lundi 22 février 2010

Le Rainbow Cloporte


(février 2009 - pour mes contacts facebook qui passeraient par là : OUI je sais je triche en ressortant des vieux trucs mais tant pis!)

Il était une fois une cloporte célibataire pas très belle qui voyait arriver la Saint Valentin avec un indescriptible effroi. Après l’avoir persuadé de se rendre à une de ces p… de soirées de célibataires, histoire de faire une, voire plusieurs rencontres concluantes, sa mère lui avait tricoté avec toute la force de ses quatorze pattes un très laid pull over aux couleurs de l’arc-en-ciel, pour finir ses pelotes de laine plus que pour lui porter bonheur.

La petite cloporte repéra la cohorte des insectes célibataires. Pour cette soirée spéciale organisée dans un bar de la ville, il y avait une musique de daube qu’on entendait depuis l’extérieur. Cela lui frappa les antennes, dès qu’elle descendit de son escargot décapotable garé au plus près de la grosse pierre de façon à ce qu’on ne vienne pas le lui rayer ni même gerber dessus. Quelques caillera-cloportes rôdaient sur le parking vêtus de blousons, qui n’allaient pas du tout avec leurs écailles latérales naturelles.

La petite cloporte passait pour un peu chochotte et ne savait pas trop si elle devait rester ou non, ou si elle devait essayer comme ses copines de se laisser coller par un sombre baveux buvant de l’alcool de fourmi puant et bien assommant. Elle avait les antennes flasques de dépit lorsque son regard tombait sur ses comparses en manque s’efforçant de s’amuser pour paraître sociables et se caser plus facilement. Ils étaient comme elle, et pourtant, si différents. Ca ne venait pas seulement du pull coloré. Elle sympathisa avec une jeune dépressive qui boudait son lait de limace dans un coin. Elle comprit sa solitude quand elle s’aperçut que c’était en fait une grosse bourge un peu hautaine: elle était venue là avec la tortue neuve de son père. Du coup, la cloporte au pull arc en ciel tout pourri, et pas du tout assorti avec la boule à facettes jetant des éclats marron clair ou très bruns, la trouva moins sympa.

Il était déjà plus que temps de se barrer de la taupinière. Qu’était-elle allée faire dans ce lieu plus perdu dans la nature?

De l’œil de bœuf elle entrevit la lune, très claire, trop sans doute pour être appréciée d’un cloporte, mais belle tout de même. En voulant revenir sur ses pas, elle se heurta à un grand cloporte aux cheveux longs. Ou une. Ou un. En fait Rainbow Cloporte n’arrivait pas à se décider sur le sujet. Je crois même que personne n’en sut jamais rien car, avouez que c’est délicat de poser ce genre de questions! Là n’est pas le propos de toute façon, et, puisque dans cette histoire il n’y a pas de scènes de castration ou de test de canards multifonctions (désolée…), nous l’appellerons le Transcloporte.

Le Transcloporte flasha sur le pull arc-en-ciel et lui demanda où la Cloporte l’avait trouvé. Elle avait endossé ce torchon en se disant que c’était comme un cagoule, laid mais efficace. Voilà qu’un excentrique venait le promouvoir à un niveau hautement esthétique. Ce drôle d'animal était éminemment décalé et semblait cacher quelque chose car il parlait peu. Le genre à sortir braver le soleil sans lunettes. C’est justement ce qui était bien. Il ne fallait même pas chercher à comprendre. Le fait-même de soupçonner le glauque et le secret général était excitant pour tout insecte un tant soit peu rangé. Alors qu’au fond, il ne cachait peut-être rien d'autre qu'une personnalité plate comme une tagliatelle. Au bout de quelques temps, la cloporte comprit que sa nouvelle (ou son nouveau) pote était venu crécher ici pour jeter un œil sur sa sœur, une petite pouffe à peine habillée qui s’éclatait comme une folle. La surveiller, c’était vraiment se faire mal aux yeux tant elle gesticulait et se plaisait à parcourir la piste de danse en tournant sur sa carapace.

Ils sortirent de la taverne, sous l‘œil dépité des fêtards qui avaient prévu de les chambrer et de faire sauter quelques mailles du pull arc en ciel avant le retour du soleil. Ils faut croire qu'ils avaient trouvé un terrain d’entente, puisqu’après 12 clopes chacun et autant de rhums coco ils étaient toujours dehors en train de se geler sur le parking à contempler la lune et à s’échanger en moyenne trois mots par minute. Ca leur suffisait largement pour démonter le monde et en refaire un autre. A tour de rôle, ils faisaient de brèves irruptions dans la salle de jeux pour refaire le plein de munitions. Aussi, ils avaient maintenant atteint bien malgré eux la même euphorie que ceux qu’ils avaient fui, elle ricanant sans raison, lui, enfin elle, enfin l‘autre, gloussant d‘un son gras. Autant dire qu'ils étaient complètement déchirés quand le reflet d’une lune sur le retour fit étinceler sur leur carapace la rosée du matin naissant.


De l’intérieur, les gais lurons qui commençaient à fatiguer se pointèrent sur le seuil de la boîte pour prendre l’air, encouragés par leur estomac à aller refaire un beauté à la tortue de la bourge, et entendirent les deux cloportes déchirés, recroquevillés sur eux-mêmes de fatigue, lassés de repartir en fou rire incontrôlable dès que leurs regards se rencontraient.

Un silence interrogatif se propagea quelques secondes dans le gang des normaux. Ils interprétèrent logiquement la scène comme significative de la naissance d’un nouveau couple et sortirent en riant, des bouteilles vides à la main (c’est vraiment tout ce qui restait) pour fêter ça. Rainbow et Trans riaient aussi en guise de réponse, mais dans un sursaut de lucidité, ils jugèrent bon de prendre la fuite, pensant que la meute de carapaces venait les lyncher, comme ça aurait sans doute été le cas dans des circonstances ordinaires. Ils n’eurent pas le temps de faire un pas que les insectes les avaient déjà coincés entre le mur et la tortue du père de la bourge, puis choppés de toutes leurs pattes réunies, l’une par le pull arc en ciel devenu couleur de fourmi broyée, l’autre pas sa touffe fluorescente. Ils hissèrent les deux cloportes atypiques sur le bolide pour leur célébrer un mariage improvisé, à eux qui ne pensaient même pas à sortir ensemble. Il suffisait de voir la manière avec laquelle ils se dévisageaient bêtement, à moitié surpris, à moitié abrutis, sans trop comprendre. Ceux qui possédaient encore quelques ressources tentèrent de retourner la tortue, comme ça, juste pour le plaisir. Après un vote à patte levée, pendant lequel les mariés filèrent en douce à dos d’escargot, ils trouvèrent un compromis et prirent la décision de gerber dessus de manière synchronisée.


Ainsi commencèrent bien malgré eux les aventures de Rainbow Cloporte la moche et de Transcloporte le bizarre.

Moralité : l’alcool rapproche.

Moralité 2 : n’empruntez jamais la tortue neuve de votre père sauf si c‘est pour faire les courses de votre maman.


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