Merci aux Editions du Jasmin et à Babelio pour l'envoi tout frais du dernier roman de Patrick Joquel : Djedré de Cavillon, dans le cadre de l'opération Masse Critique Jeunesse. A chaque fois que la chance m'a été donnée de recevoir un ouvrage, j'ai toujours eu de bonnes surprises ; c'est encore le cas cette fois-ci.
En écrivant cette histoire destinée aux jeunes lecteurs, Patrick Joquel s'est livré à un exercice sans doute aussi passionnant que difficile : celui de reconstituer la vie de Djédré, une femme préhistorique morte 24000 ans plus tôt aux environs de l'actuelle Vintimille en s'appuyant sur les minces éléments historiques dont il disposait. A savoir, un squelette et des atours, une sépulture décorée de coquillages et de dents d'animaux, un dessin sur la paroi de la grotte où elle a reposé pendant si longtemps... Qui était-elle ? Quelle statut occupait-elle auprès de ses semblables ? Quelles mésaventures ont bien pu déglinguer son squelette ? Qui décida que sa dernière demeure serait la grotte du Cavillon ? Encore aujourd'hui, on n'est pas en mesure de répondre à ces questions. Pourtant, avec un peu d'imagination et beaucoup de documentation, l'auteur a réussi à donner un aperçu poétique mais plausible ! des derniers mois de cette dame que les archéologues ont longtemps désignée comme "l'Homme de Menton".
L'histoire
L'hiver approche. Comme tous les ans, le chasseur Segure et sa tribu ont pris pris la direction des falaises pour affronter le froid, bien à l'abri dans les grottes. La marche a été longue et fastidieuse, surtout pour Djedré, la sage guérisseuse à la jambe estropiée ; heureusement, ils seront bientôt arrivés. Tout dans son corps lui rappelle qu'elle est une vieille femme, mais elle garde pourtant le sourire en se nourrissant de l'espoir que lui donnent les trois adolescents du groupe, pleins de vie et unis comme les doigts de la main : Rousso, le vigoureux chasseur, Scalza le suiveur et Scarassan, l'artiste rêveur plus prompt à dessiner sa proie qu'à l'alpaguer avec une lance... Djedré de Cavillon nous fait vivre cet hiver à leurs côtés ; en quelques mois, leur vie va prendre un tournant important. Entre deuils, passage à l'âge adulte et ébauche de projets d'avenir, ils se demandent à juste titre si leur fraternité ne va pas d'effriter avec le temps...
Le cycle de la vie
A mon avis, certains jeunes vont se lamenter du manque d'action _malgré la narration de quelques scènes de chasse rondement menées par le trio infernal de la tribu. Pas de courses poursuites à dos de bison au programme ; oh, les chevaux sont bien là, mais ils n'ont pas été encore domestiqués : on ne les monte pas, on les tue et on les mange. Éventuellement, on les dessine sur le sol ou dans la pierre... Nous ne sommes pas ici spectateurs d'aventures. Nous passons l'hiver aux côtés des personnages, et l'espace de quelques heures, nous découvrons leur philosophie de la vie. Beaucoup seront surpris de la vision de la vie et de la mort que pouvaient avoir les hommes à cette époque, et qui nous apparait à travers les pensées des adolescents et de la "vieille" Djedré _qui s'est éteinte à 37 ans, en fait. Parce que l'existence était plus brève, parce que la survie était la principale préoccupation des tribus, les hommes se prenaient moins la tête en futilités et accueillaient la mort comme une ultime étape de la vie. Ce n'est pas pour autant qu'ils étaient bourrins au point de ne pas s'inquiéter des faibles _ le chef Segure se préoccupe de la veuve Ciappa, malade et dépressive, tandis que les jeunes prennent soin de Djedré en la sentant faiblir. Bien sûr, Patrick Joquel a écrit un roman, par un livre documentaire. Mais la sépulture de la Dame du Cavillon témoigne de l'estime que ses semblables devaient lui porter. Qui sait, peut-être n'est-il pas tombé si loin de la réalité ? On peut rêver, puisque l'auteur nous en donne généreusement les moyens !
Différences
Le jeune Scarassan, plus malingre que ses deux amis et moins habile à la chasse, se distingue des autres. Mais pas dans le mauvais sens. Il n'est pas un faible que Mère Nature n'a pas réussi à éliminer. Il n'est pas un poids pour la tribu, que les autres ont envie de railler et dont la virilité est remise en cause. En effet, tous savent que, si Scarassan est "différent" des autres, il a aussi des atouts que d'autres n'ont pas _ou qu'ils n'ont pas découverts : le sens de l'observation et le goût des arts. Il réfléchit avant d'agir et fait gagner du temps aux autres en leur faisant profiter de ses talents apparemment secondaires. "Dans un groupe, les connaissances se partagent". Bien sûr, Sigure émet des craintes quant à la vie future du jeune homme et s'en ouvre à Djedré _comme d'habitude. Elle lui répond de fort belle manière :
La guérisseuse décide alors de le prendre sous son aile et de le former afin qu'il soit capable de prendre sa suite lorsqu'elle ne sera plus. Il ne pourrait trouver de mentor plus encourageant en la personne de cette femme âgée et affaiblie, au bras et à la jambe brisés, qui sert pourtant de gouvernail à toute la tribu sans que personne ne trouve rien à redire. Même si ce n'était pas forcément le but du jeu, un collégien pourra y lire un beau pied de nez fait à l'intolérance ! Bientôt, en plus de ses dons, Scarassan possèdera le plus précieux des biens : le savoir.
