Les salles de classe étaient parfaitement alignées : tout au fond, près du préau, se trouvait l'entrée de la classe des CE2. Ensuite venait celle des CM2. Elle avait pour particularité d'être équipée d'une ligne téléphonique, afin que notre prof puisse prendre les communications quand ses tâches de directeur se rappelaient à lui au beau milieu d'un cours. Nous, on croisait les doigts pour que le vieux téléphone se mette à sonner au milieu de la dictée ou d'un contrôle, ce qui arrivait fort souvent ! Monsieur M. devait alors nous tourner le dos pour pouvoir décrocher _le fil était court ; on avait le champ libre pour quelques minutes, et on en profitait à fond. Les salles des CM1-CM2 et des CE2-CM1 étaient les deux dernières à être encore équipées de bureaux troués d'un emplacement pour l'encrier. Enfin, la chaleureuse salle des CLIS, et la fascinante "salle des ordinateurs" terminaient la chaîne.
En face, de l'autre côté de la cour de récréation, se dressait une maisonnette qu'on fréquentait plus rarement : la salle des instits tout à gauche, caverne d'Ali Baba où ils avaient l'habitude de ranger leurs gâteaux, les livres-récompenses des Monsieur Madame qu'on gagnait quand on avait obtenu 10 images, la trousse à pharmacie et les lots du loto annuel (qui une année, ont tous été volés à quelques heures de l'événement). Tout à droite, le bureau du directeur était surmonté d'un petit spot lumineux fixé au dessus de sa porte vitrée _Monsieur M. nous a fait croire pendant des mois qu'il s'agissait d'une caméra de surveillance.
Et au milieu, derrière ses volets toujours clos, on devinait, la SALLE DE LA TÉLÉ qui pouvait accueillir jusqu'à deux classes, si on se serrait bien sur les bancs. Quand on y allait, ça sentait bon, car c'était pour aller voir les Badaboks _je comprends toujours pas que nos instits aient pu cautionner ce programme_ ou un dessin animé à la veille des vacances. C'est là qu'on a découvert la version Disney de Robin des bois, du moins le début ; l'histoire de ce renard fringant nous avait pas mal fait rêver, même si pour beaucoup, ça ne valait pas Le Roi Lion. Autant dire que ce film était le bienvenu en période de Noël, même s'il a valu à mon pote Maxime de se faire surnommer "Gertrude" jusqu'à l'été suivant, car il était un peu enrobé, à l'époque.
Ah, Robin des Bois. Quel personnage fascinant et troublant, pas forcément facile à cerner lorsqu'on est petit. Bien qu'on nous apprenne très tôt à percevoir le vol comme un acte répréhensible, ce "voleur" nous est présenté comme le gentil de l'histoire ! Pourquoi ? Parce qu'il vole les puissants et les riches pour donner aux pauvres et aux opprimés, rééquilibrant ainsi la balance de la justice. Donc ce n'est plus du "vol", mais du "partage". Ok... Mais quand-même, quel bazar dans nos têtes...
Dans l'imaginaire collectif, Robin des Bois est un gentil brigand sorti tout droit de l'Angleterre médiévale. Il prend les traits d'un rebelle connaissant la forêt de Sherwood comme sa poche, agile, assez bon au tir à l'arc, haut en couleurs _avec une préférence certaine pour les tons verts. Plutôt bon camarade, il devient grave insolent en présence de richards. Il a de nombreux amis, s'entoure de personnes de confiance et tient en respect ses ennemis _le shérif de Nottingham, le Prince Jean et son orchestre. Voilà pour le portrait robot.
Or, en 2003, Manu Larcenet a revisité ce personnage de légende, mettant un bon coup de balai dans nos représentations : quarante-deux ans après les hauts faits qui l'ont rendu populaire, Robin des Bois a déménagé dans la forêt de Rambouillet, avec pour toute escorte le fidèle Petit Jean, son ami, son esclave, son cuisinier, son garde-fou... Le temps n'a pas été clément avec le justicier, maintenant atteint de la "maladie du Sieur Alzheimer", ce qui lui vaut de se mettre à chanter inopinément des tubes de Carlos et d'Annie Cordy. Seul remède à ses crises : les coups de gourdin que Petit Jean lui assène sur le crâne. Le procédé est un peu brutal, mais le fait est que cela lui remet les idées en place. Robin des Bois reste fidèle à ses principes, quand il s'en souvient : voler les riches pour donner aux pauvres. Vieux, édenté, acariâtre, il n'en est pas moins un hors-la-loi, et le shérif de Nottingham _qui semble tout droit sorti d'un western_ veut sa peau, plus que jamais ! Mais il en faudra plus pour impressionner le brigand, plus préoccupé par ses questions existentielles que par les ruses de sioux que son traqueur déploie.
