Depuis les fenêtres des salles de cours, on voyait le parc Bourran recouvert d'une fine couche neigeuse ; une averse de flocons était tombée sur Bordeaux le matin-même, assez tôt pour réduire de moitié les effectifs de la promo. Pourtant, la gestionnaire du système d'information de l'agence Manpower locale était bien au rendez-vous, et elle avait prévu de nous présenter ses fonctions de A à Z comme si de rien n'était, avec mises en situation à la clé.
Lorsqu'elle entra dans la salle, tous flyers dehors, brochures à l'appui, le Mac sous le bras, la crainte du réseau Wifi inexistant à peine cachée sous une frange revêche, on a vite compris qu'on ne serait décidément pas sur la même longueur d'ondes. Elle nous voyait déjà nous émerveiller devant son PowerPoint louant le professionnalisme de sa boîte, y postuler avec enthousiasme en tant que documentaliste, ou à défaut, nous y inscrire comme intérimaires. Nous, on la voyait comme une fille venue meubler l'UE 4 avec une intervention de quatre heures, et on n'attendait qu'une chose : savoir si elle comptait faire une pause à 11 ou nous lâcher un quart d'heures plus tôt.
D'ailleurs, on ne la regardait pas vraiment, trop occupés à contempler la neige : à Bordeaux, ça n'arrive pas beaucoup plus d'une fois par an !
"Vous n'êtes que six ? Les intempéries sont à l'origine de l'hécatombe, j'imagine ?
_ Oh, habituellement, on est douze.
_ Ah, je me disais, aussi. Parce que moi, j'ai plutôt bien roulé !
_ Par contre, les bus sont stoppés.
_ Tiens, en voilà deux autres qui arrivent."
Je ne me souviens plus vraiment de ce qui fut dit au cours de cette intervention, pleine de copie d'écran, ni de ce qui nous fut demandé lors de la mise en situation. Finalement, on a eu notre pause à onze heures, ce qui nous a permis de faire de pures boules de neige sous la mine mi-ébahie, mi-exaspérée de Madame Manpower.
A la fin de cette laborieuse matinée, la documentaliste ès CDD de deux jours nous a distribué des dépliants remplis de gens aux figures épanouies (le bonheur de bosser en intérim ?) et même un cadeau "de Noël, en retard" : Plaidoyer pour un emploi responsable, le livre de la PDG de Manpower herself. Autant dire que ça sentait à plein nez la tentative de promotion de l'entreprise ; mais un cadeau ne se refuse pas.
En sortant de l'IUFM, je me suis dit que j'allais le lire, quand même, histoire de rigoler un peu. Puis, hum... Cet élan de curiosité s'est effacé de ma mémoire, va-t-on dire, et j'ai oublié.
D'ailleurs, on ne la regardait pas vraiment, trop occupés à contempler la neige : à Bordeaux, ça n'arrive pas beaucoup plus d'une fois par an !
"Vous n'êtes que six ? Les intempéries sont à l'origine de l'hécatombe, j'imagine ?
_ Oh, habituellement, on est douze.
_ Ah, je me disais, aussi. Parce que moi, j'ai plutôt bien roulé !
_ Par contre, les bus sont stoppés.
_ Tiens, en voilà deux autres qui arrivent."
Je ne me souviens plus vraiment de ce qui fut dit au cours de cette intervention, pleine de copie d'écran, ni de ce qui nous fut demandé lors de la mise en situation. Finalement, on a eu notre pause à onze heures, ce qui nous a permis de faire de pures boules de neige sous la mine mi-ébahie, mi-exaspérée de Madame Manpower.
A la fin de cette laborieuse matinée, la documentaliste ès CDD de deux jours nous a distribué des dépliants remplis de gens aux figures épanouies (le bonheur de bosser en intérim ?) et même un cadeau "de Noël, en retard" : Plaidoyer pour un emploi responsable, le livre de la PDG de Manpower herself. Autant dire que ça sentait à plein nez la tentative de promotion de l'entreprise ; mais un cadeau ne se refuse pas.
