« Blog »
est un roman pour ados qui aborde à la fois les rapports
inter-générationnels, la question de l'identité numérique et les pratiques
culturelles des jeunes. Le héros, un lycéen, découvre que son père a lu son
blog en long, en large et en travers : il ressent cette immersion dans son
univers comme un « viol virtuel ». Alors, il décide de ne plus
adresser la parole à son père et se ferme complètement à lui. »
Après nous avoir brièvement annoncé la couleur de cet ouvrage de Jean-Philippe
Blondel, la bibliothécaire l'avait reposé sur son présentoir avant d'en
empoigner un autre. Lequel ? Je ne sais plus, car je n'avais plus suivi son
passage en revue, fort intriguée que j'étais par cette curieuse embrouille sur
fond de blog passé au tamis de la censure parentale. Il me fallait absolument
le lire, au plus vite. Puis notre visite matinale de la médiathèque de Mérignac
s'est terminée, nous sommes tous retournés à l'IUFM l'après-midi pour reprendre
notre préparation du Capes de Documentation là où nous l'avions arrêtée, tandis
que l'eau coulait sous les ponts et que les trains passaient dessus. Mon enthousiasme est parti aussi vite qu'il était venu, et je n'y ai plus pensé. Deux ans
plus tard, Blog demeurait un mythe, un de ces ouvrages
« cultes » de la littérature de jeunesse qu'on cite sans avoir lu.
Autant dire que mes attentes étaient grandes, quand j'ai enfin pris le temps de
le lire.
Résumé
multimédia...
...Parce que nous sommes tous multitâches !
Voici un fichier son réalisé par mes soins (et avec l'aide d'Audiacity, à l'origine de cette voix bien virile dont j'ai toujours rêvé) pour vous résumer le
roman. Pour ceux qui n'auraient pas envie de le télécharger, sachez que j'y
raconte mot pour mot ceci :
Un lycéen
réalise un jour avec stupeur que son père lit régulièrement le blog personnel
qu'il tient depuis plusieurs années. Il vit très mal cette intrusion dans un
espace privé qu'il a pourtant bien peu cherché à protéger, et se sent vraiment
trahi. C'est un mélange de colère et d'indignation qui l'amène à ne plus
adresser la parole à son père. Ce dernier culpabilise et lui confie, en guise
de compensation, les journaux intimes qu'il tenait dans sa jeunesse. D'abord bien
décidé à ne pas tomber dans les travers du voyeurisme, l'adolescent va se
prendre au jeu et lire avec assiduité les aventures de celui qui deviendra son
père, et avec qui il entretient bien plus de points communs qu'il n'aurait pu
le supposer. Il va alors découvrir un secret de famille bouleversant.
Fraîcheur et efficacité
L'entreprise de
Jean-Philippe Blondel n'était guère aisée : comment se mettre dans la peau d'un
adolescent lorsqu'on n'en est plus un, et comment adopter son langage sans
avoir l'air d'avoir converti du français standard en dialecte djeuns à l'aide
de Google Trad ? Sans doute l'écrivain _ enseignant de son état _ a-t-il
observé la jeunesse d'aujourd'hui et en essayant de se fondre dans celui qu'il
fut autrefois. Toujours est-il qu'il s'en sort bien, bien qu'on ne s'y trompe
pas : au pays des enculés de ta race et autres fils de pute bien décidés à
niquer leur mère, peu nombreux sont ceux qui expriment leur colère à coups de
« putain de merde » aujourd'hui. Il n'y a guère que Frank Gallagher pour utiliser pareille formule.
Mais passons, c'est un détail.
Frank Gallagher de Shameless, Saison 8, épisode 18 |
Mais passons, c'est un détail.
Qu'on apprécie
ou pas le jeune blogueur en crise dont il est question dans Blog, on ne
peut que reconnaître la facilité avec laquelle Jean-Philippe Blondel pousse de
grands débats d'actualité sur le devant de la scène : les rapports parents –
enfants, l'expression de soi, la prise en compte de l'Autre dans sa
construction personnelle, les frontières de la vie privée et de la vie publique
sur Internet... Pour chacun d'eux, Blog est sans doute le point de
départ d'une réflexion.
Pourquoi un blog
?
