Les chiens sont de vraies énigmes pour moi : il me semble que je n'arrive jamais à bien les comprendre, à me mettre à leur place, à anticiper leurs réactions. Je ne peux pas faire autrement qu'associer le meilleur ami de l'homme au Cerbère et de voir en lui quelque chose de malveillant : ils mangent mes poules et enterrent le cadavre à moitié bouffé devant la maison, ils mordent ma mère _au point qu'elle en ait développé une phobie ; c'est hallucinant : dès qu'un chien passe près d'elle, il ne calcule plus rien et fonce sur elle pour la gnaquer !, et il se trouve que j'y suis terriblement allergique. Enfin, pour couronner le tout, ma classe a été forcée de lire Le chien des Baskerville quand nous étions en 4ème, et comme j'avais vraiment pas envie de découvrir les rouages roman policier, j'en ai gardé le souvenir d'une histoire aussi dégueulasse que pétée. Enfin, peu importe. Le fait est que les chiens sont partout dans la culture, alors ce n'est pas perdre son temps que de s'y intéresser aujourd'hui à travers le film d'animation L'extraordinaire voyage de Marona et le premier tome d'une série de livres pour enfants : Chien pourri
L'extraordinaire voyage de Marona : au début, elle meurt...
... et c'est pas spoiler que d'ajouter qu'elle se fait caler par une voiture, avant d'expirer aux côtés de sa jeune maîtresse. Ainsi vous avez tout de suite une idée d'atmosphère du film. De rien.
Au moment de l'accident, Marona refait le film de sa vie, nous faisant partager ses premiers jours heureux au coeur d'une portée de neuf chiots, puis son parcours chaotique ponctué d'abandons, de départs forcés, mais aussi de bonnes rencontres. Sur toute sa courte vie de chienne, Marona aura trois maîtres dignes de ce nom : l'acrobate Manole, Istvan et la petite Solange qui grandira au rythme de sa nostalgie. Trois humains aussi différents les uns des autres, avec leurs qualités, leurs défauts, leurs modes de vie auxquels l'héroïne à quatre pattes s'efforcera de s'accommoder, vaille que vaille.
Pourtant, tout avait bien commencé pour elle : en effet, "Neuf" étant le fruit de l'union improbable d'un mâle raciste et d'une femelle au pelage bien différent dont elle dit "avoir hérité" de l'ouverture d'esprit, elle incarne le métissage, la victoire de l'amour sur l'imbécilité. Mais comme animaux et humains ne parlent pas le même langage, personne ne le saura jamais, tout le monde la qualifiera simplement de "bâtarde" et chaque rencontre durable sonnera comme un nouveau baptême.!
Neuf va d'abord être séparée de ses frères et soeurs, puis recueillie par Manole, un brave acrobate qui va lui apporter un bonheur aussi profond qu'éphémère, et à qui elle va beaucoup s'attacher. C'est elle qui prendra la décision de quitter ce premier maître, non pas parce que la vie de bohême lui déplaît, mais parce qu'elle comprend qu'elle est une entrave à l'épanouissement professionnel du jeune homme.
Cachée dans une poubelle, elle va tomber sur Istvan, un grand bonhomme aux allures de nounours protecteur qui semble travailler sur un chantier. Leur complicité sera mise à mal par la mère sénile et violente de ce deuxième maître, puis par sa sorcière de femme, aussi sadique qu'une enfant gâtée, derrière ses airs enjôleurs. Evidemment, comme tout gentil qui se respecte, Istvan ne saura pas s'imposer.
Enfin, Marona va intégrer clandestinement son dernier foyer, puisque c'est Solange, une petite fille décalée, qui va l'adopter dans le dos de sa mère overbookée et de son grand-père acariâtre. A la candeur de l'enfance va succéder l'adolescence je-m'en-foutiste et hyperconnectée : entre promener un chien et aller retrouver ses copines à l'autre bout de la ville, le choix est parfois bien vite fait.
A travers ses yeux près du sol, et sa voix de jeune chienne posée mais dynamique joliment doublée par Lizzie Brocheré, le spectateur contemple l'humanité à tous les âges de la vie : Solange représente l'enfance innocente et encore empathique, puis l'adolescence plus ingrate. Manole est un jeune homme encore plein de rêves d'avenir et encore libre comme l'air. Istvan, Sarah et la mère de Solange sont les adultes dans toute leur splendeur : incapables de reconnaître le bonheur quand il se présente à eux, esclaves de leurs choix de vie et empêtrés dans leur lâcheté. Enfin, la vieillesse en prend pour son grade : la mère d'Istvan perd la boule et devient ingérable à la tombée du jour, tandis que le grand-père est un croulant gueulard et aigri, capable du meilleur comme du pire. Ce tableau est à la fois émouvant, audacieux _il faut oser aborder le sujet de l'évolution compliquée des personnes âgées..., mais un peu réducteur, aussi.
