dimanche 25 septembre 2016

Téma la bibliothèque... dans le roman Le bonheur de A à Z - Barry Jonsberg (2015)


Ah ! Enfin un roman pour la jeunesse qui n'instillera pas l'envie de se pendre aux rats de bibliothèque en herbe _et aux autres non plus, d'ailleurs ! 





L'histoire 

Pourtant, et contrairement à ce que la couverture du livre nous laisse croire, la vie de Candice Phee n'a rien d'un bonbon arlequin. A la veille de ses treize ans, cette collégienne australienne complètement décalée a déjà assisté à pas mal de catastrophes : la mort en bas âge de sa petite sœur, le cancer de sa mère, la brouille tenace qui oppose son père à son oncle... sans compter les tracas que ses difficultés de socialisation lui causent au quotidien. Candice aurait mille raisons d'être au fond du trou, déprimée... mais non ! Parce qu'elle voit bien que trop pleuré dans cette famille ces derniers temps, elle se donne pour mission de réconcilier les siens avec le bonheur. Sa bonne volonté suffira-t-elle ? Vous le saurez en lisant son journal consciencieusement rédigé sous forme d'abécédaire, où chaque lettre correspond à un chapitre immanquablement poilant... 


Téma ! La bibliothèque du collège... 

Les premières lignes du Bonheur de A à Z ne nous permettent pas d'en douter plus de trente secondes : Candice a une araignée au plafond. De quel type ? On n'en saura rien, mais lorsque son père lui dit, au détour d'une conversation, "mais non, tu n'es pas bizarre", on ne peut s'empêcher de penser à cette scène de Forrest Gump...


La daronne à son fils : "Tu n'es pas différent. Tu es exactement comme les autres"
Le médecin à la mère : "Votre fils est... différent"

... qui résonne comme un écho à ses paroles. Comme Forrest, Candice snobe complètement le second degré et dit ce qu'elle pense au moment où elle le pense. Sans aucun filtre. Au risque de blesser. Elle ne sait pas mentir et n'a nullement l'intention d'apprendre : pourquoi toute vérité ne serait-elle pas bonne à dire ? Si cette droiture d'esprit est toute à son honneur, elle ne lui assure pas vraiment le minimum de popularité requis pour survivre au collège. Isolée tant par choix que parce que les autres adolescents rejettent son étrangeté, l'élève studieuse trouve refuge à la bibliothèque pendant les pauses, où elle jouit de quelques privilèges et d'un accueil chaleureux : sans doutes soucieuses de la protéger, les documentalistes lui réservent systématiquement une place dans la salle de travail et ferment les yeux lorsqu'elle mange sous leur nez _ sacrilège ! Entre extraterrestres, on se serre les coudes ! 


Nous n'apprenons pas grand chose de ce lieu, si ce n'est qu'il est situé légèrement en hauteur... 

"Douglas m'a suivie dans les couloirs et jusqu'aux marches de la bibliothèque". 

...mais il est intéressant à plusieurs niveaux : 


  • Pour ses allures de cocon à victimes, d'une part. S'il existait une typologie de la bibliothèque telle qu'elle apparaît dans la littérature de jeunesse _ et ça m'étonnerait que personne n'y ait pensé, donc si vous en connaissez une, veuillez me l'indiquer en commentaire, je vous prie !_ celle-ci correspondrait parfaitement à ce modèle-là. Contrairement à l'univers de la classe, que Candice nous décrit comme "un champ de bataille", la bibliothèque est un abri qui préserve l'intégrité physique et morale de tous ceux qui galèrent à l'extérieur. Le port d'attache des faibles. Le retour au stand des intellos. Ce lieu supervisé par des documentalistes et régi par un règlement bien précis tient à l'écart la foule des adolescents tapageurs qui ne ressentent pas le besoin de persécuter autrui au point de mettre à mal leur propre image : le CDI, c'est pour les bouffons ! Tout le monde sait ça ! Il est donc impensable d'y mettre les pieds sans en avoir une excellente raison... D'ailleurs, lorsque Miss Cowie, la prof remplaçante, jouera la carte de l'originalité en amenant la classe à la bibliothèque pour un travail de groupe _ afin de profiter de l'espace plus que pour en exploiter les ressources, notons-le !, l'ado la plus populaire de la classe n'en reviendra pas : "Jen Marshall regardait autour d'elle comme si elle n'avait jamais vu de bibliothèque (c'était vrai).".  