De Noûm à Scarassan
La lecture de Djedré de Cavillon m'a ramenée en sixième, lorsque nous avions étudié, en bons Périgourdins, Les Cavernes de la Rivière Rouge de Claude Cénac avec notre professeur de français. Vous savez, celui qui nous a fait écouter le Petit Prince... On avait fait une sortie à Cap Blanc, avec questionnaire à remplir, rédac à la clé et tout le barda... Enfin bon, Lascaux et l'Homme de Cro Magnon sont un peu nos fiertés locales, en même temps ! Tout ça pour dire que, j'ai trouvé autant de similitudes que de différences entre Djédré de Cavillon et les Cavernes de la Rivière Rouge. Dans la première oeuvre, Scarassan, voué à devenir guérisseur _ mais intégré socialement, puisqu'il se lie à une femme et garde son statut de chasseur, ne cherche pas à cacher sa particularité. Dans la seconde, nous avons le jeune Noùm ; ce dernier est lui aussi amené à suivre un enseignement auprès du sage Abaho, Mais il ne le fait pas de gaîté de coeur : l'adolescent a eu la malchance de se blesser avant le début de la "migration" d'hiver de ses semblables et ne peut donc pas les suivre. Il n'a pas de prédisposition particulière à cette fonction, il a simplement loupé le coche d'une intégration réussie : pas de gloire à la chasse, pas d'amis avec qui s'amuser, et même la jolie Tsilla lui passera sous le nez. Qui voudrait d'un canard boiteux (absent) ? Pas les parents de la fille, en tous cas. A la fin du roman, Noùm est partagé entre la satisfaction de servir enfin à quelque chose dans la tribu, tout comme son maître Abaho, et la frustration de voir sa copine avec un autre gars _moche, en plus.
Ah, que de bons souvenirs ! Il faudra que je lise la suite des Cavernes de la Rivière Rouge, un jour, tiens !
Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé Djedré de Cavillon, depuis la superbe couverture sur laquelle la Dame est représentée à partir des éléments du squelette dont on dispose _bravo Mme Claire Vergniault _ jusqu'au clin d'oeil des ultimes pages dont je ne dirai rien, en passant par les photos d'ornements retrouvés près de la sépulture...
Ca s'est passé par là...
L'histoire
L'hiver approche. Comme tous les ans, le chasseur Segure et sa tribu ont pris pris la direction des falaises pour affronter le froid, bien à l'abri dans les grottes. La marche a été longue et fastidieuse, surtout pour Djedré, la sage guérisseuse à la jambe estropiée ; heureusement, ils seront bientôt arrivés. Tout dans son corps lui rappelle qu'elle est une vieille femme, mais elle garde pourtant le sourire en se nourrissant de l'espoir que lui donnent les trois adolescents du groupe, pleins de vie et unis comme les doigts de la main : Rousso, le vigoureux chasseur, Scalza le suiveur et Scarassan, l'artiste rêveur plus prompt à dessiner sa proie qu'à l'alpaguer avec une lance... Djedré de Cavillon nous fait vivre cet hiver à leurs côtés ; en quelques mois, leur vie va prendre un tournant important. Entre deuils, passage à l'âge adulte et ébauche de projets d'avenir, ils se demandent à juste titre si leur fraternité ne va pas d'effriter avec le temps...
Le cycle de la vie
A mon avis, certains jeunes vont se lamenter du manque d'action _malgré la narration de quelques scènes de chasse rondement menées par le trio infernal de la tribu. Pas de courses poursuites à dos de bison au programme ; oh, les chevaux sont bien là, mais ils n'ont pas été encore domestiqués : on ne les monte pas, on les tue et on les mange. Éventuellement, on les dessine sur le sol ou dans la pierre... Nous ne sommes pas ici spectateurs d'aventures. Nous passons l'hiver aux côtés des personnages, et l'espace de quelques heures, nous découvrons leur philosophie de la vie. Beaucoup seront surpris de la vision de la vie et de la mort que pouvaient avoir les hommes à cette époque, et qui nous apparait à travers les pensées des adolescents et de la "vieille" Djedré _qui s'est éteinte à 37 ans, en fait. Parce que l'existence était plus brève, parce que la survie était la principale préoccupation des tribus, les hommes se prenaient moins la tête en futilités et accueillaient la mort comme une ultime étape de la vie. Ce n'est pas pour autant qu'ils étaient bourrins au point de ne pas s'inquiéter des faibles _ le chef Segure se préoccupe de la veuve Ciappa, malade et dépressive, tandis que les jeunes prennent soin de Djedré en la sentant faiblir. Bien sûr, Patrick Joquel a écrit un roman, par un livre documentaire. Mais la sépulture de la Dame du Cavillon témoigne de l'estime que ses semblables devaient lui porter. Qui sait, peut-être n'est-il pas tombé si loin de la réalité ? On peut rêver, puisque l'auteur nous en donne généreusement les moyens !