Questions existentielles
Dans cette BD, vous ne verrez pas Robin des bois harponner du riche, ou du moins pas de façon volontaire. Il a pour ainsi dire la tête ailleurs. Son esprit se perd dans la rêverie, dans la contemplation de la nature. En effet, Robin des bois fait le point son existence de justicier, s'interroge sur le sens de sa vie et se laisse aller à la mélancolie... on pourrait même dire qu'il déprime légèrement ! Voler les riches pour donner aux pauvres, était-ce vraiment un bon plan ?
Attention, ces considérations n'enlèvent rien au potentiel comique du personnage, ni de la BD. Sachez simplement qu'il ne faut pas s'arrêter à la couverture de l'oeuvre, qui laisse entendre qu'on va avoir affaire à une succession de gags plus hilarants les uns que les autres ; non, l'intérieur de l'album nous fait rire jaune, même s'il nous fait bel et bien rire !
Tourné vers la mort, se sentant diminué, le fier Robin des Bois s'inquiète comme tout un chacun du sort qui lui sera réservé dans l'au delà. Il suppose que c'est l'Enfer qui l'attend : quand on a passé sa vie à voler des gens, même pour la bonne cause, on n'a certainement pas mis toutes les chances se son côté. Pris de panique, il appelle Frère Tuck _ qui est devenu pape et qui a un peu pris le melon_ pour recueillir sa confession. Ironie du sort, lorsque l'ecclésiastique arrive enfin de Rome, il n'arrive plus à se souvenir de ses péchés.
Robin des Bois le sait bien : il n'est pas un ange, mais enfin, il y a pire que lui ! Alors, pourquoi a-t-il été touché par la "terrible affection du sieur Alzheimer quand tant de fieffés gredins n'ont que des rhumes" ? Si le destin s'acharne, c'est peut-être pour le punir de quelque chose. Comme Dieu ne l'aide pas beaucoup, il s'en remet esprits sylvestres de la forêt de Rambouillet, plus loquaces. Christianisme, paganisme, quelle importance quand on a besoin d'aide et qu'on veut juste être rassuré et guidé dans son parcours ? Effectivement, il n'est pas impossible que le bandit au grand cœur ait manqué à ses obligations, à un moment de sa vie...
Dans cette BD, vous ne verrez pas Robin des bois harponner du riche, ou du moins pas de façon volontaire. Il a pour ainsi dire la tête ailleurs. Son esprit se perd dans la rêverie, dans la contemplation de la nature. En effet, Robin des bois fait le point son existence de justicier, s'interroge sur le sens de sa vie et se laisse aller à la mélancolie... on pourrait même dire qu'il déprime légèrement ! Voler les riches pour donner aux pauvres, était-ce vraiment un bon plan ?
Attention, ces considérations n'enlèvent rien au potentiel comique du personnage, ni de la BD. Sachez simplement qu'il ne faut pas s'arrêter à la couverture de l'oeuvre, qui laisse entendre qu'on va avoir affaire à une succession de gags plus hilarants les uns que les autres ; non, l'intérieur de l'album nous fait rire jaune, même s'il nous fait bel et bien rire !
Tourné vers la mort, se sentant diminué, le fier Robin des Bois s'inquiète comme tout un chacun du sort qui lui sera réservé dans l'au delà. Il suppose que c'est l'Enfer qui l'attend : quand on a passé sa vie à voler des gens, même pour la bonne cause, on n'a certainement pas mis toutes les chances se son côté. Pris de panique, il appelle Frère Tuck _ qui est devenu pape et qui a un peu pris le melon_ pour recueillir sa confession. Ironie du sort, lorsque l'ecclésiastique arrive enfin de Rome, il n'arrive plus à se souvenir de ses péchés.
Inch'Allah... |
Dès lors, une nouvelle quête se présente à lui : retrouver sa chère Lady Marianne, l'élue de son coeur, retenue prisonnière du Prince Jean depuis des décennies. Rien de tel qu'une bon objectif à atteindre pour se tirer du ventre mou de la dépression ! Robin des bois et Petit Jean quittent donc le calme de Rambouillet pour s'aventurer à Nottingham, son vacarme, ses cités. Oui, les frontières spatio-temporelles sont très poreuses, dans cette bande dessinée, et les situations à venir auront un petit air des Visiteurs. Pas facile de s'accoutumer à la ville du XXI°siècle lorsqu'on ne possède que des codes sociaux moyenâgeux et qu'on a un shérif du XIX° à ses trousses. Heureusement, ils feront la rencontre de Kader, jeune graffeur connu "comme le chou blanc" dans la cité, qui s'imposera comme éclaireur.
La fin des héros
C'est spoiler que de dire qu'il retrouve Marianne ? Oui ? Bah désolé, mais il me semble que le plus important dans cette BD n'est pas l'action en elle-même, mais la façon dont elle est présentée. Autant dire qu'avoir cette information n'enlèvera rien au plaisir de la découverte lorsque vous lirez La légende de Robin des Bois.
