Quand je lis les Aigles Décapitées, je me dis que le temps n'est pas aussi puissant qu'on a tendance à le croire, car il n'a absolument aucun impact sur l'efficacité des différents albums de la série. Pourquoi ? Sans doute parce que la période médiévale n'a jamais été autant mise à l'honneur qu'aujourd'hui, et parce que les scénaristes usent d'une langue qui marie notre présent au présent de l'action. Le tout, sans lésiner sur l'humour, quand il faut et comme il faut.
Il en est de même pour Garulfo. Ce soir, j'ai découvert le tome 1 d'une série vieille de vingt ans, en pensant qu'elle était beaucoup plus récente. Eh oui, l'oeuvre d'Ayroles et de Maïorana est un classique de la bande dessinée, et pourtant je n'en connaissais rien. Ce n'est pas faute d'avoir croisé les différents albums dans les CDI, bibliothèques, librairies, etc. Mais non. A vrai dire, le dessin de m'attire pas _ ce qui ne veut pas sire que c'est moche ou râté ; mais pour mes yeux, les Garulfo qui peuplent un bac à BD ne sortent pas du lot, bien que le dessin ait pour lui cette finesse du détail que j'apprécie d'habitude. Allez savoir.
Aujourd'hui, pourtant, on dirait bien qu'on a brisé la glace et qu'on a même sauté le pas.
Garulfo T.1 "De mares en châteaux"
Oh, non, ça n'a pas vraiment été un coup de foudre tardif. Juste une gamine du club "Découvertes au CDI" _club lecture pour les intimes : chacun sait qu'au bout d'un certain temps personne ne se donne plus la peine d'être sexy _ qui a présenté cet album lu pendant les vacances, et... j'ai tellement rien compris à ce qu'elle nous en a dit que ça m'a intriguée. Vite fait j'ai calculé que ça tournait autour d'une grenouille, mais ça s'est arrêté là. Cela dit, elle a fait l'effort de lire et de présenter son interprétation de l'oeuvre, et c'est tout à son honneur ; puis l'intrigue n'est pas aussi évidente qu'il n'y paraît pour un élève de 6°.
Sitôt récupéré, sitôt embarqué !
Sitôt récupéré, sitôt embarqué !
Garulfo est une grenouille mâle (pour lui, c'est très important) aussi fascinée par les humains que dépitée par sa condition de batracien minuscule et vulnérable. Malgré les mises en garde de son ami Fulbert le canard, il passe son temps à observer les "admirables" "bipèdes" en se jurant, sans vraiment y croire, qu'un beau jour il sera un homme, lui aussi ! il foulera enfin de ses deux pieds la terre du Royaume de Brandelune.
C'est alors que...
Ah, quatre pages déchirées, c'est bon à savoir...
... C'est alors qu'il rencontre une sorcière avec qui il fait un marché : si elle parvient à le métamorphoser en prince, il lui fera profiter de son pouvoir. Séduite, la vieille lui jette un sort ; s'il parvient à embrasser une femme, il se transformera en un être humain plein d'assurance et de noblesse. Garulfo se lance aussitôt à l'assaut du château de Brandelune, où se trouve forcément la princesse à embrasser et/ou à épouser.
C'est alors que...
Ah, quatre pages déchirées, c'est bon à savoir...
... C'est alors qu'il rencontre une sorcière avec qui il fait un marché : si elle parvient à le métamorphoser en prince, il lui fera profiter de son pouvoir. Séduite, la vieille lui jette un sort ; s'il parvient à embrasser une femme, il se transformera en un être humain plein d'assurance et de noblesse. Garulfo se lance aussitôt à l'assaut du château de Brandelune, où se trouve forcément la princesse à embrasser et/ou à épouser.
L'homme, cette drôle de bestiole
Ce n'est pas faire offense aux autres artistes impliqués dans cette BD que de dire qu'Ayroles a bien contribué au succès des six tomes de Garulfo. En effet, comme je le disais tout à l'heure, le scénariste apporte une fraîcheur au texte tout en conservant les tournures d'époque. L'insupportable princesse Héphylie est à mi-chemin entre la capricieuse d'autrefois et la chieuse d'aujourd'hui, comme nous le montrent ses paroles pour notre plus grand bonheur. Si vous retrouverez sans problème cette libre poésie dans De Capes et de Crocs, il y a des chances pour que vous ne la retrouviez nulle part ailleurs.
Un ton somme toute représentatif de l'humain tel qu'on veut nous le présenter ici : admirable en apparence, et pourri à l'intérieur, tout en contrastes et en paradoxes. A la cour, aussi naïf et pur, aussi ignorant des codes sociaux que peut l'être une grenouille larguée dans un château, il n'en attire que mieux la méfiance d'un roi calculateur et les foudres de Noémie, la nourrice de la princesse dont repousse les avances d'un violent coup de pied au cul. Ce prince Garulfo qui se prend encore à se déplacer à sauts de grenouille rappelle forcément Perceval au début de sa quête, encore nis* et nostalgique des jupes de sa mère.
Remember le BAC... |
Les auteurs de l'album "De mares en châteaux" se sont bien évidemment amusés avec les codes du conte, et c'est ce qui ressort le plus souvent lorsque vous cherchez des critiques de cette BD, parce que c'est plutôt bien réussi : la grenouille n'est pas un prince ensorcelé mais un amphibien mal dans sa peau ; la vieille sorcière se laisse séduire et son oiseau de malheur se fait bouffer par un loup (qui lui même ...). La princesse joue les rebelles et fait des virées à cheval à la tombée de la nuit. Seule la nourrice ne sort pas du lot : elle a autant d'autorité que celle de Juliette ou que celle d'Antigone. Comment ça, Roméo et Juliette et Antigone ne ne sont pas des contes ? Oui, et alors ! On s'en branle !
"Juliettaaaaaaaaaaa" Miriam Margolyes - Romeo + Juliette |
Certes, le prince-grenouille Garulfo ne cherche pas le Graal, mais sa quête de virilité, de puissance et de connaissance de ces humains tant idéalisés pourrait bien aboutir à un tout autre résultat que celui espéré. Il va découvrir l'existence du mensonge, des magouilles, de la drague plus ou moins subtile, des pauvres _ceux qui tuent pour manger, des riches _ceux qui tuent pour le plaisir, puisqu'ils "chassent". Alors non, les hommes ne se mangent pas entre eux... mais parfois c'est tout comme. Si le pessimiste Fulbert avait eu raison ?
Cette BD serait sans doute à exploiter avec des collégiens dans le cadre d'un débat d'éducation civique ou autre. Là comme ça, j'ai pas d'idée précise mais il faudrait prendre le temps d'y réfléchir. Dans mon collège, Garulfo est assez peu lue et empruntée _sauf par les élèves qui ont déjà dévoré toutes les autres_ peut-être parce que le mélange poésie-termes anciens-langue moderne leur parle peu, peut-être pas. Je ne saurais dire pourquoi, au juste. Il se trouve que notre public est assez peu attiré par les univers médiévaux, de manière générale.
Ayroles, Alain ; Maïorana, Bruno. Garulfo 1. De mares en châteaux. Delcourt, 1995. Coll. Terres de Légendes. 48 p. ISBN 2-84055-045-8
______________________
*en Ancien Français : personne naïve à tendance neuneu.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire