Merci à Babelio et aux Editions Zulma pour l'envoi de La part des chiens, dans le cadre de l'opération Masse Critique. Ce roman écrit par Marcus Malte a d'abord été publié en 2003 avant d'être réédité en format poche cette année.
L'histoire
Zodiak et Roman dit "le polac" cherchent Sonia inlassablement, depuis de longs mois.
Sonia, c'est la femme du premier et la sœur du second ; cette jeune funambule de talent s'est comme évaporée du camp de forains dans lequel ils vivaient tous les trois, et depuis ce jour, ils tentent de retrouver sa trace. Mais la tâche est ardue ; on comprend vite que Zodiak et Roman n'ont en leur faveur que leur solide amitié et leur amour pour la disparue.
La part des chiens débute par leur arrivée nocturne dans une ville portuaire dont on ne connaîtra jamais le nom : ils semblent y avoir flairé une piste et s'immergent dans les ruelles les plus glauques, parce qu'ils savent bien que les clefs des lieux compromettants finissent toujours dans les bas-fonds. Les deux hommes ne paient pas de mine sous leurs allures de marginaux, mais gare à ceux qui tenteraient de les prendre de haut ! Leur détermination ne connaît ni les limites de la morale, ni les travers de la fierté, ni les codes de l'honneur. Si, pour arriver à leurs fins, ils doivent frayer avec la frange la plus malsaine de la population locale, en découdre avec des gros bras, secouer des prostituées ou encore supporter une projection de films pédopornographiques crânement présentée par le propriétaire d'un cinéma miteux sans tout de suite le dégommer... ils le feront.
Saint Germain du Salembre Sortie à vélo du 18 avril. Non, ça n'a rien à voir avec le livre, et alors ? C'est mon blog ! |
Ambiance sombre et sublime
Ne connaissant pas du tout l'auteur, j'ai lu quelques critiques en parcourant Internet. Il semblerait que Marcus Malte soit connu depuis longtemps pour sa capacité à mêler efficacement le glauque à la poésie dans ses textes ; c'est effectivement le cas dans La part des chiens, où les différents chapitres alternent en douche écossaise : le lecteur suit Zodiak et Roman dans leur enquête, avec toute la violence qu'elle sous-entend, puis remonte le temps au gré d'un narrateur omniscient peut-être soucieux de nous faire faire des pauses régénératives ? On vit alors le coup de foudre qui a touché Zodiak lors de sa première rencontre avec Sonia, aussi onirique que chelou _ il avait douze ans, elle huit ET elle était à poil..., on découvre le sage astrologue Aghara qui prendra le héros sous son aile, l'univers pourri de ce camp de roulottes dans lequel les protagonistes surnagent ou tirent leur épingle du jeu avec beaucoup de mérite. Toujours est-il que ces petits flashbacks nous aident à mieux comprendre l'histoire qui se déroule sous nos yeux, et notamment le contexte de la disparition de la funambule.
Ils apportent aussi la dimension d'enquête du roman ; en effet, la quatrième de couverture qualifie l'histoire de "roman noir", et j'ai d'abord eu un peu de mal à l'identifier comme tel : oui, les personnages sont des cas sociaux et évoluent dans un univers sombre, laissant peu de place à l'espoir. Mais pas d'inspecteur à l'horizon, pas d'indices, pas le moindre élément concret susceptible de rappeler un roman policier. Au fil des pages, on comprend que Zodiak est dans une démarche d'investigation : de bouges crasseux en locaux désaffectés, il sonde, menace, dialogue pour retrouver la piste de son âme sœur. Il tire des déductions de ce qu'il arrive à faire cracher à ses interlocuteurs. Ok, va pour le roman noir... De toute façon j'y connais rien, et puis on s'en moque. La complexité des personnages me semble être un point plus important à observer.
La brochette n'était pas végan !
En chien fidèle, Roman se contente d'obéir aveuglément aux ordres d'un binôme qu'il adule autant qu'il le craint. Du moins lorsqu'il n'est pas en train d'essayer de calmer son appétit gargantuesque. Pourtant, les dernières phrases qu'ils prononcera dans l'un des derniers chapitres seront peut-être celles de la vérité... Le polac n'est pas plus Watson que son beau-frère est Sherlock Holmes : au fond, sous un vernis de raisonnement rationnel, Zodiak n'est jamais guidé que par ce que lui dicte son coeur, et par sa capacité à lire l'avenir dans les constellations. A chaque rencontre, il est catalogué comme le "cerveau", quand Roman se voit systématiquement coller une étiquette de brute épaisse sur le front. Certes, leur équipe est aussi complémentaire que le laissent présager les apparences, mais pas pour les raisons que l'on croit : ils se connaissent depuis l'enfance, les deux hommes se respectent mutuellement _ Zodiak ne s'énerve jamais contre les boulettes de Roman, Roman prend soin d'épargner à Zodiak son point de vue sur leur quête_, et ils aiment Sonia plus que leur propre personne. De la fameuse Sonia, on ne saura pas grand chose que ce que nous laissent entrevoir les "chapitres flash-back" : prometteuse depuis ses jeunes années, elle excelle comme funambule et semble rendre à Zodiak l'intérêt qu'il lui porte. Quelques figures secondaires ne manqueront pas de s'imprimer dans la mémoire du lecteur : Igor Pécou, l'homme haut d'un mètre quarante et délesté de l'une de ses jambes suite à une mésaventure, propriétaire d'un cinéma porno et acteur dans certains des films projetés. ou "Monsieur Victor", dit "le Prince", un fils de maçon devenu gangster, qui n'a tellement pas la tête de l'emploi qu'on se demande bien comment ça a pu marcher pour lui.
Il faut que je trouve un moment pour parler de cette BD. Il y aurait pas mal de parallèles à faire avec La part des chiens, en plus ! |
Etre un malfrat s'apprend, même s'il faut des prérequis. De même, décrire la violence sous toutes ses formes n'est pas donné à tout le monde. Marcus Malte sait le faire. D'un bout à l'autre de l'oeuvre, les scènes trash, cruelles ou simplement très réalistes s'enchaînent sans que ce soit de trop. La scène de la "projection forcée" du film (j'en dirai pas plus pour pas spoiler) a notamment été très difficile à lire tant les images données m'étaient dures à encaisser. Je crois que je n'avais pas ressenti un tel malaise depuis la lecture de Ca de Stephen King, qui reste ma référence en la matière, traitez-moi de fragile si le cœur vous en dit. L'auteur réveille tellement bien nos instincts qu'on en vient à distinguer complètement l'acte répréhensible, destructeur, criminel.. de "ce qui est mal". Je ne serai sans doute pas la seule à avoir trouvé ce drôle de duo de forains de plus en plus attachant au fur et à mesure qu'ils commettent des horreurs...
La part des chiens est une étrange expérience de lecture que tout le monde devrait vivre au moins une fois !
Marcus MALTE. La part des chiens. Editions Zulma, 2021. 270 p. ISBN 9791038700031
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