La couverture fait un peu UMP, non ? |
En sortant de l'IUFM, je me suis dit que j'allais le lire, quand même, histoire de rigoler un peu. Puis, hum... Cet élan de curiosité s'est effacé de ma mémoire, va-t-on dire, et j'ai oublié.
Pendant deux ans.
Françoise Gri, donc, puisqu'elle se nomme ainsi, nous présente sa vision professionnelle et personnelle de la crise économique de 2009. Quelle attitude adopter lorsqu'on est patronne d'une des plus grandes enseignes d'Intérim en France, et qu'on a bien conscience du grand impact négatif de cette situation à tous les niveaux de l'entreprise ? A travers huit courts chapitres appelés "carnets de route", elle répond en montrant qu'elle a voulu jouer la carte du terrain en conciliant ses objectifs de chef d'entreprise et ses qualités humaines.
Pour la PDG de Manpower, le monde du travail est en pleine mutation : la mobilité des employés est requise, entraînant parfois pour eux un changement de statut et d'entreprise, les inégalités face à l'emploi s'accentuent. A cause de la crise, bien sûr, mais pas que. Alors, Françoise Gri veut apporter, à son échelle, un rayon de soleil dans ces "jours noirs"* en montrant que le "bon" patron, c'est celui qui vient sur le terrain et qui y reste assez longtemps pour être crédible. A la lecture du deuxième "carnet"**, difficile de croire que la chef d'entreprise ait résisté à la tentation de prêcher pour sa paroisse. Venue à Rouen pour prendre la température des agences de l'ouest de la France, où l'on cède peu à peu à la déprime, elle s'efforce de nous convaincre qu'elle n'occupe pas la présidence d'une entreprise parmi tant d'autres : à Manpower, on a du coeur et la seule idée qu'on a en tête est de remplir sa mission pour le bien de tous. Elle ne manque pas de nous rappeler, au passage, qu'elle a été élevée dans le culte du travail et du général De Gaulle.
Une petite larme pour l'enfance difficile d'une self made woman en devenir ? Non ? Tant pis.
Continuons.
L'homme est au centre de tout. Les Lumières l'avaient déjà dit, Françoise Gri semble en faire la découverte dans ses fonctions de présidente : sans humain, pas d'entreprise, pas de performances et pas de sous. Alors il faut bien faire attention à chouchouter l'homme pour qu'il travaille bien dans sa boite. Ces remarques faites, nous en arrivons à un point intéressant de Plaidoyer pour un emploi responsable : la collaboration entre Pôle Emploi et l'intérim, mise en place en 2009. Souvent critiquée, cette alliance lui paraît tout aussi intéressante pour Manpower que pour les demandeurs d'emploi. Histoire qu'on comprenne qu'elle n'est pas la seule à défendre ce partenariat privé/public, elle publie le long commentaire d'un visiteur de son blog qui partage son avis. Toujours est-il qu'elle refuse manifestement de voir que diriger les demandeurs d'emploi vers l'intérim n'est pas la même chose que proposer un emploi ; elle préfère noyer le poisson en assurant que les missions ponctuelles amènent très souvent à l'emploi stable.
Aimez les patrons comme ils vous aiment ! Ou pas.
Si jamais ce n'est pas le cas... eh bien il faut considérer que c'est la faute du système scolaire en général, et de la formation des patrons en particulier. Françoise Gri accuse en effet le désaveu trop perceptible de l'éducation pour les filières professionnelles, ainsi qu'un formatage des futurs chefs d'entreprise au détriment de la créativité et de la connaissance du terrain.
D'ailleurs, les patrons qui s'illustrent sont souvent ceux qui reviennent de loin ; car non, ils ne sont pas tous des fils à papa tout pourris. Ils savent se battre comme des lions lâchés dans le monde des Bisounours pour défendre leur boite et leurs employés, car ils les aiment. Alors, imaginez la galère quand, en plus de tout ça, ce sont des filles, les pauvres ! Pour elles qui ont toujours tendance à croire qu'elles ne vont jamais être capable de rien, vous comprenez bien que la vie de PDG va être encore plus dure. Oui, vraiment, on a parfois l'impression que Madame Manpower France vient de faire tomber sa boite à idées reçues, et qu'elle est en train de les ranger pêle-mêle en les époussetant au passage.