Dans tous les cas, Marona ne juge aucun de ses maîtres et leur manifeste une fidélité à toute épreuve : si elle est lucide sur leurs vices, elle sait aussi qu'ils resteront toujours à ses yeux "ceux qui lui ont fait le moins de mal". La rancoeur lui passe au-dessus ; seul son instinct la pousse à prendre le large au moment opportun... Pour le jeune public, le personnage de Marona peut amener à réfléchir sur le statut de l'animal dans la société, sur l'importance de prendre soin de ces êtres vivants qui jalonnent notre existence et sur le cataclysme qui se produit dans leur têtes lorsqu'ils sont abandonnés sur le bord du chemin.
Puisqu'on en parle : le petit spectateur risque d'être un peu impressionné par les dessins hypnotiques et ultra colorés de Gina Thorstensen, Sarah Mazzetti et Brecht Envens. Les artistes se sont éloignés de la 3D pour faire le choix d'un décor qui évoque le pop-up, avec des effets "crayon de couleur". Les contours flous des dessins font-ils écho à l'incertitude de la petite bête au grand coeur, qui contemple le monde des humains et ne le comprend que partiellement ? Peut-être. En tous cas, la tentative est originale, onirique, et valait vraiment le coup de voir le jour, même si le style peut évidemment ne pas plaire. Le doublage et la bande son participent à l'ambiance à la fois bien vivante et mélancolique du film ; ils collent bien à l'esprit de l'histoire : on va tous vers une issue fatale, mais on y va gaiement car on est dans la peau d'un animal qui, par définition, ne connaît pas la marche arrière.
Certes, L'extraordinaire voyage de Marona n'est pas une oeuvre des plus réconfortantes : les humains y sont dépeints de façon extrêmement sombre et finissent pas se laisser happer par leurs imperfections et par leurs démons. Elle donne des pistes de réflexion sur le bonheur, sur le destin, sur les souvenirs et les visages du passés, qui reviennent toujours au moment où on s'y attend le moins. Aussi se consolera-t-on de retrouver l'élastique Manole furtivement, à plusieurs reprises, lui qu'on déplore de ne voir que le temps de quelques séquences... Même s'il ne fait pas l'unanimité chez les cinéphiles, ce récent long métrage d'Anca Damian est un OVNI de l'animation à découvrir, ne serait-ce que par curiosité.
L'extraordinaire voyage de Marona -Anca Damian.
France / Roumanie / Belgique
1h32 - Sorti en 2019
Pour en savoir plus :
- L'interview de Pablo Pico, auteur de la BO, sur le podcast de Cinezik Radio.
- L'interview d'Anca Damian dans l'émission d'Aligre FM Ecoute, il y a un éléphant dans le jardin du 8 janvier 2020. (Actualités culturelles destinées aux enfants)
Chien Pourri : un poil plus optimiste...
... mais guère, en fait !
Chien Pourri n'est pas vraiment le clebs qu'on a envie d'adopter : il ressemble à s'y méprendre à un paillasson et il sent mauvais. Pourtant, il garde le moral ! Bien sûr, c'est un peu la loose, pour un chien, de ne pas avoir de maître humain, mais après tout, il n'est pas à plaindre : il partage l'amitié de Chaplapla, un félin presque plus mal en point que lui. Mais surtout, il est d'une telle bonté naïve, et d'une telle inconscience de son état délabré, qu'il ne réalise pas la gravité de la situation. C'est sans doute mieux ainsi...
Un jour, il se lance en quête d'un humain qui voudra bien prendre soin de lui ; forcément, il est plein d'espoir et ne tarde pas à faire des rencontres douteuses, pour ne pas dire dangereuses... Le vaste monde est plein de pièges qui peuvent parfois prendre les traits d'une petite fille apparemment inoffensive...
Comme dans L'extraordinaire voyage de Marona, l'anti-héros canin de ce premier tome de Chien pourri est bien mal récompensé de sa bonne volonté... mais ici, les retournements de situation rebondissent toujours sur une issue drolatique.
Publié dans la collection Mouche de l'Ecole des Loisirs, Chien pourri peut être lu par les enfants dès 6-7 ans je pense, qu'ils soient seuls ou accompagnés : à travers un personnage principal aussi moche à l'extérieur que beau intérieurement, ils feront l'expérience des limites des apparences chez l'homme comme chez l'animal. De quoi leur apporter une longueur d'avance sur bien des adultes de leur entourage...
GUTMAN, Colas ; BOUTAVANT, Marc. Chien pourri ! L'Ecole des loisirs, 2013. Coll. Mouche. ISBN 9782211211970
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