Le blogueur
démasqué a les idées claires : il sait pourquoi il a ouvert son espace virtuel,
il explique très bien pourquoi il l'entretient régulièrement, il a pleinement
conscience d'une évolution de ses écrits au fil du temps. Il n'y a pas de
doute, ce héros qui « aime écrire » et qui reconnaît sans problème
qu'il a commencé son blog pour faire comme tout le monde et
« épater » une fille, c'est bien un adolescent fictif ! Sans doute le jeune lecteur doit-il aller au-delà de la simple représentation du héros, dont le réalisme est contestable, et utiliser le personnage pour forger sa propre conception du blog. Par exemple, l'argument de la publication d'articles pour laisser une "trace" des personnes et des événements, pour retenir les souvenirs, reflète parfaitement l'objectif que je me suis fixé en ouvrant "Une Poule Sur Un Mur". Mais la façon dont il nous est présenté me froisse un peu, parce qu'il manifeste une trop grande prise de recul, à mon avis : "C'est pour ça aussi, le blog. J'en suis conscient. Pour conserver. Parce que j'ai peur que tout ne nous échappe. Ne nous file entre les doigts. Et qu'un jour nous nous retournions et que nous nous apercevions soudain que nous évoluons au milieu d'un désert et que le point de départ, notre oasis, est inatteignable désormais." Loin de moi l'intention de prendre les jeunes de quinze ans pour des abrutis sans aucun discernement ; pourtant, ce n'est pas pour rien que l'auteur choisit comme héros un adolescent qui ne se sent pas tout à fait comme les autres. Il se distingue du "blogueur moyen" en entretenant ses pages sur la durée alors que les garçons, soi-disant, ne le font pas ; en allant au-delà de la publication de photos, et en prenant peu à peu conscience de son besoin d'écrire.
Qu'est-ce qu'on y met ?
Ce rapport à l'écriture est l'un des principaux points communs entre le héros et son père ; du moins, c'est celui qui nous intéresse le plus. Pour se "racheter" d'avoir épié le blog de son fils, Philippe lui offre les journaux intimes qu'il écrivait lorsqu'il avait sensiblement le même âge. Peut-on dire qu'ils sont quittes ? Répondre "oui" sous-entendrait que le blog est un parfait équivalent du journal intime ; pourtant, ce n'est pas le cas. Le journal intime n'est pas censé être lu, en principe. Le blog, si. Même si l'accès est restreint, on écrit pour des "visiteurs", ou pour soi, mais en sachant qu'on sera lu par quelques uns d'entre eux. Dans cette mesure, il est bien difficile de ne pas s'autocensurer un minimum. La qualité d'écriture, quant à elle, se voit forcément stimulée par l'idée qu'on va devoir se faire comprendre auprès des autres. On ose beaucoup sur un blog personnel, au péril de sa réputation, mais on n'ose jamais autant que dans un journal. Dès que l'anonymat est rompu un tant soit peu, le blogueur n'est plus totalement libre de ses mouvements : en fonction de son niveau de diplomatie, ou d'hypocrisie, comme vous voudrez, il sera amené à peser ses mots pour "plaire", pour "ne pas froisser" ses lecteurs fidèles et pour ne pas les compromettre. L'adolescent de Blog pratique ce contrôle de ce qu'on dit et de ce qu'on ne dit pas : il fait l'impasse sur ses murges, persuadé qu'une instance supérieure pourrait le confondre en utilisant ses billets. Par contre, il fait part de ses exploits aux (jeunes) lecteurs du roman, qu'on peut ici prendre comme un journal écrit en parallèle du blog "gelé".
Un roman en pâte feuilletée
C'est ma manière de dire qu'il y a plusieurs "couches d'expression" à explorer dans Blog. On peut aussi dire "strate narrative", je sais. Mais ce roman n'est pas assez calcaire pour correspondre à ce terme :
- le récit du héros passant au crible ses états d'âme au fil des jours, à partir du "gel" de son blog.
- le blog, dont on ne sait rien, puisqu'on ne figure pas dans la liste de ses meilleurs potes.
- le journal du père, analysé et commenté par le héros. Ce dernier va très vite passer l'étape "Sa mère en boîte ! Mon Dieu ! Mon père fût un boutonneux autrefois !" pour mieux s'attacher à faire des liens entre "Philippe" et lui.
- un peu de communication orale, que diable ! J'ai bien envie de rajouter à toutes ces "states" (allez, les falaises ont leur petit côté romantique) les échanges entre Anne-So et le héros, car ils viennent compléter l'interprétation de la lecture du journal de Philippe. La copine du blogueur porte un regard extérieur sur la situation et le guide, en quelque sorte, vers la résolution du problème relationnel entre le père et le fils. Anne-So rend bien service, en effet. Mais je ne comprends pas pourquoi l'auteur a tenu à les faire coucher ensemble. S'est il lancé un défi du type "il faut absolument que mon blogueur se fasse dépuceler avant la fin de l'histoire, allez, je peux le faire, je le sais !" ? Plus probablement, il a sans doute voulu montrer que, quel que soit la forme d'expression, certains instants d'une vie ne peuvent être partagés. Sur certains points, Blog m'a beaucoup rappelé Paranoïd Park de Blake Nelson : l'écriture pour se libérer d'un poids en situation de crise, le caractère des deux héros, le recours à la "bonne copine" pour surmonter l'obstacle...
