Voilà deux ans que j'ai interrompu brutalement ma lecture des Aventuriers de la Mer, au beau milieu du tome 6, "L'éveil des eaux dormantes". Plutôt vers la fin, d'ailleurs. A présent que je suis assez costaud pour m'y remettre, j'ai bien l'intention de poursuivre sur ma lancée et de me manger les trois derniers volumes de la série.
En reprenant le livre au début du chapitre 13, la frustration s'est mêlée à l'agacement : je n'ai rien compris à ce que je lisais, parce que je ne savais plus qui était qui, qui était où, je confondais les vivenefs et leurs capitaines, les îles, les contrées. Il allait donc falloir que je relise les douze premiers chapitres pour m'y retrouver un minimum ! Ca ne m'emballait pas, mais on a quand même vu des corvées plus pénibles que se refaire un roman de Robin Hobb !
Effectivement, je ne sais toujours pas quelle magie utilise cette fille _et ses traducteurs_ pour capter aussi fabuleusement la totalité de l'attention de son lecteur, mais le fait est qu'il se passe quelque chose quand j'ouvre un de ses romans. Ou elle connaît les mécanismes du cerveau et appuie sur les bons boutons pour qu'on accroche à sa narration, ou elle est juste très très douée pour inventer et raconter des histoires. Je pencherais pour la deuxième option. Ouais, même si j'ai vanté dernièrement R.J Palacio, Jérôme Noirez, Lansdale, Robin Hobb est bien la seule qui me fait cet effet-là au point que j'en perde la notion du temps.
Allez, inutile de lui lancer plus de fleurs, car c'est quelqu'un qui n'a plus besoin de pub depuis longtemps ! Taillons-nous à la machette un chemin dans l'histoire !
Allez, inutile de lui lancer plus de fleurs, car c'est quelqu'un qui n'a plus besoin de pub depuis longtemps ! Taillons-nous à la machette un chemin dans l'histoire !
Ayayayayayaya !!!!! |
Petit rappel...
...pour ceux qui seraient aussi à la ramasse que moi...
Déjà, pour commencer, passez en mode univers médiéval et oubliez ce qu'est une date !
Les temps sont durs pour les Marchands de Terrilville : les échanges commerciaux ne permettent plus de faire recette, alors chacun se débrouille comme il peut. La piraterie prend de l'ampleur, tandis que le transport des esclaves se développe : après tout, c'est ce qui marche le mieux... Même les vivenefs, les bateaux magiques dont sont équipées quelques familles marchandes de renom, n'impressionnent plus et semblent bien impuissantes face à la réalité économique et politique. Autant dire que les Rivages Maudits n'ont jamais aussi bien porté leur nom.
Dans cette atmosphère de crise et de chaos tout proche, la famille Vestrit se disloque. Althéa quitte la maison à la mort de son père, déçue de n'avoir pas hérité de Vivacia, la vivenef familiale. Cette dernière est revenue à l'odieux Kyle, le mari de sa soeur aînée Keffria ; elle entend bien la récupérer un jour, et la sortir du trafic d'esclaves auquel son nouveau propriétaire la destine. Keffria est moins intrépide que sa cadette ; son but dans la vie, c'est de rester à Terrilville et d'élever au mieux ses enfants Malta et Selden, tandis qu'à bord de la Vivacia, Kyle se charge de l'éducation de Hiémain, leur fils aîné. Or, le jeune homme semble plus attiré par la vie monacale que par celle de marin.
Au large des côtes, le pirate Kennit rêve de s'approprier une vivenef...
Où est-ce qu'on en était ?
Althéa, Brashen et Ambre ont retapé le Parangon, la "vivenef maudite", mutilée et abandonnée par la famille Ludchance ; la voilà prête à partir à l'assaut des vagues après des années passées à griller sur la plage. Comment va réagir Parangon ? C'est la grande question. Tous trois savent très bien que la figure de proue est psychologiquement fragile, imprévisible, voire un peu schizo. Elle peut balancer tout le monde à la flotte sur un coup de tête, et la légende dit qu'elle l'a déjà fait, alors... Mais ils sont aussi conscients que Vivacia est entre les mains des pirates et que cette embarcation de fortune est leur seule et unique chance de retrouver la trace de la vivenef des Vestrit. Ils quittent Terrilville les dents serrées, avec pour compagnie un équipage de criminels...
