialoguer clairement et d'avoir des réponses aux questions qui les taraudent. On se croirait presque dans une histoire de Kafka... J'ai essayé dans un premier temps de quitter les yeux d'Eriko, narratrice de Route 225, pour lire avec les miens : est-ce un roman qui file la métaphore du détachement des parents que les enfants expérimentent à l'adolescence ? Parle-t-on du deuil de quelque chose ? d'une culpabilité ? mais laquelle ? Mais finalement, ces pistes ne m'ont amené à rien de convaincant _ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a rien à voir, d'ailleurs. Je crois que Chiya Fujino a surtout voulu écrire un texte étrange, fantastique et drôle sur la relation frère/soeur éventuellement, dans lequel on se résigne à accepter l'inexplicable pour composer avec.
Visiblement peu connu, classé littérature jeunesse mais destiné aux plus de 15 ans, sans doute parce que le côté fantastique de l'histoire pourrait dérouter les plus jeunes, Route 225 est captivant jusqu'aux dernières pages ; on en espérerait presque une suite...
FUJINO Chiya. Route 225. 2003, Editions Thierry Magnier. Trad. Silvain Chupin. 254 p. ISBN 2-84420-240-3
Mon chien est raciste - Audren ; dessins de Clément Oubrerie (2015)
Une telle couverture ne peut que vous faire de l'oeil quand vous passez devant le présentoir : un titre qui suscite l'interrogation, une illustration mettant en scène un petit chien blanc lorgné de près par quelques bestioles plus imposantes et colorées dans des teintes gris-noir. Cette petite boule de poils qui crève l'image, c'est Minou, le chien abandonné que Maël et ses parents ont recueilli. Bon, son arrivée n'était pas vraiment prévue : au début, lorsqu'ils l'ont trouvé, ils ont fait du porte à porte dans l'immeuble pour savoir si quelqu'un le connaissait et/ou en voulait. Si tout le monde s'est accordé à dire que la bestiole était adorable, personne ne s'est proposée pour l'accueillir. Maël, 10 ans, a donc hérité du paquet pour son plus grand bonheur. Effectivement, les deux se sont tout de suite entendus à merveille et en quelques mois, ils sont devenus très attachés l'un à l'autre.
Pourtant, un jour, Minou montre les dents à Laurent, un camarade de classe de Maël et tente de le mordre. L'oncle et les cousins de Maël feront eux aussi les frais de ses montées d'agressivité insoupçonnées. Tout le monde est très étonné, car habituellement le chien est doux comme un agneau... En l'observant mieux, ses maîtres remarquent que Minou ne s'en prend qu'aux Noirs : pas de doute, leur chien est raciste. Mais comment est-ce arrivé ? Et que faire pour le "guérir" ?
Pourquoi et comment un chien devient-il raciste ? Maël n'en saura rien, malgré ses recherches et son introspection. Car comme on dit, tel maître, tel chien... est-ce que lui-même ne serait pas un peu raciste sans le savoir ? Comment lui faire comprendre à Minou que sa conduite est stupide ? Sa haine des Noirs est-elle comparable à celle éprouvée par le père de sa copine Emma ? Ce type exprime ouvertement sa connerie à qui veut l'entendre et personne ne le contredit vraiment ; au pire, on l'évite. Loin de vouloir créer une atmosphère d'angoisse et d'incompréhension comme ce fut le cas dans Route 225 de Chiya Fujino, Audren et Clément Oubrerie ont cherché à aborder une question grave par le biais d'une situation cocasse, histoire de révéler toute l'absurdité du racisme. En effet, rien n'explique concrètement les comportements de l'animal... car c'est un animal ! Cela sous-entendrait que ceux du père d'Emma peuvent se justifier rationnellement ? Pas forcément ! On n'aura pas de réponses...mais on aura de quoi ouvrir le débat et se poser d'autres questions : que faire face au racisme ? Comment le prévenir ? Est-il efficace de le punir ? Le psy peut-il soigner cette drôle de maladie ?
Ce petit roman, accessible dès 9-10 ans à mon avis, mais largement exploitable en 6°, est décidément une très bonne idée. Il a été écrit par Audren et illustré par Clément Oubrerie, auteure et illustrateur dont je connais la renommé mais pas l'oeuvre _enfin pas encore, merci de ne pas me brûler vive ! et il peut être lu pour lui-même ou servir de support à un débat en classe. Les personnages sont attachants, la fin est mignonne et il ne fera pas pleurer dans les chaumières _et ça c'est appréciable, de nos jours. En bref, ce livre pour enfants vaut le détour.
Audren ; OUBRERIE, Clément. Mon chien est raciste. 2015, Albin Michel Jeunesse. Ill. 112 p. ISBN 978-2-226-315555-7
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