Hasard des lectures, je suis récemment tombée sur deux BD jeunesse à la fois pleines de points communs et très différentes l'une de l'autre : Momo petit prince des Bleuets et Babyface. Dans les deux cas, on a affaire à une adaptation d'un roman écrit par deux autrices incontournables des CDI de collège et des sections jeunes des bibliothèques : Yaël Hassan, pour le premier ouvrage, et Marie Desplechin pour le second. Les personnages évoluent dans des décors urbains faits d'immeubles et de tags ; ils gravitent autour de lieux publics de socialisation : la bibliothèque, la supérette, la maison de quartier, l'école... Tous expriment un ennui ou un frustration de ne pas pouvoir aller ailleurs... pour l'instant.
Pourtant, les jeunes héros (Momo et Nejma) ne risquent pas de se marcher dessus : ils ont le même âge _ils vont entrer au collège, mais n'ont pas du tout les mêmes occupations. Ils semblent avoir des caractères diamétralement opposés. Leurs destins jusque-là insignifiants vont être extraits de leur torpeur par la rencontre de quelqu'un qui va poser un regard bienveillant et valorisant sur eux.
Momo petit prince des Bleuets
Marc Lizano ; d'après le roman de Yaël Hassan
Nathan, 2023. 96 p. ISBN 9782095003302
Résumé :
C'est l'été à la cité des Bleuets. Pour Momo, les dernières grandes vacances avant l'entrée au collège s'égrènent le plus tranquillement du monde, jusqu'au jour où la directrice de l'école lui rend visite pour lui offrir une liste de livres à emprunter à la bibliothèque. Le garçon ne se le fait pas dire deux fois et saute à pieds joints dans l'univers de la lecture.
Ses découvertes littéraires vont l'amener à croiser le chemin de Monsieur Edouard, un instituteur à la retraite qui saura l'encourager et qui le baptisera "Petit prince des Bleuets". Exploration de la capitale, fresques murales et découverte des classiques de la littérature : la rencontre sur fond d'amitié intergénérationnelle sera déterminante et l'été restera inoubliable pour Momo.
Une chouette adaptation par Marc Lizano du roman de Yaël Hassan. La BD en photo ici m'a été prêtée par une collègue prof de français, qui m'en a dit le plus grand bien. J'ai beaucoup aimé aussi, les traits tout doux des personnages _il nous en faut bien de la douceur_, leurs "gros crânes" _comme disent les élèves, les couleurs vives qui mettent bien en valeur les décors urbains. L'histoire de Momo date un peu, mais elle ne se démode pas : elle nous rappelle que, si on a fini par prendre le pli de se méfier des mauvaises fréquentations, on en est venus à oublier qu'il peut y en avoir des bonnes, propres à nous tirer vers le haut.
Les + : l'album se termine sur un petit dossier qui raconte l'élaboration de la bande dessinée par l'auteur, et notamment de la façon dont il s'est imprégné, puis détaché de l'œuvre d'origine. On peut y lire une interview de Marc Lizano par Momo, c'est marrant.
Babyface
Olivier Balez, d'après un roman de Marie Desplechin : Babyfaces (2010)
Rue de Sèvres, 2022. 120 p. ISBN 9782810200290
Résumé :
J'ai découvert un extrait deBabyface en feuilletant le petit magazine des éditions Rue de Sèvres, gentiment gratté au SLPJ de Montreuil, fin 2022. Ma première impression a été mitigée : d'un côté, le dessin et les couleurs m'en mettaient plein la vue _et ça m'a décidée à pousser plus loin la lecture ; d'un autre, le résumé ne me donnait pas trop envie car il avait l'air d'être un de ces bons scénarios bien déprimants dont la littérature pour la jeunesse à le secret. Je craignais que le tout ne soit généreusement imbibé de clichés sur la vie dans les "quartiers difficiles".
Finalement non, pas du tout. Enfin pas tant que ça,même si on commence fort : méchante, moche, grosse, pauvre, Nejma n'est pas gâtée par la vie. Son père est parti, sa mère travaille tard le soir, et elle se retrouve souvent seule après l'école, livrée à elle-même, à errer à la supérette du coin. Elle entretient une amitié toxique avec le petit Freddy, qui est aussi le narrateur, puisqu'elle lui rackette son goûter en même temps qu'elle le protège de la violence des autres gosses.
Lorsque les frères Fiores décident de dispenser des "cours de catch" aux enfants du quartier, l'excitation est à son comble : tous les petits veulent reproduire les exploits de Babyface, et des autres, comme à la télé.
L'engouement est tel qu'un accident se produit bientôt dans l'enceinte de l'école. Nejma, témoin et réactive, est désignée coupable d'agression sur l'enfant blessé. Même si elle se sait innocente, elle sait très bien que contre la parole des adultes qui l'accusent, elle ne peut pas grand chose. Comment ne pas partir en vrille, dans ces conditions ?
Une histoire bien plus surprenante que prévu, où on lève un tabou : les personnels de l'Éducation Nationale ne sont ni infaillibles, ni irréprochables _je me mets dans le lot bien volontiers. Je n'ai pas lu le roman donc pas de point de comparaison, mais cette bd est une belle découverte artistique et littéraire. Bravo à l'auteur d'avoir su peindre les décors urbains sans les rendre glauques.
Enfin. Deux jours complets de solitude, loin de toute interaction sociale. J'arrive déjà à me ménager des moments neutres et calmes au quotidien _j'ai cette chance inouïe de pouvoir le faire. Mais ça ne me suffit jamais. Je ne sais pas pourquoi, toute présence humaine à proximité devient fatalement insupportable, à plus ou moins long terme. Sans doute parce que je n'ai jamais eu à subir un "vrai" isolement bien pesant, sans perspective de retrouver de la compagnie un jour ou l'autre.
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