Sans les Editions Autanes et l'opération Masse Critique de Babelio, je n'aurais peut-être jamais entendu parler de Louise Grouès, écrivaine et militante pour les droits des femmes, (peut-être) plus connue sous le pseudonyme de Héra Mirtel. Pourtant, la bête est à l'initiative d'une poignée de romans et d'une foule d'articles publiés dans des revues au tout début du XXè siècle.
Edité en 2015, Une doctoresse aux Alpes et autres textes comporte un roman suivi de plusieurs extraits d'articles et de conférences visant à pointer le cheval de bataille de l'auteure : l'égalité des femmes et des hommes dans l'accès aux carrières professionnelles. A travers l'histoire fictive, Héra Mirtel dresse un état des lieux assez consternant en montrant les difficultés d'intégration d'une doctoresse dans une communauté où même les femmes _et surtout les femmes, d'ailleurs ! auraient préféré voir un homme occuper la délicate fonction de médecin.
Une doctoresse aux Alpes (1907)
La situation de départ est on ne peut plus actuelle : un petit village perdu dans un recoin des Alpes peine à recruter un médecin, car personne ne veut s'aventurer dans une zone aussi enclavée. On se résout donc à y affecter l'héroïne du roman, désireuse de pouvoir exercer son métier, où que ce soit : après tout, une doctoresse c'est moins bien qu'un docteur mais c'est mieux que rien. Elle se heurte d'entrée à l'hostilité des femmes, avant même d'avoir pu faire ses preuves ; on devine rapidement que non, ça ne va pas rouler comme la charrette de Docteur Quinn.
Lorsque la doctoresse (ce terme me rappelle mon arrière-grand-mère, qui l'employait souvent, non sans un certain mépris, pour parler de la remplaçante de son médecin... Pourtant, elle avait bel et bien un nom ! "Ah, pauvre, je ne guéris pas vite cette fois-ci... Mais c'est parce que c'était la doctoresse, aussi. Mais c'est bon, je rappellerai le Dr. B. quand il rentrera de vacances...". Et là ça se passe en Dordogne dans les années 90, hein ! et croyez moi, elle n'était pas la seule à tenir ce genre de propos) Lorsque la doctoresse, donc, a enfin l'opportunité de sauver de la mort un jeune berger, se défiant de sa grand-mère qui ne veut d'abord pas qu'elle y touche, elle pense fermer le bec à toutes les commères qui la regardent en dessous. Pourtant non, bien au contraire ! Parce que l'une d'elles l'a aperçue ausculter le jeune homme, forcément à moitié à poil, on lui prête les pires rumeurs. Prouver qu'elle peut faire "aussi bien" qu'un médecin ne suffira plus, il faudra aussi qu'elle arrive à convaincre qu'elle n'est pas venue là pour se taper les garçons du village. Sous la pression, elle sera bien tentée de démissionner, mais des âmes bienveillantes lui rappelleront que sa vocation doit être la plus forte.
Une doctoresse aux Alpes est un petit roman sobre mais édifiant, pas aussi vieillot qu'on pourrait l'attendre d'un texte écrit au tout début du XXème siècle. Il gagnerait à être connu plus largement car malheureusement, les dialogues et les petits événements qui ponctuent le quotidien de ce village de montage sont encore parlants. De nos jours, on peut le lire comme un rappel de ce qui a évolué pour les femmes dans le domaine professionnel depuis, comme un constat de ce qui n'a pas vraiment changé, et ce qui nous pend au nez si on s'assoit sur nos acquis. Une régression est toujours possible ; le chantier en cours dans l'Education Nationale visant à orienter "aussi" les filles vers les métiers scientifiques en les poussant à croire elles-même en leurs capacités, en témoigne : ce qui devrait être une évidence depuis longtemps ne l'est pas du tout.
Les "autres textes" sont des chroniques parues dans les journaux dont on n'a pas su perpétuer l'esprit, vu la difficulté que j'ai eu à trouver des informations sur L'Entente, Le Semeur, et le texte d'une conférence tenue dans le cadre du Congrès national des droits civils et du suffrage des femmes qui s'est tenu à Paris en juin 1908. J'ai peut-être juste aucune culture féministe, mais je m'inquiète en me disant que ceux qui n'en ont pas plus que moi sont encore coincés dans leur ignorance à l'ère d'Internet. Dans une écriture accessible, simple et efficace, Héra Mirtel présente ses idées et ses propositions pour améliorer la condition des femmes dans le monde du travail. D'une part, elle souligne que, d'un point de vue légal, pratiquement aucune carrière n'est formellement interdite aux femmes. Si ce sont les hommes qui occupent les fonctions de cadres, les places les mieux loties et les mieux reconnues, c'est parce que les femmes sont sous-estimées depuis leur naissance. A tel point qu'elles-même se sous-estiment, s'auto-excluent naturellement et vont même jusqu'à contester l'attitude de celles qui se rebellent contre l'ordre établi _ comme c'est le cas dans Une doctoresse aux Alpes. Louise Grouès condamne vivement l'apathie de ses consoeurs et prône le modèle des "Américaines" qui, d'après elle, ont nettement moins froid aux yeux. Déjà, au XXème siècle, des femmes dirigent des chantiers, encadrent des équipes : oui ça existe, mais c'est tellement peu médiatisé que dans les petits villages, on n'arrive pas à y croire. D'autre part, elle propose des solutions pour casser les représentations et résoudre ce problème de manque d'initiative et de confiance des femmes : entre autres, l'éducation et l'information. Bizarre, c'est exactement ce qu'on essaie de faire à l'école aujourd'hui.