Le roman a fait l'objet d'un dossier pédagogique plutôt intéressant, à mon avis.
BLONDEL, Jean-Philippe. Blog. Actes Sud Junior. Arles, 2010. Coll. "Romans Ado". 114 p. ISBN : 978-2-7427-8936-8.
Qu'est-ce qu'on y met ?
Ce rapport à l'écriture est l'un des principaux points communs entre le héros et son père ; du moins, c'est celui qui nous intéresse le plus. Pour se "racheter" d'avoir épié le blog de son fils, Philippe lui offre les journaux intimes qu'il écrivait lorsqu'il avait sensiblement le même âge. Peut-on dire qu'ils sont quittes ? Répondre "oui" sous-entendrait que le blog est un parfait équivalent du journal intime ; pourtant, ce n'est pas le cas. Le journal intime n'est pas censé être lu, en principe. Le blog, si. Même si l'accès est restreint, on écrit pour des "visiteurs", ou pour soi, mais en sachant qu'on sera lu par quelques uns d'entre eux. Dans cette mesure, il est bien difficile de ne pas s'autocensurer un minimum. La qualité d'écriture, quant à elle, se voit forcément stimulée par l'idée qu'on va devoir se faire comprendre auprès des autres. On ose beaucoup sur un blog personnel, au péril de sa réputation, mais on n'ose jamais autant que dans un journal. Dès que l'anonymat est rompu un tant soit peu, le blogueur n'est plus totalement libre de ses mouvements : en fonction de son niveau de diplomatie, ou d'hypocrisie, comme vous voudrez, il sera amené à peser ses mots pour "plaire", pour "ne pas froisser" ses lecteurs fidèles et pour ne pas les compromettre. L'adolescent de Blog pratique ce contrôle de ce qu'on dit et de ce qu'on ne dit pas : il fait l'impasse sur ses murges, persuadé qu'une instance supérieure pourrait le confondre en utilisant ses billets. Par contre, il fait part de ses exploits aux (jeunes) lecteurs du roman, qu'on peut ici prendre comme un journal écrit en parallèle du blog "gelé".
Un roman en pâte feuilletée
C'est ma manière de dire qu'il y a plusieurs "couches d'expression" à explorer dans Blog. On peut aussi dire "strate narrative", je sais. Mais ce roman n'est pas assez calcaire pour correspondre à ce terme :
- le récit du héros passant au crible ses états d'âme au fil des jours, à partir du "gel" de son blog.
- le blog, dont on ne sait rien, puisqu'on ne figure pas dans la liste de ses meilleurs potes.
- le journal du père, analysé et commenté par le héros. Ce dernier va très vite passer l'étape "
- un peu de communication orale, que diable ! J'ai bien envie de rajouter à toutes ces "states" (allez, les falaises ont leur petit côté romantique) les échanges entre Anne-So et le héros, car ils viennent compléter l'interprétation de la lecture du journal de Philippe. La copine du blogueur porte un regard extérieur sur la situation et le guide, en quelque sorte, vers la résolution du problème relationnel entre le père et le fils. Anne-So rend bien service, en effet. Mais je ne comprends pas pourquoi l'auteur a tenu à les faire coucher ensemble. S'est il lancé un défi du type "il faut absolument que mon blogueur se fasse dépuceler avant la fin de l'histoire, allez, je peux le faire, je le sais !" ? Plus probablement, il a sans doute voulu montrer que, quel que soit la forme d'expression, certains instants d'une vie ne peuvent être partagés. Sur certains points, Blog m'a beaucoup rappelé Paranoïd Park de Blake Nelson : l'écriture pour se libérer d'un poids en situation de crise, le caractère des deux héros, le recours à la "bonne copine" pour surmonter l'obstacle...
Le roman a fait l'objet d'un dossier pédagogique plutôt intéressant, à mon avis.
BLONDEL, Jean-Philippe. Blog. Actes Sud Junior. Arles, 2010. Coll. "Romans Ado". 114 p. ISBN : 978-2-7427-8936-8.
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