Faisant fi des liens du sang, Vivacia s'éloigne de Hiémain pour se rapprocher de Kennit ; un lien très fort unit à présent la vivenef et le pirate. En échange de ses cours de lecture, Etta apprend au jeune moine à manier un poignard, car ça peut toujours servir ! Leur escale sur l'île de Partage dévastée par une attaque lui permettra de mettre très tôt en pratique ses nouvelles compétences. Mais c'est sur l'île des Autres que Hiémain va faire basculer son monde en libérant Celle-Qui-Se-Souvient, le serpent de mer qui sera en mesure de rendre leurs souvenirs à tous ses congénères tellement désorientés...
Malta est morose : sa Présentation au Bal d'Eté symbolisant son entrée dans la société des Marchands de Terrilville ne se passera pas comme prévu. Son père ne sera pas là pour l'accompagner comme le veut la tradition, pas plus que son potentiel mari Reyn Khuprus qui ne donne plus signe de vie ; et pour couronner le tout, elle est depuis quelques temps harcelée en rêve par un dragon qui l'assomme de messages incompréhensibles. Elle ne sait pas que, de son côté, Reyn ne trouve plus le sommeil à cause du même bestiau...
Action et manipulation
Les Aventuriers de la Mer sont le théâtre de tout un enchevêtrement d'intrigues, de personnages mus par des motifs divers et variés, impliquant leur peuple, leur famille ou simplement leur ego. Aussi la lecture de "L'éveil des eaux dormantes" ne pouvait-elle appréciable qu'en ayant en mémoire le contenu, ou au moins les grandes lignes, des volumes précédents. Ma grande crainte, c'était de ne pas être en mesure de me rappeler ce que j'avais lu. Pourtant, les connexions se sont faites d'elles-même au bout de quelques pages. Les personnages ont repris vie, les décors se sont relevés au fil des phrases, les enjeux psychologiques et politiques des uns et des autres ont vite retrouvé leur sens.. A croire que le moindre souvenir reste au fond de notre tête sous une forme déshydratée et et ne demande qu'à être ravivé d'un peu d'eau pour récupérer son éclat d'origine. Ce n'est pas Celle-Qui-Se-Souvient qui vous dira le contraire !
Le titre "L'éveil des eaux dormantes" pourrait bien faire référence à l'explosion générale de l'action sur tous les tableaux. Les non-dits et les messes basses laissent la voie libre aux dagues et aux franches prises de bec. Si Althéa nous avait habitués à mettre les pieds dans le plat, si Kennit a toujours eu la gueule en feu et la main qui fourmille au contact du pommeau, ce sont deux personnages habituellement plus empruntés qui vont se révéler, nous surprendre, et même se montrer déterminants pour la suite (et fin) de la série : Hiémain se fait le porte-parole de Kennit, apprend à se battre et libère le serpent de mer de sa prison moisie. Même si on ne saisit pas encore pleinement le lien qui unit les dragons, les monstres marins et les vivenefs, on comprend que son acte _guidé par une pure compassion_ apporte l'une des pièces centrales du puzzle. Malta s'émancipe et n'hésite plus à salir sa robe pour affronter ce mystérieux dragon dans son antre boueuse. Elle devient alors détentrice du souvenir de vies multiples et ancestrales qu'elles n'aurait jamais soupçonnées, et sa clairvoyance du monde qui l'entoure s'en trouve améliorée. Ca aussi, ça peut servir !
Eh oui, méfiez-vous de l'eau qui dort !
De la castagne ? Oui, mais pas seulement ! Les romans de Robin Hobb laissent souvent une grande part à la peinture de la psychologie des personnages, à l'écriture de la manipulation. A l'image de Kennit, stratège par excellence, l'auteur de l'Assassin Royal met en scène quelques fameux squatteurs de cerveaux : la Compagne Sérille drogue le Gouverneur pour le mettre dans sa poche et lui faire signer un document qui donnera du poids à ses prises de parole ; Jani Khuprus embrouille son fils Reyn pour l'éloigner du dragon prisonnier. Keffria propose un plan aux Marchands du Désert des Pluies pour sous-tirer des informations aux Marchands de Terrilville. Enfin, Kennit, donc, est le champion en la matière : impatient de posséder pleinement Vivacia et de se débarrasser d'Etta, il tente de précipiter Hiémain dans les bras de la prostituée en leur faisant à tous les deux de vieux sous-entendus. Si bien que "le gamin", comme il l'appelle, finit par se persuader lui-même de ses sentiments pour la favorite de son capitaine. Quand on vous matraque la tête avec la même connerie pendant un certain temps, vous finissez immanquablement par y croire...
