dimanche 19 juin 2022

[COMICS] Rachel Rising - 1 - "L'ombre de la mort" - Terry Moore (2014)

Voici un nouveau titre découvert à la bibliothèque Marguerite Duras, ma préférée définitivement ! 


L'histoire

Depuis qu'elle s'est réveillée à moitié ensevelie dans une tombe de fortune creusée au beau milieu de la forêt de Firehill, Rachel Beck se sent déboussolée. On le serait à moins. Malgré le traumatisme, sa tête fourmille de questions pragmatiques : on a manifestement essayé de la tuer avant de se débarrasser de son corps à des kilomètres de la petite ville de Manson qui l'a vue grandir. Mais qui ? quand, exactement ? Et surtout pourquoi ? 

La jeune femme n'est pas du genre à laisser le temps faire son œuvre ; là où d'autres auraient opté pour discret retour à la vie quotidienne, s'estimant chanceuses que leur meurtrier se soit raté, elle va tenter de remonter (non sans difficultés) le fil des événements. 

Problème numéro 1 : elle n'a aucun souvenir, ni de la soirée de son agression, ni des trois jours passés "sous terre" qui l'ont suivie. 

Problème numéro 2 : au vu des marques de strangulation qui ornent son cou et de son regard de zombie, il semblerait que Rachel ne soit plus tout à fait vivante... Pire, elle comprend peu à peu qu'elle est capable de prédire la mort des personnes qu'elle croise, et elle se surprend à communiquer avec une grande blonde pulpeuse et désagréable au possible qu'elle est (presque) la seule à percevoir. 

La voilà donc bien mal embarquée ; heureusement, elle a le soutien inconditionnel de sa tante Johnny et de sa meilleure amie Jet.  

Une vraie BD de gonzesses 

En effet, le salut (s'il y en a un) ne viendra pas du Prince Charmant. Je ne sais pas comment ça se passe dans les suivants, mais ce premier tome de Rachel Rising est essentiellement mené par des femmes ; c'est assez rare pour être souligné. Les quelques types qui apparaissent au fil des chapitres ont des rôles secondaires ou servent simplement à faire de la figuration ; dans tous les cas, aucun d'entre eux n'est un allié digne de ce nom pour l'héroïne _exception faite du pauvre gars qui prend Rachel en stop au sortir de la tombe, à qui elle claque la porte au nez sans ménagement lorsqu'il veut en savoir plus sur son état de santé, et qu'on ne reverra plus jamais... Tous les autres se positionnent comme ils peuvent sur un perchoir qui va de la bêtise à la perversité. On pourra constater que Rachel et Jet encaissent à plusieurs reprises propositions et regards lubriques : 

Au garage (où Jet travaille)

Au Blue Note, le bar local
"Les musiciens, qu'est-ce que tu veux...?"

Les deux amies ne se laissent jamais marcher sur les pieds et remballent vertement les téméraires ; pourtant, on voit bien qu'elles ne sont pas là pour essayer de faire bouger les choses : c'est comme ça que ça se passe, ici, personne n'y peut rien. Leurs réactions sont autant de réflexes de survie et ne témoignent que de leur résignation. Même si je suis vraiment fan de la façon dont Terry Moore traite ses personnages féminins dans cette bande dessinée, il n'en fait pas pour autant des héroïnes féministes. 

Par pour l'instant, en tous cas. Ou peut-être le sont-elles à leur manière ; il faut reconnaître qu'on a pour faire face à leurs médiocres pendants masculins une brochette de femmes fortes et déterminées _quelles que soient leurs intentions : 

  • Je crois que si j'avais été à la place de Rachel, je me serais barricadée en prenant bien garde de ne jamais croiser mon regard injecté de sang dans une glace ! Bon, c'est vrai que je suis assez trouillarde à la base, mais la jeune femme manifeste quand même une grande facilité à se mettre en mode warrior : elle veut comprendre ce qui lui est arrivé, quitte à retourner (trop) souvent sur les lieux du crime. Si elle admet avoir besoin d'aide, elle ne laissera rien passer. Terry Moore l'a représentée sous les traits d'une grande blonde svelte et raide comme la justice, toujours vêtue de noir, dans une tenue qui fait un peu penser à Catwoman, vite fait. Un bruit suspect, une personne intrigante : elle fonce voir ce que c'est. Elle n'a pas le temps d'avoir peur. 
  • Jet est la meilleure pote que tu rêves d'avoir : garagiste piétonne _sa voiture est en panne, le comble, guitariste dans un groupe de jazz, elle est liée à Rachel depuis l'enfance. C'est la dernière personne à qui l'héroïne se souvient avoir parlé, et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle n'était pas très chaude pour la sauterie prévue le soir-même. Attentionnée sans être collante à l'extrême et sans forcément chercher à la brosser dans le sens du poil, elle est la première à prendre au sérieux ce que Rachel lui raconte, et à la considérer comme "bien réelle". 

  • Tante Johnny a plus de mal à ne pas croire à une vision fantomatique lorsque Rachel se présente à elle, peu de temps après son retour à Manson. Non pas qu'elle y mette de la bonne volonté, mais il faut dire que son boulot chronophage aux pompes funèbres n'aide pas. Pour cette femme, qu'on devine d'un certain âge, qui dit elle-même passer plus de temps avec les morts qu'avec les vivants, les apparitions de défunts sont quasi quotidiennes, et, toujours rationnelles, elle les interprète comme des symptômes de surmenage. Il faudra que Rachel la traîne jusqu'à la forêt de Firehill pour qu'elle comprenne que tout est bien réel. Ce personnage est aussi original qu'attachant ; au fil des planches, on comprend que c'est elle qui a recueilli sa nièce à la morts des parents de celle-ci, et que depuis elle est à la fois sa mère et sa pote. Leur relation est marrante ; Johnny, c'est la tante qui arrive à te faire sortir de la morgue grâce à son réseau, qui se laisse dormir trente-six heures et te fait des pâtes à ton réveil, après avoir pris soin d'inviter ta meilleure amie pour partager le repas. 
 
