C'est reparti pour le PLJA !
Cette année, ce sont les latinistes de 5° et de 3° qui vont se prêter au jeu en lisant les quatre livres de leurs sélections respectives.
Le roman Pénélope, la femme aux mille ruses ouvre le bal pour la catégorie 5° ; j'ai toujours l'espoir d'écrire un billet pour chacun des huit titres qui vont nous concerner à tous, les nabots, la prof de latin et moi. C'est beau de rêver.
L'histoire
Non, Pénélope n'est pas juste la femme d'Ulysse ou la cousine moche d'Hélène de Troie !! Dans ce roman destiné aux jeunes lecteurs et écrit par l'autrice Isabelle Pandazopoulos, c'est elle qui mène la danse. On retrace toute sa jeunesse, de son enfance en Acarnanie (une région de la Grèce), jusqu'au retour d'Ulysse à Ithaque, à l'issue de la guerre de Troie et de ses multiples retards à durée indéterminée.
Si "l'homme au mille ruses" emploie son intelligence à jouer des tours à l'ennemi sur le champ de bataille, et à s'extirper de situations plus dangereuses les unes que les autres, Pénélope filoute au quotidien pour le seul maintien d'un statut, d'un moral, d'un royaume... d'une simple qualité de vie pour laquelle son mari ou des frères n'auraient pas à batailler. Très jeune, elle décide que pour conserver un semblant de liberté dans un univers où les femmes n'en ont pas vraiment, tous les coups seront permis. La ruse passe d'abord par s'imposer auprès de ses frères, se rendre indispensable à son père, garder le contrôle sur le choix de son mari, sur la force de ses sentiments...
Bon, il faut aussi reconnaître que la représentation courante qu'on a de Pénélope (à supposer qu'on en ait une...) est celle d'un "modèle" de vertu, de droiture, de fidélité. C'est la mère et l'épouse idéale, irréprochable en tous points. J'avoue que j'espérais que ce roman serait une occasion de présenter une facette plus nuancée de cette femme forte de la mythologie, mais ce n'est pas le cas, et c'est sans doute très bien ainsi. Encore que l'autrice n'hésite pas à dépeindre quelque chose qui est traité plus discrètement dans ma vieille édition de poche de L'Odyssée achetée il y a bien longtemps pour les besoins de mon année de DEUG 1 - Lettres modernes : la phase de dépression de Pénélope au départ d'Ulysse pour la guerre de Troie. Ce choix est louable, à mon sens, d'autant plus que l'héroïne ne nie pas sa fragilité et peut ainsi se reprendre en main.
Mais l'apparence lisse de la reine d'Itaque par intérim m'a posé question. Après quelques recherches (rapides), je suis tombée sur la version numérique d'une thèse remaniée en publication monographique intitulée Pénélope, Légende et mythe et par Mme Marie-Madeleine Mactoux (1975). Loin de moi l'idée d'en parler en profondeur _je ne me le permettrais même pas si j'avais tout lu, mais si cela vous intéresse, allez la parcourir. Sa rédactrice y compulse diverses évocations de la figure de Pénélope, dans l'œuvre d'Homère et dans l'œuvre de Pausanias notamment, et note différentes possibilités d'interprétation des textes. Forcément, deux de ses grandes forces, à savoir son amour pour Ulysse et sa fidélité à toute épreuve, sont mises à mal.
Thug mais pas trop
Pas simple d'aborder sous un angle novateur et féministe les géants indéboulonnables de la mythologie. En cela, Isabelle Pandazopoulos a réussi cet exercice de contorsion qui consiste à broder un peu de fiction dans une œuvre classique qu'on se doit de respecter... Je ne suis pas une spécialiste de l'épopée homérienne, mais, mis à part les chapitres sur son enfance qu'on devine un peu romancés, les évènements racontés dans ce livre correspondent à ce qui est dit de Pénélope dans l'Odyssée. Pour les enfants, ça peut donc être une lecture sympa à faire en miroir des aventures d'Ulysse.
Mais ça bride aussi pas mal les possibilités d'émancipation pour la jeune héroïne. Car Pénélope, aussi badass et maligne soit-elle, est et sera toujours la femme d'Ulysse, éternellement reléguée au second plan. En l'absence d'Ulysse, elle doit assurer la bonne marche du foyer et du royaume, et le fait avec tout le sens du devoir qui transparaît au fil des chapitres de ce roman pour les jeunes. Tout le monde semble attendre d'elle qu'elle soit "à la hauteur", ni plus, ni moins, et beaucoup pensent qu'elle n'y parviendra pas. Aussi, Pénélope est une doublure de luxe qui s'acquitte bien de sa tâche mais qui termine son mandat sur les rotules et qui apprécie bien d'être sauvée par son roi, à la fin. C'est là qu'on aimerait qu'il y ait une suite inventée de toute pièce, pour voir un peu ! Après tout, un mythe n'a jamais fini de se construire et de se faire décortiquer.
Ahaha, jusqu'au bout j'ai pensé que j'allais résister à la mettre.
Mais finalement non ! Désolée !!
Pénélope la femme aux mille ruses fait partie de la collection "Héroïnes de la mythologie" (Gallimard jeunesse) ; les différents titres qui la composent sont de la plume de Mme Pandazopoulos, et les très belles illustrations, chatoyantes en couverture et oniriques à l'intérieur sont signées Gazhole.
Ce roman a remporté le Prix Chateaubriand des collégiens 2022
A partir de 10 ans, très adapté au collège pour les 6°-5°, au CDI ou dans le cadre d'une lecture d'œuvre intégrale en cours de français ou de latin.
Merci à l'association Arrête ton char pour la mise en place du Prix Littérature Jeunesse et Antiquité !
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