Pff, que dire pour conclure, si ce n'est que derrière chaque personnage de Robin Hobb se cache quelqu'un qu'on connaît (trop) bien ? Je suis assez fan de Robin Hobb, donc mon avis n'aiderait personne à se faire une idée de ce que vaut ce livre, de toute façon. Il me semble que si on pouvait reprocher au précédent de freiner l'action et de limiter les tempêtes et les combats aux boites crâniennes, ce volume plaira autant aux amateurs de baston qu'à ceux qui aiment bien cogiter.
ROBIN HOBB. Les Aventuriers de la Mer, tome 6 "L'éveil des eaux dormantes". J'ai Lu, 2006. 414 p. ISBN 978-2-290-35692-0
...pour ceux qui seraient aussi à la ramasse que moi...
Déjà, pour commencer, passez en mode univers médiéval et oubliez ce qu'est une date !
Les temps sont durs pour les Marchands de Terrilville : les échanges commerciaux ne permettent plus de faire recette, alors chacun se débrouille comme il peut. La piraterie prend de l'ampleur, tandis que le transport des esclaves se développe : après tout, c'est ce qui marche le mieux... Même les vivenefs, les bateaux magiques dont sont équipées quelques familles marchandes de renom, n'impressionnent plus et semblent bien impuissantes face à la réalité économique et politique. Autant dire que les Rivages Maudits n'ont jamais aussi bien porté leur nom.
Dans cette atmosphère de crise et de chaos tout proche, la famille Vestrit se disloque. Althéa quitte la maison à la mort de son père, déçue de n'avoir pas hérité de Vivacia, la vivenef familiale. Cette dernière est revenue à l'odieux Kyle, le mari de sa soeur aînée Keffria ; elle entend bien la récupérer un jour, et la sortir du trafic d'esclaves auquel son nouveau propriétaire la destine. Keffria est moins intrépide que sa cadette ; son but dans la vie, c'est de rester à Terrilville et d'élever au mieux ses enfants Malta et Selden, tandis qu'à bord de la Vivacia, Kyle se charge de l'éducation de Hiémain, leur fils aîné. Or, le jeune homme semble plus attiré par la vie monacale que par celle de marin.
Au large des côtes, le pirate Kennit rêve de s'approprier une vivenef...
Chaussez les besicles ! |
Où est-ce qu'on en était ?
Althéa, Brashen et Ambre ont retapé le Parangon, la "vivenef maudite", mutilée et abandonnée par la famille Ludchance ; la voilà prête à partir à l'assaut des vagues après des années passées à griller sur la plage. Comment va réagir Parangon ? C'est la grande question. Tous trois savent très bien que la figure de proue est psychologiquement fragile, imprévisible, voire un peu schizo. Elle peut balancer tout le monde à la flotte sur un coup de tête, et la légende dit qu'elle l'a déjà fait, alors... Mais ils sont aussi conscients que Vivacia est entre les mains des pirates et que cette embarcation de fortune est leur seule et unique chance de retrouver la trace de la vivenef des Vestrit. Ils quittent Terrilville les dents serrées, avec pour compagnie un équipage de criminels...
Faisant fi des liens du sang, Vivacia s'éloigne de Hiémain pour se rapprocher de Kennit ; un lien très fort unit à présent la vivenef et le pirate. En échange de ses cours de lecture, Etta apprend au jeune moine à manier un poignard, car ça peut toujours servir ! Leur escale sur l'île de Partage dévastée par une attaque lui permettra de mettre très tôt en pratique ses nouvelles compétences. Mais c'est sur l'île des Autres que Hiémain va faire basculer son monde en libérant Celle-Qui-Se-Souvient, le serpent de mer qui sera en mesure de rendre leurs souvenirs à tous ses congénères tellement désorientés...
Malta est morose : sa Présentation au Bal d'Eté symbolisant son entrée dans la société des Marchands de Terrilville ne se passera pas comme prévu. Son père ne sera pas là pour l'accompagner comme le veut la tradition, pas plus que son potentiel mari Reyn Khuprus qui ne donne plus signe de vie ; et pour couronner le tout, elle est depuis quelques temps harcelée en rêve par un dragon qui l'assomme de messages incompréhensibles. Elle ne sait pas que, de son côté, Reyn ne trouve plus le sommeil à cause du même bestiau...