En collaboration avec des homologues, la présidente tente de rédiger un "manifeste" des patrons visant à "repenser l'entreprise" en tenant compte de la crise et de ses dégâts collatéraux. .
Cette arnaque !
Les huit carnets de route de Françoise Gri sont brefs et se lisent facilement ; si bien que lorsque le lecteur arrivera au quart du livre, il aura la surprise de voir l'auteur conclure et passer le témoin aux reporters du Journal des entreprises. Pourtant, elle est bel et bien la seule à signer l'ouvrage ! Mais passons : cet enchaînement de mini-biographies de patrons d'entreprises aussi différentes les unes des autres, classées par ordre alphabétique, est des plus intéressants. Certains croient dur comme fer aux vertus de la motivation, jusqu'à en faire le principal critère de recrutement, d'autres privilégient les partenariats avec les CFA locaux. Beaucoup choisissent de mettre en valeur leur fibre écolo, par une activité en lien avec la protection de l'environnement, ou, plus indirectement, dans la vie quotidienne de l'entreprise. Ceux qui ont connu des périodes de galère ont souvent à coeur d'opter pour l'égalité des chances lors de la constitution des équipes de travail, pour la solidarité et pour le bien-être des salariés. Dans tous les cas, les chefs d'entreprise nous sont souvent présentés de façon excessivement sympathique : ce sont des femmes (on n'en compte pas beaucoup, d'ailleurs) et des hommes avant tout ! Cela dit, ces portraits demeurent instructifs, ne serait-ce que pour découvrir quelques PME françaises dont on ignorait tout jusque là.
* Le titre du "Carnet n°1" est "Jours noirs et mutations".
** "Carnet n°2 : sur le terrain, sinistré"
GRI, Françoise. Plaidoyer pour un emploi responsable. Paris, Stock. 2010. 215 p. ISBN 978-2-234-06490-4
Françoise Gri, donc, puisqu'elle se nomme ainsi, nous présente sa vision professionnelle et personnelle de la crise économique de 2009. Quelle attitude adopter lorsqu'on est patronne d'une des plus grandes enseignes d'Intérim en France, et qu'on a bien conscience du grand impact négatif de cette situation à tous les niveaux de l'entreprise ? A travers huit courts chapitres appelés "carnets de route", elle répond en montrant qu'elle a voulu jouer la carte du terrain en conciliant ses objectifs de chef d'entreprise et ses qualités humaines.
Pour la PDG de Manpower, le monde du travail est en pleine mutation : la mobilité des employés est requise, entraînant parfois pour eux un changement de statut et d'entreprise, les inégalités face à l'emploi s'accentuent. A cause de la crise, bien sûr, mais pas que. Alors, Françoise Gri veut apporter, à son échelle, un rayon de soleil dans ces "jours noirs"* en montrant que le "bon" patron, c'est celui qui vient sur le terrain et qui y reste assez longtemps pour être crédible. A la lecture du deuxième "carnet"**, difficile de croire que la chef d'entreprise ait résisté à la tentation de prêcher pour sa paroisse. Venue à Rouen pour prendre la température des agences de l'ouest de la France, où l'on cède peu à peu à la déprime, elle s'efforce de nous convaincre qu'elle n'occupe pas la présidence d'une entreprise parmi tant d'autres : à Manpower, on a du coeur et la seule idée qu'on a en tête est de remplir sa mission pour le bien de tous. Elle ne manque pas de nous rappeler, au passage, qu'elle a été élevée dans le culte du travail et du général De Gaulle.
Une petite larme pour l'enfance difficile d'une self made woman en devenir ? Non ? Tant pis.
Continuons.