Cerise sur le gâteau, Johnny a une bonne dégaine de butch* : les cheveux en brosse, la chemise à   carreaux, le fourgon, le chien, un prénom de mec... tout y est ! Pourtant, quelques unes de ses interventions laissent entendre qu'elle n'est pas du tout de la fanfare. Comme quoi, il ne faut pas se fier aux apparences !   
  • Attention, place maintenant aux personnages beaucoup moins sympathiques : la petite Zoé et la grande blonde (qui n'a pas de nom). Zoé est une petite qui vit avec sa soeur et son père, à Manson aussi visiblement, puisque Rachel assiste à son incendie alors qu'elle se trouve sur le toit du Blue Note. Sous ses airs d'enfant sage, la gamine est capable de commettre des horreurs. Non pas qu'elle soit sadique, mais parce que son corps est manipulé par une mystérieuse femme blonde que personne ne peut voir... sauf elle et Rachel. Cette connaissance commune va les amener à entrer en contact, alors que rien ne les prédisposait à se croiser un jour. Toutes deux vont aussitôt nouer un lien de confiance et Rachel va tenter de rassurer la fillette tant que faire se peut, elle qui est traumatisée d'agresser et de tuer sans le vouloir. Elles vont aussi réaliser, à travers leur parcours en miroir, que la grande blonde les possède toutes les deux, mais différemment, et pour cause : avec son fort caractère, Rachel est beaucoup moins "perméable" que Zoé. 

La Mort à la soirée Nuit Blanche

On le devine sans que jamais Terry Moore ne le dise clairement : la grande blonde est une incarnation de la Mort. Tout de blanc vêtue, elle n'a rien à voir avec la faucheuse à capuche intégrée dans l'imaginaire collectif et on s'attend plus à la croiser chez Eddy Barclay que dans un cimetière. Elle aussi se présente à Rachel comme une sorte de reflet inversé. 

Si le rapport entre Zoé et la Mort est ambigu, mêlé de peur et de reconnaissance _la Mort se dit être "une amie qui lui veut du bien" et, de fait, elle la sauve des griffes du pédophile qui salivait d'avance de la récupérer dans sa famille d'accueil, Rachel et la grande blonde semblent se détester cordialement. 

Pas de doute, elle est derrière la transformation de l'héroïne en morte-vivante ; car c'est ce que Rachel est devenue, même si elle ne ressemble pas plus aux zombies sanguinaires auxquels nous sommes habitués, que la Mort à nos représentations habituelles de la mort. 

Son statut intermédiaire surprend sans surprendre les personnages qui évoluent dans une bourgade rurale déjà teintée de mystères, de phénomènes glauques, et connue pour ses brûlots de sorcières. 

Même le vieux médecin de famille des Beck, censé incarner la sagesse et la rationalité, est formel : la médecine n'explique pas tout, est Rachel n'est rien de moins que l'ange de la mort. Le pire, c'est qu'il a probablement raison...

La valse des faux semblants 

J'ai emprunté cette bande dessinée complètement au hasard, parce que je ne trouvais pas celle que je voulais et que le nom de l'auteur me disait vaguement quelque chose. C'est un heureux hasard, qui me donne envie de poursuivre la lecture de cette série à mi-chemin entre le fantastique et l'horreur. L'auteur s'est chargé à la fois des dessins et du scénario ; il est surtout connu pour une autre œuvre (Strangers in Paradise), mais apparemment Rachel Rising a connu un certain succès à sa sortie, en 2014. Visuellement, "L'ombre de la mort" devient agréable à lire dès lors qu'on s'est habitué au style de Terry Moore, caractérisé par des traits fins, soucieux du détail, parfaits pour dépeindre les broussailles d'une forêt remplie de cadavres et pour rendre les visages bien expressifs. N'étant pas très fan du gore illustré de façon générale, je dois bien reconnaître que l'artiste est efficace et dit ce qu'il veut sans trop abuser sur l'hémoglobine. Ce comics reste quand même destiné aux adultes, à mon avis, car il comporte plusieurs représentations de morts qui peuvent franchement faire peur. 

Mais la meilleure surprise reste le perpétuel jeu des apparences où l'auteur nous entraîne et nous perd, et qui laisse présager bien des rebondissements dans les futurs tomes. Qu'est-ce qu'on est ? Qu'est-ce qu'on n'est pas ? Qu'est-ce qui a changé, et quand ? Le bon père de famille d'accueil l'est-il vraiment ? Rachel est elle morte ou vivante ? Zoé n'est elle qu'une petite fille assommée par le destin ? La Mort est-elle une amie ou une ennemie ?  La suite le dira peut-être ! 

* butch = gouine bien virile

Terry MOORE. Rachel Rising - 1 - "L'ombre de la mort". Delcourt, 2014. ISBN 978-2-7560-3949-7

Rien à voir, mais j'ai fait le marathon de Biarritz le 5 juin dernier ! 

Un rêve s'est réalisé ! 

2 commentaires:

tadloiducine a dit…

Oui, on reconnaît bien la "patte" de l'auteur de SIP (je suis loin d'avoir lu toute la série)!
'Me suis demandé, à la lecture de votre billet, s'il y avait "cross-over" au détour d'une page ou pas?

Java a dit…

Pas que je sache, mais je n'ai (toujours) pas terminé la série, faute de temps...