Le livre qui a inspiré Dragons est sorti en format poche. Avec la couverture qu'on a trop envie de l'acheter _ forcément ! |
Action et manipulation
Les Aventuriers de la Mer sont le théâtre de tout un enchevêtrement d'intrigues, de personnages mus par des motifs divers et variés, impliquant leur peuple, leur famille ou simplement leur ego. Aussi la lecture de "L'éveil des eaux dormantes" ne pouvait-elle appréciable qu'en ayant en mémoire le contenu, ou au moins les grandes lignes, des volumes précédents. Ma grande crainte, c'était de ne pas être en mesure de me rappeler ce que j'avais lu. Pourtant, les connexions se sont faites d'elles-même au bout de quelques pages. Les personnages ont repris vie, les décors se sont relevés au fil des phrases, les enjeux psychologiques et politiques des uns et des autres ont vite retrouvé leur sens.. A croire que le moindre souvenir reste au fond de notre tête sous une forme déshydratée et et ne demande qu'à être ravivé d'un peu d'eau pour récupérer son éclat d'origine. Ce n'est pas Celle-Qui-Se-Souvient qui vous dira le contraire !
Le titre "L'éveil des eaux dormantes" pourrait bien faire référence à l'explosion générale de l'action sur tous les tableaux. Les non-dits et les messes basses laissent la voie libre aux dagues et aux franches prises de bec. Si Althéa nous avait habitués à mettre les pieds dans le plat, si Kennit a toujours eu la gueule en feu et la main qui fourmille au contact du pommeau, ce sont deux personnages habituellement plus empruntés qui vont se révéler, nous surprendre, et même se montrer déterminants pour la suite (et fin) de la série : Hiémain se fait le porte-parole de Kennit, apprend à se battre et libère le serpent de mer de sa prison moisie. Même si on ne saisit pas encore pleinement le lien qui unit les dragons, les monstres marins et les vivenefs, on comprend que son acte _guidé par une pure compassion_ apporte l'une des pièces centrales du puzzle. Malta s'émancipe et n'hésite plus à salir sa robe pour affronter ce mystérieux dragon dans son antre boueuse. Elle devient alors détentrice du souvenir de vies multiples et ancestrales qu'elles n'aurait jamais soupçonnées, et sa clairvoyance du monde qui l'entoure s'en trouve améliorée. Ca aussi, ça peut servir !
Eh oui, méfiez-vous de l'eau qui dort !
De la castagne ? Oui, mais pas seulement ! Les romans de Robin Hobb laissent souvent une grande part à la peinture de la psychologie des personnages, à l'écriture de la manipulation. A l'image de Kennit, stratège par excellence, l'auteur de l'Assassin Royal met en scène quelques fameux squatteurs de cerveaux : la Compagne Sérille drogue le Gouverneur pour le mettre dans sa poche et lui faire signer un document qui donnera du poids à ses prises de parole ; Jani Khuprus embrouille son fils Reyn pour l'éloigner du dragon prisonnier. Keffria propose un plan aux Marchands du Désert des Pluies pour sous-tirer des informations aux Marchands de Terrilville. Enfin, Kennit, donc, est le champion en la matière : impatient de posséder pleinement Vivacia et de se débarrasser d'Etta, il tente de précipiter Hiémain dans les bras de la prostituée en leur faisant à tous les deux de vieux sous-entendus. Si bien que "le gamin", comme il l'appelle, finit par se persuader lui-même de ses sentiments pour la favorite de son capitaine. Quand on vous matraque la tête avec la même connerie pendant un certain temps, vous finissez immanquablement par y croire...
Pff, que dire pour conclure, si ce n'est que derrière chaque personnage de Robin Hobb se cache quelqu'un qu'on connaît (trop) bien ? Je suis assez fan de Robin Hobb, donc mon avis n'aiderait personne à se faire une idée de ce que vaut ce livre, de toute façon. Il me semble que si on pouvait reprocher au précédent de freiner l'action et de limiter les tempêtes et les combats aux boites crâniennes, ce volume plaira autant aux amateurs de baston qu'à ceux qui aiment bien cogiter.
ROBIN HOBB. Les Aventuriers de la Mer, tome 6 "L'éveil des eaux dormantes". J'ai Lu, 2006. 414 p. ISBN 978-2-290-35692-0
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