L'homme est au centre de tout. Les Lumières l'avaient déjà dit, Françoise Gri semble en faire la découverte dans ses fonctions de présidente : sans humain, pas d'entreprise, pas de performances et pas de sous. Alors il faut bien faire attention à chouchouter l'homme pour qu'il travaille bien dans sa boite. Ces remarques faites, nous en arrivons à un point intéressant de Plaidoyer pour un emploi responsable : la collaboration entre Pôle Emploi et l'intérim, mise en place en 2009. Souvent critiquée, cette alliance lui paraît tout aussi intéressante pour Manpower que pour les demandeurs d'emploi. Histoire qu'on comprenne qu'elle n'est pas la seule à défendre ce partenariat privé/public, elle publie le long commentaire d'un visiteur de son blog qui partage son avis. Toujours est-il qu'elle refuse manifestement de voir que diriger les demandeurs d'emploi vers l'intérim n'est pas la même chose que proposer un emploi ; elle préfère noyer le poisson en assurant que les missions ponctuelles amènent très souvent à l'emploi stable.
Aimez les patrons comme ils vous aiment ! Ou pas.
Si jamais ce n'est pas le cas... eh bien il faut considérer que c'est la faute du système scolaire en général, et de la formation des patrons en particulier. Françoise Gri accuse en effet le désaveu trop perceptible de l'éducation pour les filières professionnelles, ainsi qu'un formatage des futurs chefs d'entreprise au détriment de la créativité et de la connaissance du terrain.
D'ailleurs, les patrons qui s'illustrent sont souvent ceux qui reviennent de loin ; car non, ils ne sont pas tous des fils à papa tout pourris. Ils savent se battre comme des lions lâchés dans le monde des Bisounours pour défendre leur boite et leurs employés, car ils les aiment. Alors, imaginez la galère quand, en plus de tout ça, ce sont des filles, les pauvres ! Pour elles qui ont toujours tendance à croire qu'elles ne vont jamais être capable de rien, vous comprenez bien que la vie de PDG va être encore plus dure. Oui, vraiment, on a parfois l'impression que Madame Manpower France vient de faire tomber sa boite à idées reçues, et qu'elle est en train de les ranger pêle-mêle en les époussetant au passage.
En collaboration avec des homologues, la présidente tente de rédiger un "manifeste" des patrons visant à "repenser l'entreprise" en tenant compte de la crise et de ses dégâts collatéraux. .
Cette arnaque !
Les huit carnets de route de Françoise Gri sont brefs et se lisent facilement ; si bien que lorsque le lecteur arrivera au quart du livre, il aura la surprise de voir l'auteur conclure et passer le témoin aux reporters du Journal des entreprises. Pourtant, elle est bel et bien la seule à signer l'ouvrage ! Mais passons : cet enchaînement de mini-biographies de patrons d'entreprises aussi différentes les unes des autres, classées par ordre alphabétique, est des plus intéressants. Certains croient dur comme fer aux vertus de la motivation, jusqu'à en faire le principal critère de recrutement, d'autres privilégient les partenariats avec les CFA locaux. Beaucoup choisissent de mettre en valeur leur fibre écolo, par une activité en lien avec la protection de l'environnement, ou, plus indirectement, dans la vie quotidienne de l'entreprise. Ceux qui ont connu des périodes de galère ont souvent à coeur d'opter pour l'égalité des chances lors de la constitution des équipes de travail, pour la solidarité et pour le bien-être des salariés. Dans tous les cas, les chefs d'entreprise nous sont souvent présentés de façon excessivement sympathique : ce sont des femmes (on n'en compte pas beaucoup, d'ailleurs) et des hommes avant tout ! Cela dit, ces portraits demeurent instructifs, ne serait-ce que pour découvrir quelques PME françaises dont on ignorait tout jusque là.
* Le titre du "Carnet n°1" est "Jours noirs et mutations".
** "Carnet n°2 : sur le terrain, sinistré"
GRI, Françoise. Plaidoyer pour un emploi responsable. Paris, Stock. 2010. 215 p. ISBN 978-2-234-06490-4
1 commentaire:
Hiiii hi hi hi hiii !!^^
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