"C'est l'histoire de la viiiie" |
Différences
Le jeune Scarassan, plus malingre que ses deux amis et moins habile à la chasse, se distingue des autres. Mais pas dans le mauvais sens. Il n'est pas un faible que Mère Nature n'a pas réussi à éliminer. Il n'est pas un poids pour la tribu, que les autres ont envie de railler et dont la virilité est remise en cause. En effet, tous savent que, si Scarassan est "différent" des autres, il a aussi des atouts que d'autres n'ont pas _ou qu'ils n'ont pas découverts : le sens de l'observation et le goût des arts. Il réfléchit avant d'agir et fait gagner du temps aux autres en leur faisant profiter de ses talents apparemment secondaires. "Dans un groupe, les connaissances se partagent". Bien sûr, Sigure émet des craintes quant à la vie future du jeune homme et s'en ouvre à Djedré _comme d'habitude. Elle lui répond de fort belle manière :
"Cependant je m'interroge Djedré. Si Rousso et Scalza taperont les mains sur leurs cuisses quand je leur annoncerai, est-ce que Scarassan se réjouira ? Il est si différent des autres.
_ Moi aussi je suis différente. La différence, ça n'empêche pas de vivre ensemble."
La guérisseuse décide alors de le prendre sous son aile et de le former afin qu'il soit capable de prendre sa suite lorsqu'elle ne sera plus. Il ne pourrait trouver de mentor plus encourageant en la personne de cette femme âgée et affaiblie, au bras et à la jambe brisés, qui sert pourtant de gouvernail à toute la tribu sans que personne ne trouve rien à redire. Même si ce n'était pas forcément le but du jeu, un collégien pourra y lire un beau pied de nez fait à l'intolérance ! Bientôt, en plus de ses dons, Scarassan possèdera le plus précieux des biens : le savoir.
De Noûm à Scarassan
La lecture de Djedré de Cavillon m'a ramenée en sixième, lorsque nous avions étudié, en bons Périgourdins, Les Cavernes de la Rivière Rouge de Claude Cénac avec notre professeur de français. Vous savez, celui qui nous a fait écouter le Petit Prince... On avait fait une sortie à Cap Blanc, avec questionnaire à remplir, rédac à la clé et tout le barda... Enfin bon, Lascaux et l'Homme de Cro Magnon sont un peu nos fiertés locales, en même temps ! Tout ça pour dire que, j'ai trouvé autant de similitudes que de différences entre Djédré de Cavillon et les Cavernes de la Rivière Rouge. Dans la première oeuvre, Scarassan, voué à devenir guérisseur _ mais intégré socialement, puisqu'il se lie à une femme et garde son statut de chasseur, ne cherche pas à cacher sa particularité. Dans la seconde, nous avons le jeune Noùm ; ce dernier est lui aussi amené à suivre un enseignement auprès du sage Abaho, Mais il ne le fait pas de gaîté de coeur : l'adolescent a eu la malchance de se blesser avant le début de la "migration" d'hiver de ses semblables et ne peut donc pas les suivre. Il n'a pas de prédisposition particulière à cette fonction, il a simplement loupé le coche d'une intégration réussie : pas de gloire à la chasse, pas d'amis avec qui s'amuser, et même la jolie Tsilla lui passera sous le nez. Qui voudrait d'un canard boiteux (absent) ? Pas les parents de la fille, en tous cas. A la fin du roman, Noùm est partagé entre la satisfaction de servir enfin à quelque chose dans la tribu, tout comme son maître Abaho, et la frustration de voir sa copine avec un autre gars _moche, en plus.
Ah, que de bons souvenirs ! Il faudra que je lise la suite des Cavernes de la Rivière Rouge, un jour, tiens !
Vous l'aurez compris, j'ai beaucoup aimé Djedré de Cavillon, depuis la superbe couverture sur laquelle la Dame est représentée à partir des éléments du squelette dont on dispose _bravo Mme Claire Vergniault _ jusqu'au clin d'oeil des ultimes pages dont je ne dirai rien, en passant par les photos d'ornements retrouvés près de la sépulture...
Djedré, à ne pas confondre avec Giedré !
Patrick JOQUEL. Djedré de Cavillon. Editions du Jasmin, 2016. 136 p. ISBN 978-2-35284-171-5
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