Merci, donc, aux Editions Les Autanes et à Babelio pour l'envoi de cet ouvrage plus qu'instructif. A Luce Van Torre pour son travail d'édition. A Héra Mirtel pour sa véhémence et la clarté de ses idées ; pour la peine, on lui pardonne d'avoir assassiné son mari.
Une doctoresse aux Alpes et autres textes. Louise Grouès / Héra Mirtel. Ed. Luce Van Torre. Les Autanes, 2015. Coll. "Ecritures de femmes". 188 p. ISBN : 979-10-90272-13-2
La situation de départ est on ne peut plus actuelle : un petit village perdu dans un recoin des Alpes peine à recruter un médecin, car personne ne veut s'aventurer dans une zone aussi enclavée. On se résout donc à y affecter l'héroïne du roman, désireuse de pouvoir exercer son métier, où que ce soit : après tout, une doctoresse c'est moins bien qu'un docteur mais c'est mieux que rien. Elle se heurte d'entrée à l'hostilité des femmes, avant même d'avoir pu faire ses preuves ; on devine rapidement que non, ça ne va pas rouler comme la charrette de Docteur Quinn.
Lorsque la doctoresse (ce terme me rappelle mon arrière-grand-mère, qui l'employait souvent, non sans un certain mépris, pour parler de la remplaçante de son médecin... Pourtant, elle avait bel et bien un nom ! "Ah, pauvre, je ne guéris pas vite cette fois-ci... Mais c'est parce que c'était la doctoresse, aussi. Mais c'est bon, je rappellerai le Dr. B. quand il rentrera de vacances...". Et là ça se passe en Dordogne dans les années 90, hein ! et croyez moi, elle n'était pas la seule à tenir ce genre de propos) Lorsque la doctoresse, donc, a enfin l'opportunité de sauver de la mort un jeune berger, se défiant de sa grand-mère qui ne veut d'abord pas qu'elle y touche, elle pense fermer le bec à toutes les commères qui la regardent en dessous. Pourtant non, bien au contraire ! Parce que l'une d'elles l'a aperçue ausculter le jeune homme, forcément à moitié à poil, on lui prête les pires rumeurs. Prouver qu'elle peut faire "aussi bien" qu'un médecin ne suffira plus, il faudra aussi qu'elle arrive à convaincre qu'elle n'est pas venue là pour se taper les garçons du village. Sous la pression, elle sera bien tentée de démissionner, mais des âmes bienveillantes lui rappelleront que sa vocation doit être la plus forte.
Une doctoresse aux Alpes est un petit roman sobre mais édifiant, pas aussi vieillot qu'on pourrait l'attendre d'un texte écrit au tout début du XXème siècle. Il gagnerait à être connu plus largement car malheureusement, les dialogues et les petits événements qui ponctuent le quotidien de ce village de montage sont encore parlants. De nos jours, on peut le lire comme un rappel de ce qui a évolué pour les femmes dans le domaine professionnel depuis, comme un constat de ce qui n'a pas vraiment changé, et ce qui nous pend au nez si on s'assoit sur nos acquis. Une régression est toujours possible ; le chantier en cours dans l'Education Nationale visant à orienter "aussi" les filles vers les métiers scientifiques en les poussant à croire elles-même en leurs capacités, en témoigne : ce qui devrait être une évidence depuis longtemps ne l'est pas du tout.
Les "autres textes" sont des chroniques parues dans les journaux dont on n'a pas su perpétuer l'esprit, vu la difficulté que j'ai eu à trouver des informations sur L'Entente, Le Semeur, et le texte d'une conférence tenue dans le cadre du Congrès national des droits civils et du suffrage des femmes qui s'est tenu à Paris en juin 1908. J'ai peut-être juste aucune culture féministe, mais je m'inquiète en me disant que ceux qui n'en ont pas plus que moi sont encore coincés dans leur ignorance à l'ère d'Internet. Dans une écriture accessible, simple et efficace, Héra Mirtel présente ses idées et ses propositions pour améliorer la condition des femmes dans le monde du travail. D'une part, elle souligne que, d'un point de vue légal, pratiquement aucune carrière n'est formellement interdite aux femmes. Si ce sont les hommes qui occupent les fonctions de cadres, les places les mieux loties et les mieux reconnues, c'est parce que les femmes sont sous-estimées depuis leur naissance. A tel point qu'elles-même se sous-estiment, s'auto-excluent naturellement et vont même jusqu'à contester l'attitude de celles qui se rebellent contre l'ordre établi _ comme c'est le cas dans Une doctoresse aux Alpes. Louise Grouès condamne vivement l'apathie de ses consoeurs et prône le modèle des "Américaines" qui, d'après elle, ont nettement moins froid aux yeux. Déjà, au XXème siècle, des femmes dirigent des chantiers, encadrent des équipes : oui ça existe, mais c'est tellement peu médiatisé que dans les petits villages, on n'arrive pas à y croire. D'autre part, elle propose des solutions pour casser les représentations et résoudre ce problème de manque d'initiative et de confiance des femmes : entre autres, l'éducation et l'information. Bizarre, c'est exactement ce qu'on essaie de faire à l'école aujourd'hui.
Merci, donc, aux Editions Les Autanes et à Babelio pour l'envoi de cet ouvrage plus qu'instructif. A Luce Van Torre pour son travail d'édition. A Héra Mirtel pour sa véhémence et la clarté de ses idées ; pour la peine, on lui pardonne d'avoir assassiné son mari.
Une doctoresse aux Alpes et autres textes. Louise Grouès / Héra Mirtel. Ed. Luce Van Torre. Les Autanes, 2015. Coll. "Ecritures de femmes". 188 p. ISBN : 979-10-90272-13-2
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