"Je vais accélérer un peu la cassette vidéo car cette partie du film n'est pas faite pour vous!", nous prévient notre instit de grande section de maternelle, qui a entrepris de faire de L'Ours de Jean-Jacques Annaud notre prochain sujet d'étude.
Comme c'est gentil de sa part de se souvenir de notre sensibilité, alors qu'on a vu d'entrée de jeu et sans le moindre avertissement la maman ourse se faire mortellement aplatir la tête par une énorme pierre, laissant son petit dans une détresse communicative.
La fonction "avance rapide" n'est malheureusement pas très performante sur le magnétoscope de l'école. Malgré les deux rangées de fourmis rouges qui barrent l'écran et la vitesse de défilement des images, on voit parfaitement un chien se rompre le cou sur un rocher en laissant une trace de sang sur son passage, puis un autre, les tripes à l'air.
Je crois bien que ces images qui me sont restées en mémoire correspondent à une scène de chasse plutôt importante dans l'histoire, mais je ne saurais en dire plus. Ce grand moment de cinéma m'a laissé une impression tellement dégueu qu'aujourd'hui encore, je n'arrive pas à me remotiver pour regarder L'Ours au calme, en mode adulte. Pourtant je sais que ce film, qui met en scène l'adoption progressive d'un ourson orphelin par un grand ours solitaire, est un classique à connaître, qu'il est super intéressant, et qu'il est sur Netflix.
Heureusement, d'autres fictions nous permettent de traiter les rapports houleux de l'homme avec la nature (et avec les ours) de façon un peu moins stressante ; c'est le cas la BD Shirtless Bear Fighter, publiée en 2017 par un groupe d'artistes composé notamment de Jody LeHeup, Sebastian Girner et Nil Vandrell.
L'histoire
Rien ne va plus dans la Grande Ville : des ours possédés envahissent les rues, détruisant tout sur leur passage. La police est complètement impuissante face à cette situation inédite. Heureusement, l'agent Burke dirige les opérations ; le vieux flic expérimenté a une bonne connaissance du terrain. Il sait que le seul homme capable de mettre fin au carnage s'appelle Shirtless Bear Fighter (en français : "le Cogneur d'Ours Torse Nu"), et qu'il vit seul dans la forêt. Accompagné de Suzie Silva, son acolyte débutante, il part à sa rencontre pour lui demander de l'aide.
Le Cogneur d'Ours Torse Nu (on va faire comme tout le monde : on va l'appeler "Cogneur") refuse avant de se raviser. Il faut dire que, pour ce colosse recueilli et élevé par des ours avant d'être amené à s'en éloigner suite à un événement tragique qu'on ne spoilera point, la mission prend des airs de dilemme.
Attention, à partie de là, des moments importants de l'intrigue peuvent être dévoilés.
Mais pourquoi Cogneur boxe-t-il les ours aussi vigoureusement, alors qu'il les connaît mieux que personne, et qu'il semble en parfaite harmonie avec la nature ?
Tout simplement parce que, même si Maman et Papa Ours l'ont toujours logé à la même enseigne que son Frère Ours, il reste différent des autres membres de sa famille d'adoption : c'est un homme, et pas un ours. Sa force incroyable attise la jalousie de son frère, qui voit en lui un improbable rival ; et lorsqu'il doit un jour choisir entre ses semblable et sa tribu, sa situation se complique. La crise identitaire qui couvait lui saute à la tête et éclabousse son entourage. S'ensuit une double trahison : son père l'exclut pour ménager la chèvre et le chou, tandis que Frère Ours pactise avec Bûcheron pour l'éliminer définitivement. L'histoire de ce Samson des temps modernes _mettre un t-shirt le dépouille de toutes ses aptitudes physiques_ pourrait être déchirante, si le comique ne dominait pas l'ensemble !
Une lecture détente comme on les aime (ou pas)
Shirtless Bear Fighter est une BD toute en couleurs vives, où les aventures s'enchaînent au rythme des patates balancées par le héros. On se croirait un peu dans ces films de série B du dimanche après-midi, qui nous servent de fond sonore, dont on se moque à cause des personnages bien stéréotypés, mais dont on a quand même envie de connaître le dénouement ! Ici, l'album fonctionne, car les auteurs ont eu la bonne idée de ne pas se prendre au sérieux : il jouent avec les codes du cinéma d'action, justement, pour mieux nous faire rire.
On retrouvera quelques unes des figures et motifs typiques du genre :
- le héros torturé à gros bras, à la Chuck Norris
- le super méchant, qu'on a déjà vu
- un savant fou, ou un magicien
- le binôme dysfonctionnel de flics, l'un en fin de carrière, l'autre débutante mais plus fûtée ET amoureuse du héros.
- l'arsenal conséquent et les nombreuses machines de guerre _mention spéciale pour l'avion-ours et le vaisseau chiottes !
- la castagne et les explosions
La BD a beau avoir une visée humoristique, il ne suffira pas que vous soyez de bonne humeur pour qu'elle vous plaise. Ayez bien à l'esprit que le comique repose ici essentiellement sur l'exagération, les jeux de mots à base d'ours, les blagues potaches et parfois scato (avec une entreprise de PQ en toile de fond, on pouvait difficilement y couper...). Donc si vous n'êtes pas très à l'aise avec ces délires-là, ou si vous êtres en quête de scénarii à tiroirs, de suspense, de finesse, de thèmes traités de manière assez profonde pour nourrir une réflexion... ne perdrez pas votre temps et courez lire autre chose !
Comme vous pouvez vous en douter, j'ai complètement adhéré au concept ; quelques passages hilarants de débilité m'ont fait le plus grand bien, car ils correspondaient à ce que je recherchais comme lecture divertissante à ce moment-là. Voilà pourquoi je n'hésiterai pas à faire de Shirtless Bear Fighter mon titre-phare pour ces prochains mois, celui que j'irai ouvrir si j'ai un coup de mou.
Le mieux est sans doute que vous vous fassiez un avis par vous-même. En attendant, je vous laisse entre les mains de expertes des Mystérieux Étonnants et vous renvoie au numéro 672 de leur émission. Ils sont toujours de bon conseil et proposent en fin d'épisode une critique plus complète et plus nuancée que celle-là !
LEHEUP ; GIRNER ; VENDRELL. Shirtless Bear Fighter. HiComics, 2017. ISBN 978-2-37887-082-9
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