Oui, Robin des bois remet la main sur sa Dame, quel fin limier ! Mais, comment dire, il n'est pas pleinement satisfait, sans doute parce qu'il a été soumis au mécanisme d'un désir qui l'a poussé à sortir de sa zone de confort. Après consultation de mon super dictionnaire de philosophie, j'ai consulté la définition du mot "désir" pour vois si ça collait bien :
"Désir - (n.m) Mouvement qui, au delà du besoin en tant que tel, nous porte vers une réalité que l'on se représente comme une source possible de satisfaction. Ouais, ça colle. Le désir se définit comme une tendance devenue consciente." ça c'est moins sûr, en l'occurrence, mais en même temps ça fait quinze ans que j'ai pas fait de philo, on n'ira pas creuser plus loin aujourd'hui.
En tous cas, sa réaction fait penser à ce que dit Rousseau du désir, dans Julie ou la nouvelle Héloïse que j'ai souvent cité mais jamais lu : Malheur à qui n'a plus rien à désirer! il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède. On jouit moins de ce qu'on obtient que de ce qu'on espère et l'on n'est heureux qu'avant d'être heureux. [...] l'illusion cesse où commence la jouissance.
On veut quelque chose ou quelqu'un, et puis quand on l'a... on s'en désintéresse et on veut encore autre chose. D'ailleurs, l'objet du désir du vieux Robin des Bois était-il de retrouver Marianne pour elle-même ? Rien n'est moins sûr...
Pour sa défense, il faut dire que, comme toutes les figures populaires croisées au fil des planches, Marianne a pris cher ! Si l'espace-temps est ici gondolé avec fantaisie, les années pèsent sur tout le monde. Petit Jean n'a plus un poil sur le caillou, Tarzan a perdu du muscle et mis des cheveux blancs après s'être rangé du côté de la bonne société anglaise. Le shérif de Nottingham est en bout de course ; Mickey et Donald se font des blagues pourries en arrière-plan.
Oui, Robin des bois remet la main sur sa Dame, quel fin limier ! Mais, comment dire, il n'est pas pleinement satisfait, sans doute parce qu'il a été soumis au mécanisme d'un désir qui l'a poussé à sortir de sa zone de confort. Après consultation de mon super dictionnaire de philosophie, j'ai consulté la définition du mot "désir" pour vois si ça collait bien :
"Désir - (n.m) Mouvement qui, au delà du besoin en tant que tel, nous porte vers une réalité que l'on se représente comme une source possible de satisfaction. Ouais, ça colle. Le désir se définit comme une tendance devenue consciente." ça c'est moins sûr, en l'occurrence, mais en même temps ça fait quinze ans que j'ai pas fait de philo, on n'ira pas creuser plus loin aujourd'hui.
En tous cas, sa réaction fait penser à ce que dit Rousseau du désir, dans Julie ou la nouvelle Héloïse que j'ai souvent cité mais jamais lu : Malheur à qui n'a plus rien à désirer! il perd pour ainsi dire tout ce qu'il possède. On jouit moins de ce qu'on obtient que de ce qu'on espère et l'on n'est heureux qu'avant d'être heureux. [...] l'illusion cesse où commence la jouissance.
On veut quelque chose ou quelqu'un, et puis quand on l'a... on s'en désintéresse et on veut encore autre chose. D'ailleurs, l'objet du désir du vieux Robin des Bois était-il de retrouver Marianne pour elle-même ? Rien n'est moins sûr...
Pour sa défense, il faut dire que, comme toutes les figures populaires croisées au fil des planches, Marianne a pris cher ! Si l'espace-temps est ici gondolé avec fantaisie, les années pèsent sur tout le monde. Petit Jean n'a plus un poil sur le caillou, Tarzan a perdu du muscle et mis des cheveux blancs après s'être rangé du côté de la bonne société anglaise. Le shérif de Nottingham est en bout de course ; Mickey et Donald se font des blagues pourries en arrière-plan.
La Mort elle-même ne semble pas avoir le plein contrôle de la situation
Manu Larcenet disait sur France Culture, il y a quelques semaines, qu'il n'était pas forcément content de ses productions humoristiques ; je ne sais pas s'il parlait aussi de La légende de Robin des bois qui est très drôle sans pouvoir être classée dans les BD "pour faire rire", il me semble. En tous cas, en tant que lectrice néophyte, j'ai marché complètement dans cette histoire et ça m'intéresserait bien de lire les autres volumes de la série "Une aventure rocambolesque de..." réalisés par les mêmes artistes et consacrés à d'autres personnages / personnalités.
Public : adolescents 14 et +, adultes
Références :
- Manu Larcenet. Une Aventure rocambolesque de Robin des bois - La légende de Robin des Bois. Dargaud, 2003. Coll. "Poisson pilote". ISBN : 978-2205-06018-8
- Emission Le Réveil culturel du 24 janvier 2020 (France Culture)
- Emission POPOPOP du 7 janvier 2020 (France Inter)
- ah la la, les radios des profs, TMTC !
Sangria Gratuite - Nos héros
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