  • D'autre part, la bibliothèque est un lieu particulièrement fertile pour les deux personnages principaux que sont Candice _l'habituée et Douglas _le "toléré" à qui les docs acceptent de prêter une chaise... parce qu'il traîne avec leur chouchoute ? On ne le saura jamais.. Dans tous les cas, l'abécédaire de Candice naît sur une table de la salle de travail : n'est-il pas la forme enrichie du devoir de français qui lui est demandé par Miss Bramford. A cette même table peut-être, son ami d'une autre dimension lui révélera le pourquoi de sa présence en ce monde, et, plus tard, elle y dressera la liste des ingrédients nécessaires à la confection du jambalaya, un plat typique de la Louisiane censé redonner le sourire à sa mère. En s'aidant d'un dictionnaire bilingue anglais-français, tandis que Douglas parcourt l'espace documentaire à la recherches d'ouvrages traitant de la gravité. 

  • Enfin, notre CDI version australienne sera le théâtre d'un entretien épique entre Jen, la star ô combien fragile de la classe, et celle qu'elle surnomme "Gogolita" sans vergogne : Candice. Qui sait si l'échange forcé entre les deux filles n'aboutira pas sur une belle amitié, à force de confidences ? L'héroïne en rêve, aussi fou que cela puisse paraître...

   
        

Avec Candice Phee, on n'est plus surpris de rien ; et, en suivant ses aventures plus ou moins prévisibles, on apprend à positiver ! Acceptons sans hésiter ce rayon de soleil de 300 pages, ce petit pot de bonne humeur que les livres pour les jeunes nous offrent rarement _ce qui ne veut pas dire qu'ils ne sont pas intéressants, hein ! Mais comme il est bon de lire, enfin ! le journal d'une ado pas tout à fait comme les autres... et qui le revendique !   


Enfin !

... Oui, enfin ! une héroïne de roman qui n'apprécie pas les roulages de pelle ! Eh oui, qui l'eût cru ? Entre Candice et Douglas, ça finit par faire des Chocapics. Or, si le garçon convaincu de venir d'une autre dimension, éprouve des sentiments assez profonds pour évoquer le mariage avec les parents de sa copine, cette dernière est plus réservée. Pourtant, elle joue le jeu en attendant de savoir où elle en est.. et tente d'éviter aux mieux ces situations désagréables où Douglas est tenté de fourrer la langue dans sa bouche... 

... Enfin, aussi, l'acceptation de la différence ! Lorsque Douglas fait son apparition au collège d'Albright, la prof _elle-même handicapée d'un oeil qui dit merde à l'autre_ le redirige vers la table de Candice, qui évidemment n'a pas de voisin. La belle excuse ! Parqués dans le même périmètre, elle ses très bien que ses deux cassos seront beaucoup plus faciles à gérer. Dit ainsi, cela peut paraître choquant, mais on s'y fait vite. Force est de constater que, si Douglas D'une Autre Dimension ne se perçoit pas comme un gars fracassé de la tête, Candice se sait "bizarre" et semble bien décidée à imposer aux autres cette réalité. C'est pourquoi elle s'en tire aussi bien : elle se fout totalement de l'image qu'elle renvoie, tout simplement parce qu'elle ne discerne pas les petites agressions quotidiennes dont elle fait l'objet. La fille vivante de la famille Phee n'a pas spécialement un coeur de pierre _pourquoi se défoncerait-elle à rendre ses proches heureux ? Mais elle a une sensibilité différente aux choses, une façon de tenir la douleur à distance qui la protège de bien des souffrances et qui lui permet de crever facilement les abcès familiaux sans se préoccuper des dégâts collatéraux.     


"Tu ne chantes que les airs que tu inventes, ma Minette, et tu ne danses que les danses que tu inventes. Tu ne joues la partition de personne à part la tienne. Tu vois le monde à ta façon, qui est différente de tous les autres. Et tu sais quoi ? Parfois j'aimerais bien le voir comme toi. Ce serait bien si nous le voyions tous comme toi, je crois que les choses se passeraient mieux." 


Non, tout le monde n'accepte pas Candice _et elle n'en demande pas autant au monde, de toute façon, mais ceux qui l'aiment l'acceptent telle qu'elle est, sans chercher à tout prix à la "soigner".  

A mettre entre toutes les mains ! 

JONSBERG, Barry. Le bonheur de A à Z. Flammarion, 2015. Coll. "Tribal". 312 p. ISBN 978-2-0813-0864-0. 
Illustration de la couverture : Hans Neleman 


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